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Vers la refonte de l’action culturelle ?

Vers l’instrumentalisation de la culture off dans les politiques

B. Les Nouveaux Territoires de l’Art, ou quand le in s’intéresse au off

3. Vers la refonte de l’action culturelle ?

Tout ce travail réalisé par le Ministère pose une question nouvelle en terme d’action publique : comment intervenir et aider ces initiatives sans en restreindre les capacités d’expérimentation ? Michel Duffour est conscient de ce risque et de cette difficulté.

les étrangers ont unanimement remarqué la spécificité française de telles rencontres qui ne pourraient pas avoir lieu dans leur propres pays. La plupart d’entre eux venaient de pays du Sud, où la priorité n’est pas la culture et où, finalement, beaucoup de projets culturels se font, de fait, hors institution, par l’absence (ou quasi absence) d’institutions et de politiques culturelles. Une des interprétations que l’on peut avoir sur la plus forte représentation des pays du Sud parmi les étrangers est que ces rencontres s’inscrivent également dans un registre de promotion de la France à l’étranger comme promotrice d’une autre voie de développement culturel.

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Comment, sans les conduire à s’assagir, aider ces aventures à trouver l’ordre des choses ? Comment les soustraire à la précarité sans tarir le goût du risque qui les caractérise ?

Conférence de presse de Michel Duffour le 17 janvier 2002

C’est pourquoi l’aide à ces lieux off doit elle-même être expérimentale.

a. L’ébauche d’un programme d’action « expérimental »

La volonté du Ministère n’est pas de construire un nouveau référentiel pour une politique publique, mais de proposer un ensemble de mesures de soutien. Les pouvoirs publics ne doivent pas encadrer (c'est-à-dire rigidifier) ces initiatives mais les accompagner. Ce terme « accompagnement » est mis en avant dans les documents. Il rappelle un adulte qui « accompagne un enfant » : l’adulte fait attention à ce que l’enfant respecte des règles de sociabilité et de sécurité, lui transmet un savoir et une expérience, mais c’est l’enfant qui construit sa propre personnalité et sa propre vie. Ici, les pouvoirs publics doivent agir pour permettre l’épanouissement de ces initiatives, sans les inhiber. Pour cela, les propositions seraient adaptables selon les contextes locaux et permettraient l’expérimentation. Cette notion renvoie à un vocabulaire scientifique où l’innovation résulte d’expériences diverses mais dans un cadre et un protocole réfléchis. De plus, l’expérimentation comme mode d’action publique est moins institutionnalisante que les politiques publiques, donc plus acceptables par les acteurs du off. Cette exhortation à l’expérimentation concernant l’accompagnement des lieux off permet de promouvoir une nouvelle conception de la décentralisation, s’appuyant davantage sur les initiatives locales.

contrairement aux principes des labels, cette nouvelle étape ne doit pas uniformiser les territoires, mais au contraire les singulariser tout en garantissant le principe élémentaire d’égalité républicaine. S’engager dans une politique de soutien à ces expériences, c’est faire confiance aux acteurs locaux, en les libérant des cadres administratifs, en accompagnant distinctement chaque porteur, qu’il soit artiste, opérateur ou collectivité locale.

[…] la politique que nous proposons n’est pas seulement un soutien aux expérimentations, c’est l’expérimentation d’une politique publique. Il ne s’agit pas de « trouver des marges pour financer la marge », il s’agit de questionner cette marge, parce que « la minorité c’est tout le monde », et qu’une politique publique doit aujourd’hui assumer cette modernité pour refonder le sens politique de l’intérêt public.

Lextrait, 2001 : vol.2, p. 66 (souligné par moi)

Cela reste dans le prolongement de la politique culturelle qui constitue un champ expérimental de la décentralisation et de la contractualisation, accentué par la mise en place de la Réforme de l’Etat. Celle-ci est difficilement acceptée par les syndicats ; le détour par les Nouveaux Territoires de l’Art permet de dédramatiser les effets de cette réforme. Le vocabulaire utilisé détonne, mais il est progressivement intégré dans le champ lexical de l’action publique et s’applique à d’autres domaines, en particulier l’économie, où il révèle une conception libérale. Des formes d’intervention sont proposées, selon trois registres : les conditions d’occupation des lieux, l’accompagnement des projets et des acteurs, et la production artistique. Il est intéressant de s’arrêter un instant sur les actions envisagées concernant les lieux. Constatant que beaucoup de ces expériences se déroulent dans des lieux vacants, et que les conditions de ces occupations

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sont marquées par une grande précarité (illégalité, problème de mise aux normes de sécurité, confort, durée d’occupation incertaine), Fabrice Lextrait propose « une gestion différente du

patrimoine immobilier en attente d’affectation, en soutenant l’utilisation provisoire de bâtiments à des fins culturelles, en réinscrivant fortement le développement culturel au cœur des problématiques de développement local » (Lextrait, 2001 : vol.2, p.67). Il s’agirait, par

exemple, d’établir des contrats de confiance ou des conventions entre squatters et propriétaires, de soutenir les propriétaires pour la mise en conformité, aider au financement d’une partie des coûts de fonctionnement, développer la contractualisation entre les acteurs. On le voit, les préconisations sont de l’ordre de la contractualisation au cas par cas et non la mise en œuvre d’une politique publique normative. Ces actions ne doivent pas conduire à une privatisation de ces espaces et le soutien des pouvoirs publics reste conditionné par l’intérêt collectif. Dans les exemples que nous traitons, cette idée de permettre l’occupation d’espaces vacants par des artistes est déjà à l’œuvre, et qu’elle est même une modalité de gestion de la vacance et de l’incertitude pour certains opérateurs (comme la Sncf). Mais ces initiatives se heurtent au refus des occupants de partir à la fin de leur contrat. La contractualisation n’est efficace que si les deux contractants jouent le jeu, or que faire lorsque des occupants refusent de partir ?

Cet affichage volontariste au profit des lieux off a été appuyé par un effort budgétaire en 2002 de 1,6 millions d’euros sous forme de subventions aux acteurs et à la mise à disposition de lieux désaffectés68, mais ne sera pas reconduit les années suivantes. En fait, la dynamique insufflée par M. Duffour s’est vite essoufflée. A l’issu de ce colloque, une cellule interministérielle, dirigée par Jean Digne, avait été créée au sein de l’Institut des Villes. Ce Groupement d’Intérêt Public, créé sous le gouvernement Jospin et présidé par Edmond Hervé (maire PS de Rennes), conçu comme une plateforme de réflexion et de soutien aux collectivités, est aujourd’hui moribond, faute de moyens, de projet et de soutien politique. Surtout, l’alternance politique en 2002 a entraîné une réorientation des priorités du Ministère, qui aujourd’hui s’embourbe sur la question des intermittents.

Cette prise de conscience des problèmes posés (relance de la création, financement, gestion des friches,…) par les nouveaux lieux culturels off s’inscrit donc dans le cadre plus global de la réforme de l’Etat, et exprime le besoin d’expérimentation locale de nouvelles politiques publiques. Ce credo sera repris par le gouvernement suivant (de droite), par la création notamment d’un Secrétariat d’Etat aux Libertés Locales ; toutefois, ces réflexions sur ces nouveaux lieux culturels ne seront pas suivies d’actions de la part du Ministère de la Culture.

b. L’institutionnalisation des lieux off

Toute cette agitation participe à la reconnaissance des lieux off par le in. Plus généralement, les dynamiques artistiques s’inscrivent dans des dynamiques sociales plus larges ; ce qui se passe dans ces lieux off révèle des changements sociaux plus vastes. Les attentes et les pratiques culturelles se diversifient ; les publics évoluent. La prise en compte du off par le in est le produit de ces changements. En effet, il existe toujours un décalage temporel entre l’innovation artistique, les évolutions sociales et leur prise en compte politique. Par ailleurs, si le Ministère s’intéresse tardivement à ces expériences, les institutions locales ont reconnus depuis plus

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longtemps l’intérêt de ces démarches… pour la collectivité elle-même. Ainsi, on note dans le rapport que :

On peut même voir, en dehors de Paris, dans une ville comme Grenoble par exemple, que les squat qui sont souvent mis au pilori des valeurs artistiques occupent pourtant des places de choix dans les médias et figurent même dans un document officiel comme le contrat de plan de cette région, qui valorise ses squats comme une innovation sociale.

Lextrait, 2001 : vol.2, p.10 (souligné par moi)

Toutefois, tous les lieux off ne se reconnaissent pas dans cette action ministérielle, qu’ils interprètent comme une forme de récupération des expériences alternatives (voir certains tracts diffusés au cours du colloque par des squatters, repris ensuite dans le journal du colloque). On retrouve ce refus et cette crainte d’institutionnalisation dans l’opposition de certains squats au festival « Art et squat » à Paris.

Ce qui intéressant pour nous c’est que cette reconnaissance ait lieu aujourd’hui : pourquoi a-t-on besoin de nouveaux lieux de production culturelle ? Le rapport insiste beaucoup sur l’établissement de nouveaux rapports avec le public. En quoi sont-ils nouveaux ? Quels peuvent-ils être ? N’est-ce pas plutôt le public qui évolue et qui a de nouvelles attentes ? Si l’inscription dans le territoire et les implications avec les habitants sont des arguments du discours de légitimation de ces espaces, de quels habitants parle-t-on ? Que signifie cette exhortation à la créativité ? Pour quel type de population la créativité est-elle valorisante ? Ces Nouveaux Territoires de l’Art sont des lieux hybrides où se côtoient production et consommation culturelle. L’inscription territoriale du off à travers ces Nouveaux Territoires de l’Art met en évidence l’importance du local dans le champs artistique ; et inversement, la place grandissante de la culture dans les politiques locales. Dans quelle mesure, les politiques culturelles locales deviennent des politiques de peuplement plutôt que de satisfaction des besoins locaux ?

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