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Johannesburg : métropole africaine en devenir

QUARTIER CULTUREL

A. Johannesburg : métropole africaine en devenir

Johannesburg, ville minière créée à la fin du XIXème siècle, est rapidement devenue le principal centre d’affaires d’Afrique du Sud et de toute l’Afrique australe. Comme l’ensemble du pays, elle reste profondément marquée par les effets de l’apartheid, ségrégation raciale politiquement organisée, dix ans après son abolition. Dans cette métropole polycentrique et de plus en plus étalée183, la ségrégation sociale et économique remplace (ou plutôt s’ajoute) à la ségrégation raciale. Le centre de Johannesburg révèle cette évolution et concentre un grand nombre de problèmes et enjeux urbains.

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Cette partie est basée sur une enquête de terrain réalisée lors d’un séjour à Johannesburg en tant que chercheuse invitée au centre Wiser (Wits Institute for Social and Economic Research) de l’Université du Witwatersrand. Nous remercions particulièrement France Bourgouin, Alan Mabin et André Czeglédy pour leur accueil.

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L’agglomération s’étend maintenant de Soweto à Pretoria, en passant par Johannesburg, soit sur un axe de plus de 70 km.

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1. Le déclin du centre de Johannesburg : la re-ségrégation post-apartheid

Durant l’apartheid, le centre de Johannesburg était une ville blanche : il était interdit aux noirs et aux indiens d’y résider et de s’y promener la nuit. Ceux-ci étaient logés dans les townships raciaux périphériques, dont le fameux Soweto (situé à 30km du centre). Les travailleurs de couleurs autorisés avaient de longues distances à parcourir tous les jours pour parvenir au centre de Johannesburg qui était le principal centre d’affaires et de commerces (Guillaume, 2001). Depuis le milieu des années 1970, des populations noires ont commencé à résider dans certains secteurs du centre. Mais, jusqu’à l’abolition de l’apartheid, ces habitants noirs étaient illégaux : ils n’avaient pas d’autorisation de résidence dans les quartiers blancs, et étaient menacés de sanctions policières. Cette vulnérabilité a été exploitée par des propriétaires : loyers exagérément élevés, absence d’entretien des bâtiments, surpeuplement. Ces abus ont entraîné une spirale très rapide de dégradation physique et de dépréciation de certains quartiers, comme Hillbrow (Bremner, 1998).

En 1994, la fin de l’apartheid a abrogé le système de ségrégation raciale résidentielle ce qui a accéléré la déségrégation du centre. Mais les dégradations déjà amorcées et la peur184 ont fait fuir les populations blanches vers le nord185. Ces flux de population sont très rapides, et en quelques années, le centre « blanc » de Johannesburg est devenu « noir », provoquant, de fait, une re-ségrégation résidentielle (en 86, 15% de la population de Hillbrow est noire, en 1993, 85% et en 1996, 95%.). Dans le courant des années 1990, un autre changement démographique a lieu par l’arrivée de nombreux immigrants pauvres et illégaux venant de l’ensemble du continent, logeant dans des hôtels meublés insalubres de ce qui fut le centre d’affaires. La paupérisation du centre est accentuée, de même que sa stigmatisation, car en plus d’un racisme toujours présent, ces étrangers sont l’objet d’une profonde xénophobie (Crankshaw, White, 1995).

Parallèlement aux mouvements de population, le tissu économique a décliné. Comme dans de nombreuses autres villes, les activités de type industriel ont été délocalisées dans des sites périphériques. Mais le principal bouleversement est le départ rapide et massif de nombreuses entreprises tertiaires et sièges sociaux. Si les principales institutions financières nationales sont restées au centre, le cœur économique (dont la Bourse) de la ville s’est déplacée à Sandton, nouveau centre d’affaires. Le marché foncier et les investissements immobiliers ont évolué dans la même direction (Goga, 2003). Les immeubles libérés sont progressivement transformés en logements ou en hôtels meublés hébergeant des immigrants pauvres venant d’autres pays africains. Les activités économiques restant dans l’ancien centre d’affaires sont principalement commerciales car il reste un nœud central dans les réseaux de transports en commun. Toutefois, ce sont essentiellement des commerces pour les populations modestes, captives des transports en commun (Tomlinson, 1999).

La dégradation du bâti, le changement de peuplement, l’appauvrissement des habitants et le déclin économique s’accompagnent d’une explosion de la criminalité. Johannesburg est en effet réputée pour être la ville la plus dangereuse du monde (voir, en particulier sur les violences

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La fin de l’apartheid n’a pas aboli si rapidement un racisme encore très ancré. 185

Beaucoup se sont aussi « exilés ». Il semble que beaucoup de logements du centre se dégradent faute d’entretien par des propriétaires expatriés.

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faites aux femmes et les violences à caractère xénophobe : Palmary, Rauch et al., 2003). Viols, agressions, cambriolages, car-jacking, meurtres, font partie du quotidien des Johannesburgers. Si les habitants des quartiers pauvres du centre et des townships sont le plus exposés à cette criminalité, les comportements quotidiens de tous ont intégré ce risque : sur-sécurisation des maisons, multiplicité des systèmes antivols sur les voitures, choix des modes de déplacements, fréquentation de lieux « publics » surveillés et sécurisés (Bremner, 1998). Les problèmes de sécurité accentuent l’évolution des formes urbaines vers une agglomération de plus en plus étendue et ségrégée, où les déplacements ne se font plus qu’en voiture. Ils sont également très préjudiciables à l’attractivité de la ville, d’autant plus que les visiteurs et les touristes sont des cibles privilégiés186. Des prescriptions spécifiques leurs sont délivrées dans les guides et les brochures éditées par la ville187. Enfin, l’épidémie de Sida (30% des sud-africains seraient infectés), en plus du drame humain, pose déjà un problème démographique et économique : les jeunes générations sont décimées par le virus, or elles constituent l’essentiel de la main d’œuvre188.

2. Stratégies de requalification et de développement

Les pouvoirs publics doivent faire face et assumer cet héritage post-apartheid. Le préalable à toute action territoriale a été la refonte des pouvoirs locaux. Le territoire métropolitain était fragmenté en plusieurs municipalités qui ont été intégrées en 1994 en une seule administration, dirigée par un maire élu, the City of Johannesburg. La ville de Johannesburg est organisée en onze régions urbaines dont les townships de Soweto et Alexandra, le centre d’affaires de Sandton, et les zones résidentielles du nord (Midrand et Roseburg). Cette restructuration administrative permet une gestion et une planification globale de l’agglomération, et surtout une meilleure allocation des ressources entre les différents quartiers189.

Pour la nouvelle municipalité, le principal défi est de stopper le déclin du centre et d’attirer à nouveaux les investisseurs et les entreprises dans l’ensemble de l’agglomération190. A cette fin, la municipalité a défini, dans ses documents de planification, différentes stratégies de développement économique et urbain. Selon Lindsay Bremner, chercheuse au département d’architecture et d’urbanisme de l’université de Wits, deux stratégies ont été successivement mises en œuvre191.

Dans un premier temps, il s’agissait de positionner Johannesburg dans le champ des villes globales, en tant que première place financière et d’affaires de l’Afrique. La ville est présentée

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Beaucoup de livres, bandes dessinées ou témoignages d’une visite de Johannesburg relatent ce climat anxiogène. 187

« Some areas should be visited with tour parties and local guides: We recommend that theses sites be visited in groups. We suggest that visitors make use of recommended tours and tour operators to visit these sites. Some examples are: Hillbrow, Areas of Alexandra, Parts of the Johannesburg Inner City, Areas of Soweto » (City of Johannesburg, Safety and security tips for tourists and visitors).

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Ce tableau très sombre de Johannesburg amène certains, comme Jacques Levy, à considérer Johannesburg comme l’essence d’un modèle de ville sans urbanité (Lévy, 2004). D’autres y voient l’émergence de nouveaux modes de vie métropolitains et d’une nouvelle culture urbaine (Mbembe, Nuttal, 2004).

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Pour plus d’information, voir le site Internet de la ville : http://www.joburg.org.za. 190

Durant l’apartheid, l’Afrique du Sud était l’objet d’un blocus international. 191

« The first was expansionist and buoyant. It relied on an aesthetic, property-led development program to regenerate a declining economy, re-image a city tarnished by its oppressive, racist past and position Johannesburg as a “world city” as it entered the global economy. The second was more cautious and less speculative, advocating an

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alors comme la « porte de l’Afrique » grâce à sa localisation, ses infrastructures de communication, sa domination financière sur le continent et son accès au marché africain (Bremner, 1998: 187). Cette stratégie de développement économique se traduit par des opérations urbaines s’inspirant fortement d’exemples européens : développement de nouveaux programmes immobiliers, marketing urbain, projets d’équipements sportifs et culturels. Dans ce cadre, la promotion de la culture et du patrimoine urbain participe à la construction d’une image d’une ville accueillante, dans lequel s’inscrit le projet de requalification du quartier Newtown. Pour certains, le besoin d’intégrer le club des villes globales et de la mondialisation ne serait qu’un prétexte pour la mise en œuvre de politiques locales libérales (Benit, Gervais-Lambony, 2003). Selon Barbara Lipietz, plus qu’un positionnement ultralibéral, ces choix révèlent un manque d’imagination de la part des décideurs qui, comme dans d’autres grandes villes d’ambition mondiales (qu’elle appelle des « wannabe world cities »), mettent en œuvre des stratégies de « world-class-city-isation » s’inspirant des politiques développées depuis longtemps dans le Nord, sans prendre suffisamment en compte les spécificités locales (Lipietz, 2004).

Dans un second temps, la reproduction de modèles européens de développement économique et urbain a été atténuée par une politique forte en matière d’amélioration du cadre de vie pour l’ensemble des habitants, de développement des compétences par la formation et l’éducation, et de réduction de la criminalité (augmentation des effectifs policiers, généralisation de la vidéo surveillance192). Cela s’accompagne d’un redéploiement des financements publics vers l’amélioration des services publics, les transports et la propreté. Selon Lindsay Bremner, Johannesburg reconnaît enfin son africanité. Elle rencontre des problèmes similaires aux autres villes africaines, sur lesquels doit se concentrer l’action publique, par exemple en investissant massivement dans la lutte contre le Sida. Elle est une ville africaine, pas une enclave européenne ; elle n’est plus la porte de l’Afrique mais son cœur. Autrement dit, plutôt qu’une ville globale stricto sensu, Johannesburg s’affirme comme une métropole africaine.

B. Newtown : la création d’un quartier culturel dans

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