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J’ai présenté deux visions opposées sur la qualité de l’eau, une vision biologique en référence au poisson qui prône la sanction des pollutions et une vision économique en référence aux dommages de la pollution sur les usages et qui prône un marché de l’eau. Il existe également une troisième façon d’appréhender la pollution à travers la santé publique. C’est la conception mobilisée par les parlementaires. Stéphane Cesari (op.cit.) relate les préoccupations des députés vis-à-vis de la potabilisation d’eaux fluviales. Plusieurs maladies plus affreuses les unes que les autres sont mentionnées dans les débats. Le rapporteur à l’assemblée, M. Jean- Louis Gasparini conclut : « Ce projet de loi que vous nous soumettez, nous le voterons, quelles que soient les dépenses à consentir, parce qu’il s’agit de la santé publique et parce

que, aussi, une seule économie doit être faite, celle de la vie humaine »69. Mais cette

conception n’est pas déclinée en algorithme par les députés. Pour cela il manque une quantification du risque (mise en nombres) et des leviers d’action (mise en modèle).

69 1ère Séance à l’Assemblée Nationale du 16 octobre 1963.

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La mise en nombres est l’apanage des médecins qui utilisent pour cela des mesures chimiques et biologiques. En 1964, lorsqu’est adoptée la nouvelle loi sur l’eau, les critères qui permettent de classer l’eau en différentes catégories, outre les catégories piscicoles, sont les normes sanitaires. En effet, on sait depuis Pasteur que les microbes décomposent la matière organique présente dans l’eau. Pour le faire, ces bactéries consomment de l’oxygène dissous. Les eaux qui se chargent en matière organique deviennent de moins en moins oxygénées. Ces conditions sont propices à de nombreux micro-organismes pathogènes. On peut ainsi mesurer le potentiel pathogène d’une eau à travers l’oxygène consommé par les micro-organismes dans cette eau. Pour cela, on ajoute de l’oxygène à un échantillon d’eau pendant cinq jours (la matière organique biodégradable est considérée comme pratiquement intégralement digérée)

et l’on mesure la demande biologique en oxygène à cinq jours (DBO5) qui s’exprime en unité

de masse d’oxygène. Il reste alors de la matière organique oxydable mais qui est trop « dure » pour être digérée par des êtres vivants. On peut mesurer la matière oxydable totale en ajoutant un oxydant puissant. Cette mesure s’appelle la demande chimique en oxygène (DCO), elle mesure la matière oxydable biologiquement plus la matière oxydable mais réfractaire à cette oxydation biologique. La DCO est donc toujours supérieure à la DBO. Les rejets d’eau usée domestiques ont une forte DBO et une faible DCO, c’est la même chose pour les rejets des industries agro-alimentaires. En revanche les rejets des industries chimiques ont surtout une forte DCO. Par ailleurs la matière organique « dure » peut tuer les bactéries oxydantes, donc plus il y a de polluants chimiques non organiques, plus il y a de DCO et moins il y a de DBO. Cette représentation de la qualité de l’eau en terme d’oxygène est traduisible en terme d’équilibre permettant d’envisager une coordination marchande de la dépollution. En effet, on peut exprimer la qualité de l’eau par une situation optimale d’un point de vue économique entre une demande en oxygène induite par la pollution et une offre d’oxygène apportée par l’autoépuration de la rivière (grâce à des micro-organismes mais sensibles à d’éventuels toxiques) et les installations de dépollution (voir figure 8).

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Figure 8 : La balance à oxygène est une représentation de la qualité de l’eau à travers la variable oxygène qui permet d’envisager des modalités de coordination de type marchand entre les différents acteurs de la pollution dont les activités peuvent se compenser.

Ces mesures sont très fluctuantes dans une rivière parce que les rejets de polluants sont très fluctuants en fonction des activités, mais aussi parce que les flux de polluants ne se mélangent pas de manière homogène et immédiate. Une unique mesure ne signifie rien, il faut en faire plusieurs dans le temps et l’espace pour pouvoir conclure sur la variabilité et sur la moyenne. Pour évaluer le risque pour les populations qui se baignent ou qui boivent l’eau d’une rivière,

les médecins ont donc recours depuis le XXème siècle à une méthode beaucoup plus

intégratrice des variations, l’indice saprobique (Kolkwitz et Marsson 1908). L’indice saprobique est un indicateur de pollution organique de l’eau. Il évalue la même chose qu’une mesure chimique de la matière organique de l’eau mais à partir d’une méthode biologique s’appuyant sur les espèces vivant naturellement dans l’eau étudiée. Il est matérialisé grâce à un tableau d’espèces construit à partir d’une entrée « affinité pour la matière organique ». Cette affinité est peu définie, c’est un mot général pour qualifier l’observation d’une certaine corrélation entre une présence d’espèce et une teneur en matière organique. Pour certaines espèces il s’agira de tolérance, pour d’autre de source d’alimentation, pour d’autre encore c’est une chaîne de causalité très indirecte qui les rend présents dans des milieux saprobes. Ce tableau des Saprobies est connu des services de gestion de l’eau (Tufféry 1976, p204-206).

Toxiques

DBO

DCO

Auto-épuration

Demande d’oxygène

Offre d’oxygène

Habitants Industries Industries Vitesse de l’eau Sewage treatment Station d’épuration Toxiques

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Habitants Industries Industries Vitesse de l’eau Sewage treatment Station d’épuration CemOA : archive ouverte d'Irstea / Cemagref

Ce tableau constitue du point de vue de l’écologie un renversement de l’ordre de classification. En effet, la classification naturelle de Jussieu et Cuvier s’est matérialisée dans des méthodes de détermination qui permettent d’entrer des observations anatomiques et de parvenir à l’espèce puis grâce à l’espèce d’avoir accès à une information sur le mode de vie. Le tableau des saprobies permet le cheminement inverse, à partir d’un mode de vie (l’affinité à la matière organique) pour ensuite parvenir à l’ensemble des espèces ayant ce mode de vie. L’indice saprobique (ou saprobie) fait figure d’inventaire à la Prévert aujourd’hui dans la mesure où l’ensemble des espèces ayant la même affinité pour la matière organique est très hétérogène et regroupe à la fois des espèces qui tolèrent la présence de la matière organique, celles qui s’en nourrissent, celles qui se nourrissent d’espèces saprobies, etc.…Il s’agit d’un indice de polluosensibilité et non d’un indice fonctionnel. Mais si on considère que la bioindication est une restructuration de l’information naturaliste permettant une recherche de l’état d’un milieu par le mode de vie des espèces qu’il héberge, on peut dire qu’à ce titre, l’indice saprobie est le premier tableau qui permet cette lecture inverse.

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