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milieux aquatiques

1. Le choix d’une approche sociale

1.1. En quoi la gestion des cours d’eau est-elle une question

sociale ?

Les cours d’eau peuvent être appréhendés par différentes approches scientifiques. L’hydraulique, l’hydrologie, l’agronomie, la géographie physique, l’hydrobiologie développent des approches statistiques ou déterministes qui établissent à partir d’un grand nombre de cas des lois générales de comportement des rivières. Ces approches sont centrées

24 The old guard.

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sur les cours d’eau et visent une certaine objectivité des énoncés les concernant, c'est-à-dire une validité qui soit indépendante de l’observateur, pourvu qu’il adopte le même protocole d’observation qu’un autre. A l’inverse, d’autres approches sont centrées sur les individus et s’intéressent à des perceptions subjectives des milieux aquatiques. La psychologie environnementale revendique un intérêt pour ce qui est spécifique à un individu, par exemple

dans son rapport à l’eau25 tout en dégageant également des comportements généraux à partir

du vécu de chaque personne. Les sciences sociales en environnement (économie, sciences de gestion, sciences politiques, sociologie, histoire, géographie humaine) sont entre ces deux pôles et s’intéressent aux phénomènes d’interaction entre des groupes sociaux et leur environnement. Ces sciences s’intéressent aux actions, comportements, perceptions et discours sur l’environnement qui ne sont pas uniquement le fait d’individus pris séparément mais qui sont portés par des collectifs. En ce qui concerne les cours d’eau en France, cette approche est particulièrement intéressante car les actions sur les rivières et leurs abords sont

depuis le XVIIIème siècle principalement des actions collectives qui font l’objet de politiques

publiques, c'est-à-dire qui s’inscrivent dans un cadre juridique spécifique et qui sont financées par des fonds publics. La gestion des milieux aquatiques a donc une dimension sociale en termes de pratiques et de politiques.

La directive cadre n’agit pas directement sur la gestion des rivières. C’est un texte qui s’impose à l’Etat français et, nous l’avons vu précédemment (introduction) sa transposition en droit français confie aux services de l’Etat la responsabilité de son application. C’est donc à travers les politiques nationales que la directive cadre peut influencer la gestion des cours d’eau. Mais l’action de l’Etat va dépendre de ses partenaires. « Un certain nombre d'ouvrages fondateurs ont ainsi montré que les résultats de l'action de l'Etat pouvaient être assez différents de ceux attendus, de même que la mise en oeuvre des politiques publiques constituait une séquence à part entière irréductible à la phase de décision et susceptible de modifier le contenu même de l'action publique » (Muller 2000). Dans le domaine de la gestion des rivières, ceci est d’autant plus vrai que l’Etat ne possède qu’un linéaire restreint de lit de cours d’eau et que l’essentiel appartient à des riverains privés. Je vais donc m’intéresser aux acteurs qui préexistaient à la directive et à leurs relations, à leurs intérêts, à leurs cultures, à leurs outils et à leur environnement. Je vais caractériser la nature de l’épreuve que constitue la directive cadre pour eux. Puis je vais déterminer quelles sont les évolutions possibles.

25 Voir par exemple les travaux de Bernadette de Vanssay sur le stress lié aux inondations.

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Ma recherche porte sur la gestion des rivières en France et ses instruments. Par rivières, j’entends à la fois les cours d’eau proprement dits (eau et lit) et les milieux aquatiques qu’ils constituent d’un point de vue biologique. Cette gestion est à la fois « intentionnelle » et « effective » (Mermet et al. 2005). En effet, certains acteurs ont pour mission dans le cadre d’une politique publique dédiée aux milieux aquatiques d’agir pour ces milieux. Il s’agit des acteurs de la « gestion intentionnelle ». D’autres n’ont pas de mission en faveur des cours d’eau mais ont des activités qui les modifient, ils en ont donc une « gestion effective ». La gestion des rivières est ainsi à la fois une situation de fait et le sujet d’une politique publique. Une politique publique se définit autour d’un enjeu social et politique qui « au-delà d’un accord minimal sur la nécessité d’engager une politique publique à son sujet » fait l’objet de débats sur « la définition du problème, les actions à entreprendre, et les mesures à adopter » (Lagroye et al. 2002, p.515). Une politique publique organise les relations entre des acteurs privés ou publics par son caractère « constitutif » ou « structurant » qui consiste à définir des missions, répartir des compétences, octroyer des droits, établir des normes (op.cit. p.537-540). Elle peut également être « emblématique » en ce sens qu’elle donne une nouvelle identité et un sens nouveau à des espaces, des personnes et des concepts (op.cit. p.540). Elle a également un caractère « distributif » parce qu’elle vise à « satisfaire des ‘besoins’ par la distribution ou la mise à disposition de biens et de ressources publiques » (op.cit. p.542).

De la même façon, la gestion effective s’inscrit aussi dans un milieu social et dépend de constructions sociales mais elle n’est pas forcément débattue et instaurée publiquement. J’utiliserai ce mot très générique de construction sociale pour évoquer chacun de ces éléments, conceptions morales, connaissances, règles juridiques, ressources utilisées, organisations, qui constituent un mode de gestion particulier.

Pour le sociologue, un mode de gestion des milieux aquatiques est un ensemble de pratiques qui dépendent de constructions sociales relatives aux relations hommes-rivières. Ces constructions peuvent être locales, familiales, professionnelles, techniques, etc. Elles sont organisées en politique publique lorsqu’elles combinent quatre éléments : problématisation publique, réglementations, organisations et moyens au moins en partie publics. Les politiques publiques ne sont pas immuables. Elles sont construites, puis adoptées, elles se maintiennent pendant un certain temps mais elles peuvent aussi disparaître. Leurs effets dépendent des pratiques des acteurs. Il y a donc une raison objective à étudier la gestion des rivières d’un point de vue social.

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1.2. La part vécue

Pour ma part, il existe aussi une raison plus personnelle. De formation biologique, j’ai opté pour une spécialisation hydraulique et j’ai travaillé comme ingénieur pendant trois ans. J’ai ensuite enseigné à des ingénieurs pendant six ans. J’ai posé la question de la directive cadre en termes techniques de multiples fois. Qu’il se soit agi de projets dont j’avais la responsabilité ou bien d’études de cas organisées pour les étudiants, je me suis souvent confrontée à un terrain sur lequel l’application de la directive cadre n’était pas facile. J’ai cherché et trouvé des réponses techniques. J’ai donc progressivement acquis la certitude que les difficultés qui subsistaient n’étaient pas techniques. Pour un sociologue ou un politologue, il est assez naturel d’appréhender la gestion des rivières en termes de pratiques et de politiques publiques. C’est moins spontané quand on est ingénieur. Pour ma part, c’est par élimination que je suis progressivement arrivée à la certitude que c’est du côté des sciences sociales que je découvrirai une façon nouvelle et prometteuse de poser ces questions.

Etant à la fois un peu biologiste et un peu ingénieur, j’ai trouvé dans la directive cadre un texte qui donnait du sens à ce profil particulier. C’est donc avec beaucoup d’intérêt que je me suis intéressée à la possibilité d’un pont entre les conditions physico-chimiques d’une rivière et son écologie. Le premier constat est qu’il s’agit plutôt d’une passerelle que d’une autoroute et que les usagers de cette voie aiment à stigmatiser les deux mondes qu’ils relient pour mieux montrer la difficulté de cette jonction. On trouve donc une ample littérature qui s’attache à décrire la figure de l’ingénieur et la figure du naturaliste comme deux pôles antinomiques. Cela correspond un peu à ce que j’ai vécu, mais ne répond pas du tout à mes questions et j’ai donc préféré étudier les passeurs de frontières (Jollivet 1992). Mais pour parler du pont, il faut commencer par parler des deux rives. Comme mon expérience n’a pas été menée dans un but ethnographique, je n’en ai pas conservé de traces exploitables. J’ai préféré m’appuyer sur la bibliographie pour décrire la filière eau et les amateurs des milieux aquatiques.

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