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Contenu du compromis et efficacité économique des agences

La présentation de l’amendement au Sénat soulève beaucoup de critiques. Les sénateurs jugent les agences trop étatiques, sources de nouveaux impôts déguisés, qui ne donnent pas suffisamment de voix aux élus. « En fait, une suspension de séance d’une heure et demi permettra de déboucher sur un compromis acceptable par les deux parties » (Cesari 1993). Le compromis consiste à adjoindre aux agences des comités de bassin (art. 13) dans lequel l’Etat n’est pas majoritaire et qui doit donner son avis conforme sur l’assiette et le taux des redevances.

Art. 13.- Au niveau de chaque bassin ou groupement de bassins il est créé un comité de bassin composé pour égale part :

1. De représentants des différentes catégories d’usagers et personnes compétentes ; 2. Des représentants désignés par les collectivités locales ;

3. Des représentants de l’administration.

Cet organisme est consulté sur l’opportunité des travaux et aménagements d’intérêt commun envisagés dans la zone de compétence, sur les différends pouvant survenir entre les collectivités ou groupements intéressés et plus généralement toutes les questions faisant l’objet de la présente loi.

Un décret en Conseil d’Etat fixera les modalités d’application du présent article.

L’article 14 est complété :

L’assiette ou le taux de ces redevances sont fixés selon l’avis conforme du comité de bassin.

Un décret en Conseil d’Etat fixera les modalités d’application du présent article.

La loi contient ainsi à la fois les articles 16 et 17 relatifs à la création d’établissements publics administratifs et les articles 13 et 14 relatifs à la création de comités et d’agences financières de bassin. Mais la loi ne précise pas le nombre d’agences qui sera fixé par décret.

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« Le mot ‘incitation’ lui-même n'apparaît pas dans les textes législatifs relatifs au système de redevance, ni dans les décrets d'application, les procédures et les explications. Pour le législateur, les redevances sont exclusivement dédiées à équilibrer les budgets des agences » (Barré et Bower 1981). Mais le caractère incitatif des redevances est un sujet qui revient périodiquement, notamment quand on interroge les ingénieurs des mines (Martin 1988) ou lorsque les agences sont évaluées par le Commissariat Général au Plan (1997).

« L’idée était de mettre en place des conditions économiques permettant d’optimiser la construction d’ouvrages de dépollution, soit individuels soit collectifs. En affichant le coût marginal de ce que cela coûte comme investissement public, on incite les privés à investir à titre personnel si cela leur coûte moins cher. On avait fixé la redevance à 25% de ce coût marginal, donc de l’optimum économique avec la perspective de l’augmenter progressivement. Parce qu’imposer directement à 100% cela aurait empêché la loi de passer. Mais ce chiffre de 25% n’apparaît pas, même dans les discussions du Sénat. L’augmentation de la redevance n’a pas suivi les intentions. (…) On est déçu car cette idée économique a été abandonnée au profit de l’incitation par octroi d’aide. L’incitation économique est perdue de vue. L’équilibre budgétaire a été imposé pour éviter d’être exposés aux critiques qui accuseraient les agences d’avoir trop d’argent et qui voudraient employer cet argent à autre chose. On a fait exprès le lien entre montant des redevances et montant du programme pour que la politique soit acceptée. On pensait aussi pouvoir y revenir après. » Ad17

Romain Garcier, qui a étudié la mise en place de l’agence Rhin-Meuse, a également repéré ce débat entre équilibre budgétaire et incitation dans les comptes-rendus et projets d’élaboration du premier programme de cette agence : «La théorie aurait voulu en effet qu'on appliquât une très incitative tarification au coût marginal du développement, c'est à dire que la nuisance ou le surcoût induits par la pollution pour la collectivité ou les autres agents seraient estimés en chaque point du bassin et que la redevance perçue serait égale au coût de remplacement de chaque usage en ce point. Or pour l'agence : "un tel système pour séduisant qu'il soit, n'est pas envisageable, car il ne conduit pas à l'équilibre budgétaire de l'agence qui ferait des bénéfices injustifiables67". Effectivement l'application suivit une autre logique : "En pratique, les taux

fixés pour les redevances de pollution ont été voulus raisonnables et compatibles avec le programme de réalisation que s'était fixé l'agence, mais il y a lieu de noter qu'elles se situent entre le tiers et le cinquième du coût réel de la suppression de la pollution. De ce fait l'incitation existe mais elle a encore besoin de la pression des administrations68". »

Les économistes qui se sont penchés sur cette question de manière approfondie (Barré et Bower 1981) concèdent que la redevance seule n’est pas incitative parce que son taux est

67 Extrait du premier projet de programme d'intervention de l'agence financière de bassin Rhin-Meuse, janvier

1968, page 79

68 Procès verbal de la réunion du comité de bassin du 12 décembre 1969

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beaucoup trop bas. « Pour les industriels qui rejettent directement des effluents comparables à des effluents domestiques, il faudrait multiplier la redevance par 4.5, 7 ou 14 pour qu'elle soit incitative pour un traitement primaire, secondaire ou tertiaire » (p.189). De même, ça coûte trois fois plus cher à la municipalité de faire du traitement secondaire que de ne pas épurer du tout. Quand elle reçoit 8,5 pour sa contribution à la dépollution (en déduction de sa redevance), elle débourse des coûts d'opération et de maintenance de 20. Donc même quand une station d’épuration est construite et amortie, d’un strict point de vue économique, la municipalité a plutôt intérêt à ne pas la faire marcher (p.189). Mais les auteurs considèrent néanmoins que le système agence parvient à une certaine efficience auprès des industriels pour trois raisons : malgré les faibles redevances, il existe des pollueurs pour qui il est rentable d'entreprendre des réductions de rejet et qui le font (souvent pour économiser leur facture d’eau et d’assainissement) ; les secteurs pour lesquels les dommages causés par la pollution dépassaient largement le coût d’un équipement de dépollution ont été aidés au niveau national par des accords de branche ; les aides des agences favorisent une allocation des ressources plus efficiente. Auprès des municipalités, c’est davantage la combinaison de l’obligation réglementaire et des subventions qui permet la mise aux normes.

Les auteurs soulignent l’étroite marge de manœuvre du gouvernement pour fixer le taux des redevances étant donné les risques de faible acceptabilité du nouveau système. Il fallait limiter les taux différents et préférer un taux fixe pour avoir le moins de négociations possible et commencer avec un taux bas qui était 15 fois inférieur à ce qu’aurait été un taux incitatif en 1969 puis l’augmenter progressivement (p.204). C’est qui a été fait. Selon les agences et les différentes formes de pollution, la redevance a été doublée à sextuplée entre 1970 et 1979. Ils concluent que le système agence est un outil complémentaire de la réglementation. Celle-ci était très arbitraire dans les années 70 au point que la somme des autorisations de rejets ne correspondait pas aux objectifs de qualité. C’est par une mise en cohérence réglementaire et une augmentation des redevances que le système peut encore s’améliorer du point de vue de l’efficience économique.

En référence au modèle subsidiaire, mais également aux théories économiques des conventions, Bernard Barraqué souligne que l’efficacité des agences tient aussi à son rôle de concertation qui bâtit de la confiance et diminue des coûts de transaction (Barraqué 2002c). Ainsi les agences de l’eau ont été créées en référence à deux mythes qui correspondent peu à la réalité de la France en 1964. Le premier, celui des associations subsidiaires sous-entend un transfert de pouvoir important de l’Etat vers les associations dotées de pouvoir de police et

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d’autonomie de gestion. Les administrations de l’époque sont attachées à leur pouvoir de police et craignent que des établissements aient une autonomie échappant au budget de l’Etat. Le second, celui du principe pollueur-payeur décliné sur un bassin versant à partir de l’exemple du Colorado par Allen Kneese suppose que seul l’optimum économique de la dépollution entre en ligne de compte dans les décisions d’investissement. Or les élus locaux en France sont attachés à leur rôle de prise en compte de multiples critères, économiques certes, mais pas uniquement. Le compromis trouvé laisse la police de l’eau et des installations classées à l’Etat avec l’obligation de définir des objectifs de qualité plus cohérents. Il laisse aux collectivités locales l’initiative des travaux et leur accorde un poids suffisant pour permettre une coalition de blocage dans les comités de bassin devant approuver le niveau des redevances. Je montrerai dans la partie suivante (1.3) comment les agences elles-mêmes ont développé leur mode d’action à partir de cette donne initiale ambiguë, puis leurs propres mythes (chapitre 5).

1.3. La mise en modèle de la pollution

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