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Des financeurs complémentaires Le CSP et ses camionnettes-laboratoires

En 1964, le CSP n’a pas de délégation interrégionale comme il en aura plus tard, mais il possède une force d’intervention mobile : une dizaine de camionnettes-laboratoires. Elles sont conduites par un garde-pêche capable de constater des pollutions et de faire des prélèvements d’eau. Le CSP possède également plusieurs gardes-pêche mis à disposition dans les fédérations départementales de pêche et de pisciculture qui sont chargés localement de la police de la pêche. Ces gardes ont en théorie une indépendance vis-à-vis des fédérations de pêche puisqu’ils sont salariés du CSP mais en pratique leur agenda est très dépendant des priorités définies par les présidents de fédérations, parce que leurs frais de fonctionnement en dépendent. CemOA : archive ouverte d'Irstea / Cemagref

Ces gardes-pêche sont contractuels, ils ont été recrutés à des niveaux variables, certains sans aucun diplôme après guerre, d’autres ont obtenu un niveau de technicien à l’école des gardes- pêche de Boiscorbon qui organise également les concours de promotion au grade de gardes chefs.

La division « qualité des eaux »qui est déjà au centre d’un réseau des gardes-pêche, puisqu’elle reçoit les prélèvements pour pollution, va organiser un flux d’information et de formation dans l’autre sens « en descendant ». Les gardes-pêche sont associés sur toutes les études, ils sont le passeport de terrain de la division du CERAFER. Les camionnettes- laboratoires sont modernisées.

« Mais ça a été toute une histoire parce que pour faire une analyse de DBO dans un véhicule, il fallait une petite enceinte à température régulée. On les a aussi équipés de colorimètres, puis de sondes à oxygène, pH, conductivité, agitateurs électriques, etc.… Les laboratoires frigos étaient encore peu développés, il y avait intérêt à faire le plus de choses sur le terrain. Ultérieurement les analyses devenant plus compliquées, les SRAE se sont orientés vers le couplage, prélèvement + bio sur le terrain et analyses en labo frigo. Mais le plus dur, c’était la DBO. Il fallait une source d’énergie. C’était des fourgons Peugeot. C’était juste les dernières dynamo avant les alternateurs. J’avais été voir un fabriquant d’alternateurs de gros camions. On a discuté avec eux pour en faire de beaucoup plus puissants avec de grosses batteries. (…) Pour l’appel de froid, il fallait lancer la commutatrice pour passer la pointe. Avant, ces s n’avaient qu’une paillasse et une couchette. » Cd25

Les deux universitaires recrutés pour construire un indice biologique vont associer les gardes- pêche à leur recherche, de telle sorte que la mise au point de la méthode, sa diffusion et sa mise en œuvre pour l’inventaire des pollutions vont se faire en même temps par ajustements successifs.

« En 1967, (…) a fait une proposition d’indice biotique. C’était la transposition au territoire français d’une méthode anglaise de la Trent River Authority, mais il redéfinissait mieux les conditions de prélèvement et l’échantillonnage. Il prospectait les différents habitats, mais à l’époque il n’y avait pas de typologie des habitats, on faisait trois prélèvements en eau courante, trois prélèvements en eaux calmes. Le tri était relativement global pour avoir une idée représentative des eaux calmes et des eaux courantes. A partir de là, on faisait une identification par taxon, c’était une identification pratique, accessible à un bon technicien supérieur spécialisé dans ce domaine. » Mc29

« Le Cemagref assurait une part importante de la formation à l’école des gardes-pêche (l’enseignement allait parfois à l’encontre des idées et pratiques des présidents de fédé et notamment sur les repeuplements, la surveillance et la police des eaux…) On était appréciés et on avait un très bon contact avec la majorité des gardes-pêche et donc ceux-ci étaient toujours prêts à donner un coup de main quand nous nous déplacions sur le terrain dans leur secteur, ils étaient même prêts à aider les équipes épuration mais cette possibilité n’a été que peu exploitée. (…) Nous avions les trois gardes chefs (ex-camionnettes laboratoires) mis à disposition en permanence par le CSP et nous bénéficions du concours occasionnel des gardes et gardes chefs locaux à l’occasion des missions sur le terrain. Tous avaient le sens du terrain et de la convivialité. Ceux de terrain avaient l’impression

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d’échapper pour un temps à la tutelle de leur président de fédération, d’apprendre des choses intéressantes… Ils connaissaient les lieux et les gens ce qui nous facilitaient énormément la tâche. » Cd25

L’ingénieur qui joue le rôle de médiateur entre les universitaires et la hiérarchie du ministère établit une relation personnelle avec chaque garde pêche, s’occupant de ses possibilités de promotion, valorisant ses compétences particulières. Il acquiert auprès de cette population une légitimité personnelle très forte grâce à cette efficacité humaine.

« (…) et (…) avaient passé et réussi le concours de technicien sanitaire au CNAM. (…), outre ses connaissances techniques était le spécialiste de la logistique d’accompagnement : bons hôtels et restaurants dans la campagne, bonnes caves, … Avec (…) ils organisaient la popote au feu de bois le soir. Tout cela mettait de l’ambiance et de l’huile dans les rouages. Pas besoin de stresser les gens pour avoir un bon rendement ! (…) On a eu un super appui inestimable des gardes-pêche. Chaque fois que l’on descendait, on leur disait et on avait aussitôt 3 ou 4 gars qui nous rejoignaient. Ils avaient des véhicules. Ils étaient toujours prêts pour faire des boulots comme ça, départ 5h du matin, monter la garde la nuit, je ne sais pas si on les aurait aujourd’hui. Moyennant quoi, je ne leur comptais pas leurs heures. Evidemment, il aurait suffi de deux mauvais coucheurs et tout aurait été par terre. Si les gens s’étaient sentis en concurrence, si ils avaient été regardants sur l’horaire.» Cd25 Mais petit à petit le CSP va souhaiter récupérer ces gardes-pêche, techniciens des régions piscicoles, parce que la police de l’eau réclame au CSP du renfort dans les services déconcentrés et que le budget du CSP se restreint.

« Lorsque le CSP a récupéré ses camionnettes labo, sur une douzaine on en a gardé 3 pour faire l’appui technique au centre. Ces trois étant déchargés de leurs tournées de routine sont devenus très disponibles et nous ont beaucoup aidé. (…) Les pêcheurs, ils étaient contre les études par rivière. Et puis après, ils ont fini par récupérer ces s. Mais on a transigé. On leur a dit : ‘vos gars, il faut leur faire une formation technique.’ J’en ai pris trois. On m’a dit ensuite que j’avais pris le haut du panier. Moi, j’ai pris les plus motivés. Ils avaient une bonne humeur. C’était très convivial. On venait en appui technique aux s qui restaient au CSP. Ces trois-là ils étaient à notre disposition. Ils étaient très motivés. Ca a beaucoup aidé Y pour le terrain. Sinon, il n’aurait jamais eu ces moyens à l’université. » Cd25

« Mais un jour les pêcheurs ont fait une crise, ils ont dit, le CSP c’est l’argent des pêcheurs. Ces s leur ont été remises et ni le CSP ni les fédés n’ont maintenu l’outil. » Mc29

La directive européenne sur les eaux piscicoles adoptée en 1978 est le dernier combat mené en commun entre les scientifiques de cette équipe et les pêcheurs. Après, les difficultés internes du CSP et le relais pris par d’autres financeurs contribuent à disjoindre leurs relations.

EDF

La seconde opportunité vient d’EDF qui ressent en interne le besoin d’avoir du personnel compétent en environnement pour répondre à la pression sociale environnementaliste qui commence à exister localement. Un docteur en écologie est embauché et chargé de

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coordonner des études commandées à des tiers.

« En 1963, EDF venait de construire Montereau. A l’époque ce n’était qu’une usine thermique charbon classique avec 250 MégaWatts. Mais les gens criaient à la pollution thermique. EDF vient donc nous voir : « dites-nous jusqu’où on peut aller, qu’est-ce qu’on peut répondre ? Nous : « on n’en sait rien. Payez-nous des gens, il faut s’y mettre. » Cd25

Cette activité redoublera avec la conjonction de la reprise du programme nucléaire à partir de 1973 et l’instauration de l’étude d’impact avec la loi de 1976 sur la protection de la nature.

« On avait recruté beaucoup de bons contractuels. On fonctionnait beaucoup par crédits d'études, sur ressources extérieures. On avait des contrats, d'abord avec EDF pour des contrats pluriannuels. EDF avait une grande autonomie de gestion et se posait des problèmes assez généraux sans être soumis aux contraintes immédiates des directions de l'exploitation. Sur la problématique du réchauffement par les futures centrales nucléaires, on avait d'assez grosses études avec des campagnes régulières sur des grands cours d'eau et des chroniques du peuplement piscicole. On a fait tout un inventaire sur le Rhône pour y développer des méthodes de typologie du Rhône. » Md31

« Ce qui a permis le développement du biologique, c’est le financement des études par EDF ou la CNR. (…). EDF avait besoin d’évaluation d’impact. Les relations avec EDF étaient confiantes. Ils n’étaient pas regardants. » Mc29

« Dès 1973, il y a eu une décision du gouvernement Messmer pour faire redémarrer le programme nucléaire sur de nouvelles bases. On fermait la filière graphite-gaz et les applications militaires. Michel Hugues, au ministère de l’Equipement a choisi de développer les réacteurs à coulée légère et la filière PWR à eau pressurisée. » Ec26

En effet, alors que la température ne fait pas partie des paramètres donnant lieu à redevance, une opération de mise en équivalence est envisagée par les agences avec la reprise du programme nucléaire.

« Un jour en 1974, (…) de l’AESN arrive avec deux personnes du bureau d’étude et devant du beau monde. Il nous explique qu’il existe dans les agences un système de redevances fondées sur différentes grandeurs de qualité des eaux, les MES, la DBO, … mais rien sur la température. ‘Donc on ne peut pas taxer la pollution thermique. Mais nous savons que le bilan d’oxygène qui lui est taxable est affecté par la température. J’ai demandé au bureau (…) une étude pour montrer l’équivalence entre la température et la DBO’. J’ai vu EDF qui changeait de couleur. Les deux personnes présentent le modèle de Streeter et Phelps qui calcule le bilan des masses d’eau naturelles à partir de deux équations différentielles. (1) la consommation par les bactéries aérobies en fonction de la charge organique oxydable en fonction de la température ; (2) l’échange avec l’atmosphère qui dépend de l’écart entre la concentration à saturation et la concentration dans l’eau, ce qui dépend aussi de la température. On a donc un processus physique induit par le réchauffement sur la concentration en oxygène dissous. (…) conclut : ‘on tient donc une piste pour établir une équivalence’. Quelqu’un dans la salle (quelqu’un de la direction de l’équipement à EDF, ...) a demandé : ‘ça coûterait combien ?’ (…) a répondu, on l’a calculé pour l’ensemble du bassin de la Seine et cela ferait environ 60 milliards de francs (c’était en anciens francs). (…) a dit : ‘merci, nous allons nous réunir à nouveau’. Il a dit que nous allions leur proposer de faire des études, qu’il y avait sûrement une part de vérité que c’était à nous de la vérifier. » Ec26

A partir de ce moment-là, EDF s’équipe en interne d’une véritable cellule de recherche, étalonnant des instruments de mesure, comparant la variabilité des paramètres, organisant de l’autosurveillance sur le parc nucléaire de centrale pour toujours avoir un pas d’avance sur les

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écologistes antinucléaires dont l’opposition monte.

« En 73, la France relance son programme nucléaire. La première centrale c’est le Bugey sur le Haut-Rhône. Dans le milieu de l’écologie militante et scientifique de Rhône Alpes, on voit arriver la relance du programme hydraulique de la CNR entre 76 et 87 en même temps que le programme nucléaire. » Um49

De 1973 à 1980, EDF réalise les études préalables aux centrales nucléaires, leur réalisation n’est pas certaine. Des études d’impact sont réalisées avec d’autant plus de soin qu’une faille pourrait retarder voire ajourner un projet. Les opposants écologistes rendent ces études particulièrement stratégiques. A partir de 1980, la phase étude s’achève et les autorisations sont données. Le combat est gagné et l’effort consenti par EDF sur la surveillance va diminuer.

« Des fois EDF disait « ça fait cher la page de rapport ». Cd25

« Quand en 80-85 le programme nucléaire est arrivé, tout a été lancé. Un jour notre directeur [EDF] de l’époque nous a dit : ‘l’écologie, c’est fini’. Quand Montereau va s’arrêter, on [cellule de recherche interne en écologie] ne va plus tourner. (…) En 70, il y avait une certaine naïveté de part et d’autre. Les écolo nous disaient : ‘vous allez détruire le plancton’. On regardait. On restait dans les limites prévues. Ce programme de surveillance a eu un effet formidable sur la compréhension de ce qu’on mesurait. En 85 (avec 7-8-9 ans de recul) on savait qu’on n’allait pas stériliser la mer. Nos amis du parc nucléaire ont dit : ‘on ne va pas continuer à payer des gens qui écrivent : « il a fait plus beau que l’an dernier, il y a eu plus d’algues ».’ Ces gens, c’étaient les personnes qui travaillaient pour interpréter nos données. Il y avait (…) qui était hydrobio à Clermont, il y avait (…) à Toulouse, des gens du Cemagref, des gens de Cnexo» Ec26

Par ailleurs le mouvement écologiste devient plus politique, au-delà d’une controverse d’experts, c’est un modèle de société qui est remis en cause. La stratégie de défense des industriels consistant à embaucher en interne des personnes compétentes en écologie n’est plus adaptée aux critiques. Les associations de protection de la nature ne souhaitent plus assumer le rôle de contrôle de l’autosurveillance des industriels. Les écologistes ne discutent plus sur la mesure technique du danger mais sur les choix politiques de développement.

« Le prof (…), adhérent à la FRAPNA, un jour je le rencontre et il me dit : ‘je suis convaincu que le nucléaire n’est pas dangereux, mais de toute façon je suis contre car la véritable pollution c’est la croissance énergétique.’ Moi j’ai rétorqué : ‘c’est l’optique du tout ou rien. Vous avez tort de nous faire confiance sur le nucléaire. J’aimerai que vous regardiez mieux ce qu’on fait !’ ». Ec26

A cette époque, les effectifs la division « qualité des eaux » n’ont plus rien à voir avec ceux de l’ancienne station centrale d’hydrobiologie. Ils sont de 40 personnes à Paris, 10 à Besançon, plus quelques personnes sur le laboratoire de Montereau.

Les agences

Les agences de bassin sont un troisième financeur d’études de cette équipe. Mais les comités

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de bassin refusent de financer la recherche, qui échoit selon eux au budget de l’Etat. « Au début on est parti avec les agences avec des relations un peu personnelles, notamment avec Seine-Normandie. Mais au bout d’un moment, les agences ont considéré que les conventions qu’on avait avec elles relevaient du régime de l’appel d’offre. » Cd25

« Côté agences, c’est beaucoup plus chaotique qu’EDF. (…) Côté agences, il y a eu une période relativement intéressante du temps où nous étions sur Paris. Nous avions des conventions pluriannuelles par exemple sur les niveaux de contamination à l’échelle du bassin versant. Puis ça s’est complètement arrêté. Le problème, c’est que les Agences ont considéré qu’elles n’avaient pas à financer de la recherche. Elles étaient tenues de financer des études mais devaient mettre en concurrence sur cahier des charges. Donc qui dit cahier des charges dit plutôt étude que recherche. Donc on a fait des études mais au coup par coup et ça a été très difficile de les entraîner sur du méthodologique d’intérêt non immédiat. Je trouvais ça dommage d’ailleurs. Bon, ce n’est pas vrai pour tout, par exemple dans le GIP hydrosystèmes, ils ont financé 80% du programme national de recherche sur les zones humides. (…) C’est dommage je trouve que les recherches sur l’eau reposent uniquement sur le contribuable et non pas également sur la solidarité des pollueurs. Reste que nous avons fait quelques bonnes opérations avec les agences. Vous devez pouvoir retrouver un point que nous avons fait sur les oligochètes, diatomées et mollusques quand nous sommes arrivés à Lyon. » Md31

Le ministère de l’environnement

A partir de 1971, est créé le ministère de l’environnement. Il n’est pas doté tout de suite de services déconcentrés régionaux (les DIREN seront créées en 1981) mais la Direction de la prévention des pollutions et des nuisances coordonne l’action des Services Régionaux d’Aménagement des Eaux (SRAE) créés en 1965 au ministère de l’agriculture. Ce sont ces services qui vont réaliser le premier inventaire de la pollution puis les cartes d’objectifs de qualité et la mise à jour régulière des cartes de qualité effective. Pour coordonner l’action des SRAE, pour former le personnel et mener des recherches sur de nouveaux indices, le ministère de l’environnement va également financer cette équipe.

« (…) avait été recruté au CTGREF comme contractuel après une formation universitaire. Il a été recruté en 67-68 mais il était resté basé à Besançon et s’est entouré d’une petite équipe en bénéficiant de l’université de Besançon pour y développer une formation qui se faisait sur deux niveaux avec des modules communs, un niveau qui recrutait à bac +2 dont on sortait avec un niveau licence, donc technicien supérieur et on pouvait être embauché dans les SRAE, et un niveau qui recrutait à bac + 4 dont on sortait avec un DEA et là aussi on pouvait être recruté dans les SRAE. » Md31

La mise en mots des rivières jeunes

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