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La mise en nombres des Invertébrés Benthiques Interpréter les types

L’interprétation des types peut se faire à partir de deux sources d’information : celle qui a servi à décrire la station de prélèvement (repérage géographique de la station, température, nature des berges, météorologie, …) ; celle qui est accessible par la bibliographie disponible sur chaque espèce une fois que l’identification a été faite. Mais à la fois sur le terrain au moment du prélèvement et en salle devant la profusion et l’hétérogénéité des informations naturalistes relatives à chaque espèce, l’écologue est embarrassé par le choix possible des facteurs pouvant expliquer ses différents types. Plusieurs théories proposent des cadres interprétatifs permettant de réduire l’espace du choix.

75 En écologie, on décompose un écosystème en biotope (milieu) et en biocénose (ensemble des êtres vivant dans

ce biotope). Verneaux propose de regrouper dans des biocénotypes des espèces qui ne vivent pas forcément ensemble (certaines préfèrent les sites calcaires, les autres les sites granitiques par exemple) mais sur ces sites différents ont des préférences similaires vis-à-vis de ce que cet auteur étudie (l’axe amont-aval).

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Les théories non stabilisées

Le problème des scientifiques de la division « qualité des eaux » est de décrire des différences entre rivières sans savoir a priori l’information qui va être déterminante pour emporter la conviction. A partir de l’information naturaliste relativement stabilisée, les scientifiques des années 60 peuvent trouver dans la littérature plusieurs théories permettant d’expliquer la diversité naturelle. Les travaux du groupe Facettes permettent de les regrouper en trois paradigmes : la « nature historique », la « nature en équilibre », la « nature en flux »76.

La « nature historique » considère qu’il n’est pas possible de déterminer à l’avance quelles associations d’êtres vivants se mettent en place sur un milieu. Les phénomènes de compétition entre espèces ont bien lieu mais on ne sait pas a priori quel va être le caractère en compétition. Gleason (1926) adopte une position extrémiste en considérant que les associations sont largement le fait du hasard (Lévêque 2001b). De façon moins radicale, la biogéographie des îles (Hutchinson 1957; McArthur 1960; 1965; McArthur et Wilson 1967) propose une théorie d’explication des communautés insulaires reposant sur l’importance relative de l’extinction et de la colonisation. L’extinction dépend de la diversité d’habitats qui permet à un plus grand nombre d’espèces d’exploiter plus de niches, cela favorise une certaine robustesse des communautés. L’extinction dépend de la taille des habitats. Plus les habitats sont grands, plus les populations sont grandes et moins elles risquent de s’éteindre La colonisation est fonction de la proximité à une source de colonisation et des points de passage. Plus une île est éloignée moins elle est colonisée par de nouvelles espèces.

La « nature en équilibre » note a contrario que l’on observe, notamment en phytosociologie, une certaine régularité des communautés qui dépend du climat et du temps. Plus précisément il est possible d’établir deux gradients, l’un en fonction du temps, l’autre en fonction d’un paramètre climatique (altitude, latitude, …). Sur l’axe du temps, se succèdent des espèces pionnières (après tempête, feu, éboulement) qui disparaissent peu à peu au profit d’espèces plus caractéristiques d’un climat donné. F. Clements (1916) soutient que « le cours de la nature n'est pas erratique mais se dirige vers un état stable qui peut être déterminé avec

76 Les notions de nature en équilibre et nature en flux sont proposées par Vallauri, D. (1997). Dynamique de la

restauration forestière des substrats marneux avec Pinus nigra J.F. Arn. ssp. nigra dans le secteur haut- provençal. Trajectoires dynamiques, avancement du processus de restauration et diagnostic sur l'intégrité fonctionnelle des écosystèmes recréés. Doctorat Ecologie. 292 p., nous avons ajouté le paradigme de la nature

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précision par la science » (Lévêque 2001b). Ce stade ultime est le climax, un état d’équilibre imposé par le climat régional. Le long d’une pente, ou d’un axe nord-sud, on observe différents types de climax.

La « nature en flux » s’intéresse aux relations de dépendance des espèces entre elles. Certaines synthétisent de la matière (producteurs) d’autres dépendent de ces producteurs pour se nourrir (consommateurs). L’ensemble des espèces vivant dans un lac, par exemple, fonctionne comme un « organisme d’ordre supérieur » (Thieneman 1925 cité in Lévêque 2001b).

Dans ce contexte, l’écologie apparaît comme un compromis entre le paradigme d’équilibre et le paradigme de flux (Tansley 1925 cité par Lévêque 2001b). La théorie climacique est néanmoins la plus équipée en 1960. Des cartes phytogéographiques ont été élaborées sur toute l’Europe. Dans le domaine hydrobiologique, la règle des pentes de Huet (1949) et l’indice saprobie peuvent être considérés comme des manuels diffusant la pensée climacique, en élargissant un peu la notion de climat à celle de la pente de la rivière et de sa richesse en matière organique. Ces cartes, abaques, indices ont en commun de réduire l’information relative au mode de vie à une variable : la pente ou la matière organique et de reclasser l’information naturaliste non plus par taxon mais en fonction de la valeur de cette variable et de lui associer toutes les espèces ou taxons dont on a pu établir la préférence marquée pour une gamme de valeur de cette variable. Ces approches constituent ainsi une sorte de lecture inverse de l’information naturaliste, non plus du taxon vers le mode de vie mais du mode de vie vers les taxons.

Le grain de description nécessaire favorise une approche climacique

Ce que recherchent les scientifiques de la division « qualité des eaux », c’est un cadre théorique permettant d’expliquer la présence des espèces par de grands phénomènes qui permettraient de sélectionner dans l’information relative aux stations (facteurs abiotiques comme la température, la vitesse du courant, …) et dans l’information relative aux espèces, des variables explicatives des types identifiés. Pour cela, il faut que ces variables soient suffisamment discriminantes pour expliquer la dizaine de types trouvés.

La « nature historique » n’est pas utilisée par la division « qualité des eaux ». Elle n’a peut- être pas connaissance des publications de McArthur et Wilson qui permettent d’expliquer le hasard de la colonisation de façon déterministe. L’équipe considère peut-être alors que la référence au hasard ne donne aucune chance de construire un indicateur de qualité des eaux.

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Certains hydrobiologistes interrogés pensent qu’à cette époque, l’équipe ne se pose pas la question parce que l’écologie américaine est très théorique et s’intéresse à des échelles beaucoup plus large que celles à laquelle travaillent les scientifiques du CERAFER. Plus tard, des travaux qui considèreront les bassins versants comme des îles pour les poissons trouveront dans les travaux de McArthur et Wilson des sources d’inspiration fécondes, mais il s’agira de scientifiques motivés par les questions de changement d’échelle (Oberdorff et al. 2002). Cela peut sembler curieux que cette analogie (île – bassin versant) n’ait pas été faite par les scientifiques de l’équipe dont plusieurs étaient pêcheurs. Mais comme je l’ai dit plus haut, ce qui les motive, leur inconscient collectif sur ce qu’est une belle rivière, c’est une référence implicite aux rivières de montagne, celles dans lesquelles la grande diversité biologique n’est pas piscicole, mais invertébrée. Or une partie de ces Invertébrés sont des larves dont les adultes volent et pour lesquelles les rivières ne peuvent pas être considérées comme des îles. On constate en effet des recolonisations entre bassin versant. Ce choix pour les Invertébrés ne nuit pas aux bonnes relations entre la station et le CSP au départ, mais il jouera très nettement à la longue quand le CSP sera amené à recentrer ses activités.

La « nature en flux » est une piste explorée par l’équipe. Mais l’approche en termes de flux est encore très limitée à des notions de producteurs primaires, consommateurs primaires, secondaires, tertiaires, … qui ne sont pas très discriminantes. Le grain de description (le nombre de mots disponibles par rapport à la diversité à expliquer) est trop grossier. De plus, de nombreuses espèces ont un comportement ambigu par rapport à ces fonctions, selon leur stade de développement ou leur environnement. Ces approches en termes de flux sont donc plus utilisées pour définir la productivité des systèmes que pour la bioindication (Tufféry 1968).

La notion de climax est beaucoup plus opérationnelle puisqu’elle permet de ne pas expliciter les fonctions réalisées par les espèces mais de prendre leur répartition dans les milieux peu anthropisés comme un étalon du bon état. La diversité des espèces invertébrées vivant au fond des rivières permet un grain de description très fin.

Les chercheurs de la division « qualité des eaux » vont proposer une vision unifiée de l’évolution des édifices biologiques dans les milieux aquatiques en distinguant une évolution naturelle, sorte de succession de climax d’amont en aval et une évolution anthropique qui éloigne de cette référence en accélérant l’évolution à la fois spatiale et temporelle qui va de la rivière au lac et du lac à la forêt (Verneaux 1968). Cette vision est présentée à la figure 9. Les différents types identifiés vont être assimilés à des climax successifs. Cela va permettre de

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