• Aucun résultat trouvé

Le décret du 21 octobre 1965 crée une mission interministérielle, présidée par le DATAR comprenant un représentant de chacun des ministres concernés. Le secrétariat permanent pour l'étude des problèmes d'eau SPEPE est mis à disposition du DATAR qui en nomme le directeur. Il est institué six missions techniques de bassin et un comité technique de l'eau dans chaque région procédant à l'étude des problèmes régionaux. Dès 1966, le montant global des redevances à percevoir est lié au programme pluriannuel d’intervention (art. 17 du décret n°66-700 du 14 septembre 1966). Dans les missions techniques, les premiers ingénieurs ont pour mission d’évaluer les premiers programmes, d’en déduire la redevance et tous les problèmes pratiques relatifs à son recouvrement. Mais je n’ai pas trouvé trace de barèmes de redevance en fonction de la pollution avant le décret n° 75-996 du 28 octobre 1975 et les deux arrêtés pris le même jour. Dans ce décret, l’assiette des redevances est établie sur la base du flux de pollution rejetée en moyenne par jour au cours du mois de l’année où le rejet a été maximal (art.3). Les arrêtés de 1975 prévoient des redevances sur les matières en suspension totales, sur les matières oxydables et sur la salinité. Je vais m’intéresser ici aux opérations de traduction qui ont été faite autour des mesures des matières oxydables car elles me semblent caractéristiques des contraintes propres à la mise en œuvre des politiques de qualité d’eau. La mise en équation de la pollution (« l’utopie » selon le secrétariat général du conseil

CemOA

: archive

ouverte

d'Irstea

supérieur de la pêche) consiste à faire rentrer dans un même modèle la demande en oxygène et la demande en financement.

« Avant 1967, l’agence n’existait pas, il n’y avait qu’une mission technique de l’eau de Seine- Normandie et une association des missions techniques de l’eau au niveau national chargées de mettre en place les agences. A partir de 1967, les outils réglementaires étaient en place. Le démarrage ne dépendait plus que de nous (…). Dès 1969, nous avions des listes perfectionnées de redevables. Nous étions assez fiers de nous de pouvoir fonctionner avec un vrai budget et de faire voter un projet de travaux au comité de bassin (…). Ma motivation au départ c’est l’hydraulique. J’ai travaillé 6-7 ans au Maghreb, ensuite l’image des agences m’a attiré. La conscience de l’intérêt général, c’est une vocation. Bien sûr il y a des frustrations, mais c’est l’école du réalisme, on ne fait pas des vertus à soi tout seul (…).Ad15

« L’orientation récente ne pouvait pas être envisagée il y a vingt ou trente ans. A l’époque il y avait très peu de stations d’épuration dans le bassin. Il y avait tellement de choses à faire, on ne pouvait pas faire de bêtises. Moi, j’ai eu le bonheur de participer à la création de ces organismes. (…). La qualité des rivières est notre juge de paix, en 1974 à l’aval de Chatou il y avait 0 mg/l d’oxygène dissous et 7 espèces de poissons, en 1984 au pont de Chatou il y avait 2,5 mg/l d’oxygène dissous et 22 espèces de poissons (…). Le succès des agences de l’eau est d’avoir un budget indépendant du budget de l’Etat. Cet argent sert à construire des stations d’épuration là où il y en a besoin. Nous sommes passés de 150 à 3000 stations d’épuration en moins de 20 ans ! (…)» Ad4

L’opération de traduction permettant cette mise en relation dans une unique équation repose sur trois conventions d’équivalence. La première est une convention tarifaire permettant de fixer un taux unique de redevance pour toutes les pollutions consommatrices d’oxygène, qu’il s’agisse de matière biodégradable (mesurable en DBO) ou de matière plus « dure » (mesurable en DCO). François Valiron, le premier directeur de l’agence Seine-Normandie relate cet épisode dans l’extrait suivant. On notera qu’il admet implicitement qu’il était nécessaire d’avoir un paramètre unique, en effet, cela rend la redevance plus acceptable si ses critères sont les mêmes pour tous.

« Je me souviens - et c'était assez significatif - qu'on avait le choix pour mesurer les apports autres que les matières en suspension entre la D.B.O. et la D.C.O. et qu'on s'est posé le problème de savoir ce qu'il fallait prendre... Il y a eu de très nombreuses réunions avec les

industriels, avec les maires, avec l'Association des Maires, avec les gens du C.N.P.F.70 qui

avaient désigné des représentants des branches. On savait que l'on ferait rentrer dans le comité de Bassin des gens représentants les branches les plus polluantes : la chimie, les produits agroalimentaires, le lait, la sidérurgie et d'autres, .... On a donc discuté pour voir ce qu'on pouvait proposer et on a essayé d'engager une concertation, un dialogue. A cette époque, quand on réunissait les industriels concernés, c'était amusant car chacun reconnaissait qu'il y

70 Conseil National du Patronat Français

CemOA

: archive

ouverte

d'Irstea

avait une pollution mais personne ne voulait reconnaître que sa branche était polluante. Finalement, on a abouti petit à petit en utilisant diverses mesures faites sur un certain nombre d'effluents et des éléments recueillis dans d'autres pays, en particulier en Allemagne. On a commencé à bâtir un système et celui qui a été bâti pour mesurer les matières organiques, qui est ce mélange entre D.B.O. et D.C.O. n'a pas du tout été inventé pour des raisons techniques - là aussi c'est un peu comme le découpage en 6 agences. C'est le dispositif qui a recueilli aussi bien un avis défavorable des maires que des industriels, et, au sein des industriels, un avis défavorable des industriels de la chimie qui avaient intérêt à un système D.B.O. et des industries alimentaires qui auraient préféré la D.C.O. parce que leurs rejets avaient moins de poids en D.C.O. qu'en D.B.O.... On a choisi un système de panachage qui a fait presque l'unanimité contre. Mais cela a permis d'annihiler les observations des uns et des autres. » (Valiron 1987)

Le paramètre retenu est appelé « matières oxydables » et vaut (2DBO + DCO)/3. Chaque bassin appliquera à ce paramètre un coefficient (éventuellement décliné par zones) pour déterminer la redevance matières oxydables. Une fois que la pollution est traduite en termes financiers, elle est stabilisée.

« Pour moi, le meilleur indicateur, c’est l’argent. C’est plus expressif qu’une DBO réduite de soit disant 0,3%. Car l’argent est contrôlé au centime près. Mais la DBO c’est 300% d’erreur. Tous ces indicateurs biochimiques ne veulent pas dire grand-chose alors que les euros sont plus précis et très contrôlés. Il y a eu certes des progrès dans le domaine physico-chimique. Il reste de grandes inquiétudes dans celui du biochimique. Combien de fois la truite arc-en-ciel remue-t-elle la queue quand on lui envoie un signal ? Eh bien, ça dépend de la truite! » Ad19

La seconde traduction consiste à faire le lien entre le développement économique et la croissance démographique et la pollution. En effet, la loi de 1964 prévoit un inventaire de la pollution mais celui-ci ne se mettra en place qu’en 1971. De plus, il est plus stratégique pour les ingénieurs pionniers des agences de réfléchir en termes prospectifs sur l’évolution des pollutions que de s’en tenir à l’existant. En effet, les données prospectives sont au Commissariat au plan et à la DATAR, tandis que l’existant et le court terme dépendent d’élus locaux. Mais les données prospectives sont en habitants et en pourcentage de croissance. Il faut donc convertir ces chiffres en pollution. A cet égard le premier programme d’intervention de l’agence Seine-Normandie (1969-72) est significatif. Il mentionne que le schéma directeur de la région Ile de France (comprenant notamment les futures villes nouvelles) a permis d’élaborer un schéma général d’assainissement de la Région Parisienne et un schéma d’alimentation en eau de la Région Parisienne. A partir de ces trois documents et « pour satisfaire aux hypothèses d’urbanisme » (p.9) qui sont « un accroissement démographique de

CemOA

: archive

ouverte

d'Irstea

1,4% par an et une expansion industrielle estimée à 4% par an » (p.15), « le programme à réaliser [en assainissement] représente un montant d’investissement considérable, et il est normal que tous les pollueurs du Bassin participent à sa réalisation. (…) En attendant qu’une unité de mesure de la pollution ait été définie, les calculs auxquels nous nous sommes livrés ont été basés sur la notion d’habitant équivalent» (souligné dans le texte, p59).

L’équivalent habitant est une estimation moyenne du flux polluant produit par jour par les habitants et les industries qui déversent leurs effluents dans le réseau collectif d’une ville. Il ne s’agit pas du flux polluant d’un habitant domestique. Il s’agit du flux journalier de villes industrialisées ramené au nombre d’habitants. Les valeurs de l’équivalent habitant ainsi retenu n’ont pas de sens en zone rurale. Il incorpore une part importante de pollution industrielle. L’intérêt de cette notion est qu’elle permet la traduction des concepts prospectivistes du Plan (la population et la croissance industrielle) en pollution donc en redevance. Les services publics d’assainissement seront redevables sur la base de leurs équivalents habitants. « Les redevances des collectivités locales sont déterminées de la façon suivante : d’après la nuisance rejetée par le réseau d’assainissement majorée d’une nuisance forfaitaire pour les habitants non raccordés au réseau. Les habitants ne bénéficiant pas du tout à l’égout sont considérés comme non raccordés. » (Ibid. p.61). On retrouve ici l’hégémonie du standard européen du « tout à l’égout » mis au point en Grande Bretagne (Barraqué 1997).

Evolution de quelques paramètres de l’équivalent habitant

DBO5 DCO MOx =

(2 DBO5 + DCO) /3

MES MA MP

L’équivalent habitant71 (g/hab/jour)

arrêté du 10 décembre 1991

60 51 57 90 15 4

Tableau 15 : L’équivalent habitant permet de traduire en pollution et en redevance le développement industriel et démographique. (MA : matières azotées = azote réduit ; MP : matières phosphorées = phosphore total).

La troisième traduction consiste à traduire ces équivalents habitants en besoins financiers pour l’investissement en station d’épuration. De même que la traduction de la pollution en oxygène masque une diversité de formes de pollution et que la traduction de cette pollution en une redevance unique masque la diversité des pollueurs, la traduction des flux polluants en besoin de station d’épuration masque une diversité de solutions d’épuration. Mais le modèle

71 Ces valeurs ne semblent pas avoir évoluées depuis 1975 selon Barré et Bower (1981, p.79)

CemOA

: archive

ouverte

d'Irstea

dominant à cette époque et dans toute l’Europe est le modèle de la boue activée, c'est-à-dire après un premier filtrage de l’eau (traitement primaire), l’aération de cette eau usée filtrée à laquelle on ajoute un ferment « la boue » qui contient des bactéries digérant la matière organique (traitement secondaire). Les coûts de cette filière de traitement sont bien connus, les ingénieurs et les économistes disposent d’abaques. De plus, la réalisation de nombreuses stations d’épuration de ce type dans les différentes agences va permettre à chacune de se créer ses propres abaques en tenant compte des coûts réels constatés par bassin. Quand en 1981 Rémi Barré et Blair Bower se penchent sur le modèle agence d’un point de vue économique pour voir si la redevance est incitative, ils se basent sur ce modèle de station d’épuration pour comparer le coût de la redevance et le coût de la dépollution pour les villes et pour les industries (voir tableau 16). Ils notent d’ailleurs que la redevance peut être incitative pour les industries qui n’utilisent pas ce procédé mais un autre, moins cher (Barré et Bower 1981).

Montants annuels en francs par équivalent- habitants

Amortissement de l’investissement en capital 10,00

Coûts de fonctionnement 20,00 (si la station fonctionne)

Part de l’amortissement annuel payé par l’agence de bassin (30%) 3

Prime (contre-valeur) pour le traitement 7 (si la station fonctionne)

Prime d’aide au bon fonctionnement 1,50 (si la station fonctionne)

Total subventionné 11,50

Redevance pollution en francs par équivalent-habitants 10 (que la station fonctionne ou non)

Tableau 16 : Coûts annuels d’un traitement primaire et secondaire d’une station d’épuration municipale type comparés aux primes et redevances par équivalent habitant dans le bassin Seine-Normandie en 1978. Les hypothèses sont un amortissement des installations sur 20 ans, une efficacité de traitement de 70% et un traitement avec boues activées. Les auteurs concluent à la non-incitativité des redevances. D’après Barré et Bower (1981, p.189).

La traduction de la pollution en demande d’oxygène et son couplage aux besoins de financement permettent aux agences de l’eau de faire référence à une nouvelle structure de signification. L’équivalent habitant fait la synthèse entre le modèle subsidiaire de la Ruhr et le modèle concessif du principe pollueur payeur. Il fait référence à la citoyenneté de chacun (un homme, une voix, un équivalent-habitant) pour présenter les agences comme un outil de solidarité entre les usagers du bassin. L’ensemble de ces traductions permet aux agences les plus concernées par l’urbanisation et l’industrialisation (Seine-Normandie, Artois Picardie, Rhin Meuse) de devenir des sortes de coopératives d’achat d’oxygène. Par ailleurs toutes les agences sont concernées par la construction de réservoirs d’eau pour le soutien d’étiage, l’eau potable ou l’irrigation, voire la régulation des crues et mettent en place également une

CemOA

: archive

ouverte

d'Irstea

solidarité financière pour l’achat d’eau. Sur la base de ces différentes hypothèses de calcul, les premiers programmes d’intervention sont dimensionnés et les pollueurs paient leurs premières redevances.

2. La réaction du monde de l’hydrobiologie

Dans cette section, je vais montrer comment les acteurs qui sont insatisfaits d’une évaluation de la qualité de l’eau basée principalement sur des critères d’oxygénation vont s’organiser pour construire d’autres indicateurs. Je présenterai d’abord la scène de cette construction, la division qualité des eaux du CERAFER qui a une position stratégique entre les ministères, les organisations nationales de la pêche et les acteurs de terrain. Je présenterai ses acteurs, leurs convictions et leurs ressources. Puis je relaterai comment l’indice biotique, puis les indices biogènes ont été construits.

2.1. La division « qualité des eaux », porte-parole des pêcheurs

La loi de 1964 prévoit (art.3) la mise en cohérence de la réglementation par un inventaire de la pollution (dans un délai de deux ans) et des décrets devant fixer les critères à respecter pour les eaux brutes destinées à l’eau potable et les objectifs de qualité que chaque milieu devra respecter pour satisfaire les usages (mentionnés à l’art.1). Unis dans un rejet commun de l’équivalence entre catégories piscicoles et catégories de pollution, un collectif hétérogène va se constituer pour essayer d’élever l’ambition des objectifs de qualité.

Outline

Documents relatifs