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Elargissement de la notion de pollution avec la pensée écologique

Malgré l’usage du mot « pollution » dès le début du XXème siècle et la jurisprudence associée,

ce n’est qu’après la seconde guerre mondiale que les pêcheurs obtiendront par voie

d’ordonnance39 (3 janvier 1959), l’élargissement de la réglementation contre le braconnage

aux actions de pollution. L’article 434-1 du code rural précise : « quiconque aura jeté, déversé

ou laissé écouler, … »40. Toute l’importance des mots « laissé écouler » est soulignée par un

agent du CSP dans l’encadré 1.

Pendant vingt ans, ces revendications de pêcheurs n’obtiendront aucune suite. Elles s’accumuleront dans les bureaux administratifs de la pêche et ne seront récupérées qu’à l’arrivée des socialistes au pouvoir en 1981. Les pêcheurs, dont l’électorat n’est pas acquis à la nouvelle majorité, seront courtisés par les ministres de l’environnement successifs. En 1981, Michel Crépeau reprend ainsi à son compte les revendications des pêcheurs sur les cours d’eau non domaniaux : « Notre réseau hydrographique comprend 250 000 Km de cours d'eau dont 10% appartiennent à l'Etat et 90% sont du domaine privé. Il faut savoir qu'environ 4% des Français détiennent 90% des eaux libres. Les tendances marquées par le mercantilisme et par l'unique recherche du profit se traduisent par la multiplication des parcours de pêche loués à prix d'or (…) » (CSP 1981). La loi « pêche » de 1984 fait ainsi la synthèse entre une pensée écologique qui défend les notions d’habitat et de débit réservé pour la vie piscicole et des aspirations anciennes des pêcheurs vis-à-vis d’une obligation de gestion du patrimoine piscicole par les propriétaires riverains ou d’une compensation pour les fédérations qui s’en chargent (voir encadré 2). Elle donne aux fédérations la mission d’établir un schéma départemental de vocation piscicole et des plans de gestion. Mais l’adéquation entre la gestion piscicole et la pensée écologique ne va pas aller de soi. La remise en cause de l’alevinage au profit d’une restauration des habitats attaque le fondement cognitif de la gestion du patrimoine piscicole.

De plus, depuis 1970, l’évolution des goûts et le développement du transport favorise

39 Période des pleins pouvoirs.

40 Cet article subira plusieurs renumérotations, il est aujourd’hui l’article 432-2 du Code de l’environnement

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l’arrivée du poisson de mer sur les marchés et une certaine désaffection du poisson de rivière. Le noyau dur des pêcheurs issus du secteur industriel secondaire s’effrite avec l’essor des employés du tertiaire (Barthélémy 2003, p.159-160). Les effectifs des taxes piscicoles chutent alors régulièrement. Ils atteignent aujourd’hui moins d’un million et demi. Carole Barthélémy montre alors que les pêcheurs qui restent attachés à leur pratique sont réinvestis par les gestionnaires de l’environnement en tant que tradition en péril, patrimoine culturel à préserver. De leur côté les associations de pêcheurs s’investissent dans la lutte contre les dégradations environnementales (Gramaglia 2006). La pêche sur le domaine public fluvial est peu à peu abandonnée, la pêche en eaux libres se fait de plus en plus sur des parcours privés. Du côté des institutions, le CSP vient de disparaître avec la création de l’Office National des Eaux et des Milieux Aquatiques (loi de décembre 2006). Cette décision est prise dans un contexte de déficit financier croissant du CSP. Le déficit cumulé est estimé à 1,68 million d'euros sur cinq ans entre 1998 et 2002 malgré la prise en charge des dépenses de personnel par le ministère de l’environnement (Adnot 2003). Elle accompagne aussi une évolution lente des missions du personnel du CSP qui étaient de plus en plus des missions de police pour l’Etat. En 2001, les gardes-pêche du CSP avaient acquis le statut particulier des corps des agents techniques et des techniciens de l'environnement : « la ‘fonctionnarisation’ des gardes- pêche (…) a consacré la séparation du CSP des fédérations de pêche et son rapprochement des services de l'Etat.» (Adnot 2003). Selon le rapport du sénateur Gérard Miquel (2003), les agents du CSP se consacraient à 66% de leur temps à des missions de police de l’eau et de la pêche ce qui correspondait à 35 % des équivalents temps plein consacrés à ces missions (au CSP et dans les services déconcentrés de l’Etat).

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Une ordonnance en date du 3 janvier 1959 (JO du 6 janvier 1959 p 312) a profondément modifié les dispositions de l'article 434 du Code Rural. Jusqu'à intervention de cette ordonnance, l'article 434 du Code Rural stipulait ce qui suit : "quiconque aura jeté dans les eaux des drogues et appâts

qui sont de nature à enivrer le poisson ou à le détruire, sera puni d'une amende de 10 000 à 400 000 francs et d'un emprisonnement d'un à cinq ans. Ceux qui se sont servis de la dynamite ou d'autres produits de même nature seront passibles des mêmes peines. Les tribunaux pourront, en outre, prononcer l'interdiction de séjour pendant deux au moins et cinq ans au plus. Aucune transaction par l'Administration n'est possible pour les délits prévus par le présent article, sauf s'il s'agit de pollution involontaire provoqués par des déversements industriels".

Cet article, pour une bonne part de son texte, datait du 15 avril 1829 et n'était guère approprié, en ce qui concerne la pollution industrielle. Au surplus, dans l'imprécision de la loi, c'est finalement la jurisprudence (arrêt de la Cour de Cassation du 27 janvier 1859) qui avait étendu à la pollution industrielle les dispositions de l'article 25 de la loi du 15 avril 1829 (article devenu l'article 434 du Code Rural), alors qu'au premier abord, ces dispositions ne paraissaient viser que les

empoisonneurs et les dynamiteurs. Dans ces conditions, il parut opportun de procéder à une

révision de cet article en distinguant nettement dans la loi le fait d'user de poisons ou d'explosifs pour détruire le poisson, et le fait de la pollution par les eaux résiduaires industrielles. Ceci a conduit à diviser l'article 434 du Code Rural en deux : l'un l'article 434 se rapportant à la destruction du poison par l'emploi de poisons ou d'explosifs, l'autre, l'article 434/1 à la pollution industrielle. Ajoutons qu'à l'article 434, il a été prévu de sanctionner désormais ceux qui détruisent le poisson par l'emploi non seulement de poisons ou d'explosifs, mais aussi de procédés d'électrocution, le braconnage à l'électricité est devenu fréquent, bien que fort dangereux. Les mots "drogues et appâts" qui figuraient dans la loi étaient vraiment impropres, lorsqu'il s'agissait de pollutions par les eaux résiduaires industrielles. Aussi a-t-il été prévu pour ce qui concerne la pollution industrielle de renoncer à l'emploi de ces termes pour sanctionner désormais quiconque aura jeté, déversé ou laissé écouler dans les cours d'eau, directement ou indirectement, des substances quelconques, dont l'action ou les réactions ont détruit le poisson ou nui à sa nutrition, à sa reproduction ou à sa valeur alimentaire.

(...)

C'est une loi du 9 février 1949 qui avait introduit dans l'article 434 du Code Rural la notion de "pollution involontaire". A ce sujet, si l'on se réfère aux débats parlementaires intervenus lors de l'élaboration de cette loi, il semble bien qu'à l'époque, le législateur ait voulu englober dans la pollution involontaire, "la pollution accidentelle" (par rupture de canalisation par exemple), et que dès lors, cette pollution accidentelle pouvait, à défaut de transaction, faire l'objet de poursuites pénales, entraînant une condamnation obligatoire, à une amende et à une peine de prison, sauf octroi par les juges du bénéfices des circonstances atténuantes par application de la loi du 11 février 1951. Or, il a paru absolument excessif qu'une pollution accidentelle puisse être

considérée comme délictuelle. C'est la raison pour laquelle les dispositions en la matière de la loi

du 9 février 1949 n'ont pas été reproduites dans l'article 434-1 du Code Rural. Au surplus, les interprétations données par les tribunaux et les cours du texte incriminé de la loi du 9 février 1949 étaient assez diverses, ce qui tendait à prouver que ce texte n'était pas suffisamment explicite. Dès lors on en reviendra sans doute à la jurisprudence constante de la Cour de Cassation avant 1949, jurisprudence en vertu de laquelle la pollution "involontaire", c'est à dire dans son esprit "accidentelle" ne peut faire l'objet de poursuites au pénal, mais seulement au civil, pour réparation du préjudice causé.

L'industrie étant soumise, pour ce qui concerne la pollution des eaux, à la fois aux prescriptions du Code Rural et des lois des 19 décembre 1917, 20 avril 1932 et 21 novembre 1942 sur les établissements dangereux, insalubres ou incommodes, il a été prévu que désormais les Services chargés de la police de la pêche prendraient, avant toute transaction ou poursuite sur délit de pollution des eaux, l'avis du Service départemental des établissements classés lorsque l'usine pollueuse serait comprise parmi les établissements classés comme insalubres, incommodes ou dangereux.

Cette mesure est heureuse, car jusqu'alors, les Services susvisés, bien que s'occupant du même problème (la pollution des eaux) et, dans les cas considérés, les mêmes usines, agissaient parallèlement, et par conséquent se méconnaissaient et ne se rencontraient jamais.

Encadré 1: Extrait du discours du CSP aux fédérations de pêche (CSP 1959b) présentant la nouvelle ordonnance institutionnalisant le délit de pollution volontaire et le préjudice pour pollution accidentelle (mise en gras par GB).

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« Il est important de réaffirmer (…) que l'eau est à la fois une ressource naturelle renouvelable et milieu de vie (…) que nous devons la considérer selon un double point de vue afin de préserver ses fonctions aussi bien écologique, biologique, que technique ou symbolique. (…) Vous le savez, Mesdames et Messieurs, le gouvernement a choisi non seulement de maintenir la structure associative de la pêche, qui s'est révélée être le promoteur d'une action sociale d'envergure et le gestionnaire de notre patrimoine piscicole, mais également de la conforter en augmentant ses responsabilités, en particulier dans la gestion des ressources piscicole. (…) La seule modification apportée à l'organisation des pêcheurs est la distinction entre pêcheurs amateurs et professionnels. (…) Je le dis clairement : il faut mettre un terme au développement incontrôlé de la production hydro-électrique qui constitue une exploitation abusive de la nature (…) » (H. Bouchardeau in CSP 1983).

Encadré 2 : Extraits du discours de présentation du projet de loi pêche par la ministre de l’environnement Huguette Bouchardeau aux présidents des fédérations de pêche lors de leur Congrès en 1983. Ces propos relèvent de deux registres, celui de l’écologie et celui de la promotion de la gestion associative.

Ministères de

rattachement Services déconcentrés chargés d'une mission de police de l'environnement

Nombre d'agents affectés à des missions de police

de l'eau et de la pêche (en ETP)

Ministère chargé de

l'agriculture DDAF 393

Ministère chargé de

l'équipeme nt cellule s qualité des e aux littoralesDDE, service s de la navigation, 330

Ministère chargé de la

santé DDASS 68

Ministère de l'é cologie e t du déve loppement durable

DIREN (postes de chef de mission interservices de l'eau (MISE) affectés à titre expé rimental)

9

Autre s ministè res DRIRE, pré fe ctures 93

Brigade s dé parte mentale s 412

Brigades mobile s 28

CSP

Tableau 5 : Les différents organismes de rattachement des agents effectuant des missions de police de l’eau et de la pêche. Les agents du CSP contribuaient à hauteur de 440 équivalents temps plein (ETP) à ces missions (Source : (Miquel 2003))

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