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e que nous avons dit jusqu’ici du sacramentum comme signum chez saint Augustin, requiert maintenant une réflexion approfondie sur sa conception du signe : on s’étonnera peut-être de ce que nous n’abordions cette question qu’en un deuxième temps. Mais il nous semble que cette réflexion sur le signe, bien que normalement cadrée dans une approche philosophique, était en fait passablement “conditionnée” et favorisée par l’arrière-fond de la question sacramentelle, au sens où nous l’avons élaborée. Pour le dire un peu schématiquement, la question des signes et du langage n’aurait jamais pris aux yeux d’Augustin une telle importance s’il était resté un philosophe néo- platonicien ou même un rhéteur professionnel. Car si la question du langage et des signes est devenue si fondamentale dans l’œuvre du chrétien Augustin, c’est parce qu’il a consacré son étude et sa passion au service de la vérité à comprendre par quels signes nous pouvions entrer en communication avec Dieu, comment interpréter les signes qui nous sont proposés, soit dans la création, soit dans l’Écriture, soit dans les sacrements. Augustin est le premier penseur de l’Antiquité tardive à avoir traité si longuement et de façon si personnelle et novatrice la question du signe, parce qu’il est le premier des grands théologiens à avoir saisi que le mysterium/sacramentum de la convivialité de Dieu et de l’homme était une réalité (une res) qui incluait en elle-même, à titre de dimension constitutive, les

sacramenta comme signes, c’est à dire son ordre propre de signification.

Cela ne signifie pas, comme la reprise de l’interminable et récurrent débat sur la philosophie chrétienne pourrait le laisser croire, que la foi d’Augustin lui aurait imposé a priori une axiomatique qui fausserait l’enjeu de sa réflexion sur le signe. Mais cela oblige à prendre en compte ce fait qui fut décisif pour tout l’avenir de la réflexion sur le langage en Occident. Comme nous allons le voir, les diverses traditions philosophiques grecques avaient pris leur parti d’étudier les questions du signe et du langage de façon souvent tâtonnante et, parfois même avec une certaine défiance. De plus, le cadre “normal” de la réflexion des courants philosophiques grecs classiques sur le signe était le rapport familier des mots aux choses de ce monde, d’où la grande importance accordée à la monstration, à la

mimèsis, à la désignation de l’étant dans sa présence pratiquement immédiate. Tandis qu’Augustin,

héritier conscient et consciencieux d’une tradition d’exégèse de l’Écriture, de symbolique et de structuration cultuelle de la vie des communautés chrétiennes, et surtout de ce problème fondamental qu’est la vie chrétienne comme mysterium, comme relation de communication avec Dieu, perçoit que la question du signe et du langage n’est pas réductible à une question quasi empirique d’usage et d’instrumentalisation immédiate du signe, mais qu’il y va de la vérité de notre relation avec Dieu. Et ceci exige une nouvelle approche qui culminera dans les pages finales du De Trinitate. Faute de reconnaître la nouveauté radicale de cet aspect du problème, on risque de traiter la théorie augustinienne du signe, certes comme le fondement ou au moins comme un progrès dans ce domaine, mais sans en percevoir les tenants et les aboutissants.

Les analyses de la conception augustinienne du signe durant ces dernières décennies sont nombreuses et très fructueuses. Dans le cadre de ce travail, nous ne pouvons pas reprendre intégralement le dossier. Nous essayerons surtout de rassembler tout ce qui dans l’analyse augustinienne du signe intéresse la question de la signification sacramentelle et lui donne un éclairage nouveau. Mais auparavant, il est indispensable de consacrer un exposé historique au moins sommaire à la mise en place d’une réflexion philosophique sur le signe : si l’on a accordé à Augustin une place si décisive dans la tradition de la pensée occidentale, c’est non seulement parce qu’il est l’héritier de la tradition judéo-chrétienne dont il est capable de donner une interprétation personnelle de la plus haute importance, mais c’est aussi parce qu’il a hérité de la tradition philosophique païenne, qu’il a assimilée à sa manière, sans doute avec certaines limites, cette tradition philosophique de l’Antiquité grecque, telle que les florilèges et les traductions latines la lui transmettaient. Il nous faut donc nous replonger dans cette genèse de la réflexion philosophique sur le signe (sèmeion/signum) et en marquer les principales articulations : c’est à quoi les deux prochains chapitres seront consacrés selon un plan chronologique qui concentrera la réflexion autour de cinq “étapes” caractéristiques : les deux premières dans le présent chapitres envisageront successivement l’archéologie de la sémiologie dans le monde grec (I), puis le “contre-feu” platonicien (II), le tout se terminant par une vue synthétique de l’héritage platonicien (III) et la manière dont il a conditionné la pensée ultérieure. Puis dans le chapitre suivant, nous soulignerons les principaux apports d’Aristote (I), les innovations de la Stoa (II) et la question du langage et du silence mystiques dans le néoplatonisme (III). Après quoi, nous conclurons ce survol de la pensée grecque antique sur le signe et le langage par quelques réflexions sur le thème théologique de la præparation evangelica (IV).

I

À la naissance de la sémiologie

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