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La définition du signe : A) LE POINT DE DÉPART (LIVRE I)

C) CLASSIFICATION DES SIGNES

Sur la base de cette définition, Augustin va donc établir une classification des signes de la façon que voici :

and II, I, 1), except that all the examples given are of the signification of rather concrete signs » (The Theory of signs, pp. 11-12).

38 Ibidem.

39 Comme nous l’avons dit au début de cette étude sur le signe, nous ne voulons pas dire qu’Augustin ne fait qu’une

théologie du signe, ni qu’il fausserait volontairement une analyse philosophique du signe dans un esprit apologétique — anachronisme dérisoire en l’occurrence —, mais que le but principal étant d’élucider ces signes cachés (signa

operta) que sont les Écritures, il ne retient de la nature et de la classification des signes que ce qui lui paraît utile pour

sa recherche : comme nous le verrons, cet aspect “utilitaire” (nous dirions aujourd’hui : fonctionnel) n’empêche pas Augustin de mettre à jour des éléments très importants pour une élucidation ontologique de l’essence du signe ou du langage.

40 Comme le dit T. TODOROV, Théories du symbole, p. 39 : « La seule chose à n’être absolument pas signe ... est

Dieu ; ce qui, dans notre culture, colore réciproquement de divinité tout signifié dernier. » Ce caractère de non signifiant propre à Dieu, se double de la difficulté de le signifier. Augustin mesure cette seconde difficulté, lorsque, dans le livre I, il écrit au sujet de Dieu (De doctrina christiana I, VI, 6) : « Ai-je dit un mot, ai-je fait entendre une parole digne de Dieu ? Ah ! oui, certes, je le sens bien, je n’ai pas eu d’autre intention que de le dire. Mais si je l’ai dit, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Et pourquoi le sais-je sinon parce que Dieu est inexprimable (ineffabilis) ? Pourtant, si ce que j’ai dit était inexprimable, comment aurais-je pu le dire ? Par conséquent pas même Dieu ne saurait être dit inexprimable puisque, rien qu’en le disant, on exprime quelque chose. Il se produit là quelque contradiction dans les termes. Car si nous appelons inexprimable ce qui ne peut être exprimé, n’est pas inexprimable tout au moins ce qu’on

peut exprimer pour le dire inexprimable ». Au premier abord, on a l’impression que Dieu, la plus réelle de toutes les res

ne rentre pas dans le jeu normal de la signification. Il y a donc de difficiles mises au point à préciser pour pouvoir rendre compte de la manière dont Dieu entre dans le jeu de la signification et de la communication avec ses créatures …

« Parmi les signes, les uns sont naturels et les autres donnés41. Les signes naturels sont

ceux qui sans intention ni désir de signifier, font connaître, d’eux-mêmes, quelque chose d’autre en plus de ce qu’ils sont en eux-mêmes. C’est ainsi que la fumée signale (significat) le feu. Car elle le fait sans le vouloir, mais nous savons par expérience en observant et en remarquant les choses (rerum expertarum et animadversione et notatione

cognoscitur) que même si la fumée apparaît seule, il y a du feu dessous. Comme signes

du même genre, nous citerons encore les traces qu’imprime sur la terre un animal dans son passage. Quant au visage d’un homme irrité ou triste, il traduit le sentiment de son âme, cet homme n’eût-il aucunement la volonté d’exprimer son irritation ou sa joie »42.

Puis Augustin définit les signa data :

« Les signes donnés sont tous ceux que les êtres vivants se donnent les uns aux autres, pour montrer autant qu’ils le peuvent, les mouvements de leur âme, c’est à dire tout ce qu’ils sentent et tout ce qu’ils pensent. Notre seule raison de signifier c’est-à-dire de donner des signes, est de produire au jour et de faire passer dans l’esprit d’un autre ce que porte dans l’esprit celui qui fait le signe. »43

La classification des signes ne passe donc pas exactement par l’opposition naturels / conventionnels, ainsi qu’on l’interprète habituellement, comme si la distinction des signes provenait des signes en eux-mêmes ; mais le classement se fait par l’opposition naturels/donnés, qu’Augustin interprète en opposant les signes où la volonté humaine n’intervient pas et les signes donnés volontairement44. T. Todorov exprime cela et, s’inspirant de l’article de J. Engels, il souligne le fait

41 Ici G. COMBES traduit de façon erronée l’expression latine signa data par “signes conventionnels” : cette erreur de

traduction, souvent répétée, a pourtant été mise en évidence par un article de J. ENGELS, La doctrine du signe chez saint Augustin, in Studia Patristica, VI, ed. F.L. CROSS, Berlin, 1962, p. 366-373 : ce texte très condensé que nous

avons déjà signalé au sujet de l’expression kata sunthèkèn chez Aristote, montre également que l’expression signa data ne signifie pas conventionnel au sens de fixé arbitrairement par une communauté qui emploie ces signes (cet aspect est vrai, mais ne semble pas central pour Augustin, et cela ne concernerait que le signe dans sa “choséité” ou son “objectité” de signe), alors que l’expression signa data fait explicitement référence à l’acte de faire signe, de le donner, de l’émettre (“sens vécu”, dirait T. TODOROV).

42 De doctrina christiana II, I, 2 : « Signorum igitur alia sunt naturalia, alia data. Naturalia sunt quæ sine voluntate

atque ullo appetitu significandi præter se aliquid aliud ex se cognosci faciunt, sicuti est fumus significans ignem. Non enim volens significare id facit, sed rerum expertarum animadversione et notatione cognoscitur ignem subesse, etiam si

fumus solus appareat. Sed et vestigium transeuntis animantis ad hoc genus pertinet; et vultus irati seu tristis affectionem animi significat, etiam nulla eius voluntate qui aut iratus aut tristis est; aut si quis alius motus animi vultu indice proditur, etiam nobis non id agentibus ut prodatur. ». Nous avons souligné les expressions signifiant la non-volonté dans la relation du signe à la res ; pour Augustin, cela semble constituer une donnée essentielle.

43 De doctrina christiana II, II, 3. : « Data vero signa sunt, quæ sibi quæque viventia invicem dant ad demonstrandos,

quantum possunt, motus animi sui, vel sensa vel intellecta quælibet. Nec ulla causa est nobis significandi, id est signi dandi, nisi ad depromendum et trajiciendum in alterius animum id quod animo gerit is qui signum dat ». On remarquera qu’Augustin ajoute immédiatement que c’est de ce genre de signes qu’il va traiter. Par ailleurs, il insiste clairement sur l’intention, le vouloir dire qu’inclut ce type de signe. Sur tout ceci voir J.-Ph. REVEL, Traité des

sacrements I, 1, pp. 447-448.

44 Cf. J. ENGELS, « La doctrine du signe » ... pp. 370-371, où sont rassemblés les textes sur les signa data : outre ceux

de De doctrina christiana II, II, 3, mentionnons le très beau passage de Confessions, I, 8, 13 dans lequel il évoque son apprentissage de la parole : « J’eus recours à ma mémoire pour m’emparer des mots qui frappaient mon oreille, et quand une parole décidait un geste, un mouvement vers un objet, rien ne m’échappait, et je connaissais que le son précurseur était le nom de la chose qu’on voulait désigner. Ce vouloir m’était révélé par le mouvement du corps, langage naturel et universel que parlent la face, le regard, le geste, le ton de la voix où se produit le mouvement de l’âme qui veut, possède, rejette ou fuit (hoc autem eos velle, ex motu corporis aperiebatur, tamquam verbis naturalibus

omnium gentium, quae fiunt vultu et nutu oculorum certerorumque membrorum actu et sonitu vocis indicante affectionem animi in petendis, habendis, reiciendis fugiendisve rebus). Attentif au fréquent retour de ces paroles exprimant des

pensées différentes dans une syntaxe invariable, je notais peu à peu leur signification, et dressant ma langue à les articuler, je m’en servis enfin pour énoncer mes volontés (measque iam voluntates edomito in eis signis). Et je parvins ainsi à pratiquer l’échange des signes expressifs de nos sentiments (edere sensa cordis) ».

que « intentionnel n’égale pas conventionnel. On supposera que cette distinction est propre à Augustin : reposant sur l’idée d’intention, elle cadre bien avec son projet général qui, on l’a vu, est psychologique et orienté vers la communication »45. C’est plus tard, dans le courant du livre II, XXIV,

37, qu’Augustin parlera des signes conventionnels : « non natura, sed placito et consensione

significandi »46.

Cette classification ne relève pas de la subtilité d’exercices logiques, mais elle met en évidence ce qui, aux yeux d’Augustin, est fondamental pour déterminer ce qu’est le signe : il ne s’agit pas de remplacer la convention des signes par l’arbitraire de volontés isolées ; il s’agit de mettre en avant le fait que le signe donné est lié à l’intention concrète, en acte, de signifier. Dès lors, la distinction entre les signes naturels (= non volontaires) et les signes donnés repose en fin de compte sur le fait :

— que les premiers se donnent tels qu’ils sont et nécessitent par conséquent un esprit qui interprète la relation ontologique du signe à la res. Dans ce cas, les signes ne sont signes que pour ceux qui les perçoivent comme signes, la caractéristique de ces signes étant, pourrait-on dire, de configurer l’acte de l’esprit qui interprète (la fumée est signe du feu et non pas de la pluie).

— que les signes de la seconde espèce, indépendamment du fait de savoir s’ils sont conventionnels ou non, doivent leur existence au fait d’être “donnés” comme signes, ce qui implique tout autant le désir de communiquer (entre vivants : Augustin pose explicitement la question du langage des animaux47) que celui d’ “exprimer” une

volonté, un sentiment, une pensée48. Précisément ce que nous appelons couramment

le “vouloir dire”.

Quand Augustin précise que « c’est ce [second] genre de signes, dans la mesure où ils concernent les hommes qu’[il a] décidé d’examiner et d’étudier, car les signes donnés par Dieu et contenus dans les saintes Écritures nous ont été révélés par les hommes qui les ont rédigées »49, il a

évidemment en vue ce problème fondamental de la révélation de Dieu comme acte volontaire de manifestation aux hommes de son salut, de son mystère. Nous sommes ici au cœur du problème de la sacramentalité : c’est par des gestes et des paroles humaines que Dieu s’est fait connaître aux hommes, donc par des signes, dans la mesure où ces gestes, ces actes, ces paroles renvoient à cet aliquid aliud que sont l’agir, le vouloir et la pensée de Dieu, en faveur des hommes. Or ces signes ne sont pas naturels, car ils sont portés par une intention volontaire, un dessein : Dieu veut donner connaissance

45 T. TODOROV, Théories du symbole, p. 46. On notera que la psychologie d’Augustin n’est pas du même type que la

psychologie moderne : c’est une psychologie “métaphysique” et c’est pourquoi son analyse du langage n’a pas grand chose à voir avec les théories psychologiques modernes du langage contre lesquelles s’est élevée la linguistique moderne. C’est pourquoi il ne faut pas non plus traduire trop vite “psychologique” par “tourné vers la communication”, car pour Augustin la dimension psychologique de la signification c’est l’acte par lequel l’esprit mesure la relation du signe à la res. Soulignons par ailleurs cette réflexion très éclairante dans la suite de l’article que nous venons de citer : (cette notion d’intention) « permet de surmonter l’objection que Sextus adressait aux Stoïciens, à savoir que l’existence de signes n’implique pas nécessairement une structure logique l’engendrant : certains signes sont donnés dans la nature. » Il note aussi qu’Augustin fait ainsi la synthèse de ses prédécesseurs sur la question du signe : « Le signe d’Aristote et des stoïciens devient “signe naturel”, le symbole d’Aristote et la combinaison d’un signifiant et d’un signifié chez les Stoïciens deviennent “signes intentionnels” » (ibidem, p. 46).

46 De doctrina christiana II, XXIV, 37. 47 De doctrina christiana II, II, 3.

48 Une fois de plus, on remarquera que la relation de signification n’est absolument pas fondée sur l’opposition

sensible/intelligible, puisque je puis vouloir donner des signes de ce que j’ai ressenti (sensa).

49 De doctrina christiana II, II, 3 : signa divinitus data. Il est essentiel de voir que ce traité ne se limite pas aux signes

que sont les “mots” de l’Écriture mais les réalités-signes (dans toute l’ampleur et la diversité ontologiques des signes) : ce traité envisage le problème de la Révélation sous un angle beaucoup plus large que ne le permettrait le principe herméneutique “scriptura sola”. À la limite, on peut considérer que c’est la notion de signum datum qui permet de penser la sacramentalité fondée non pas sur le mode d’un “langage” où tout est traité comme signe verbal, mais plus originairement sur le langage comme acte de parole d’un esprit qui donne des signes, un “vouloir dire” où plutôt un acte “intentionnel” en gardant à ce terme son ambiguïté (sens courant et sens philosophique).

de ses intentions, du contenu de ce dessein. Même si Augustin ne la thématise pas encore, cette vision d’ensemble suppose implicitement que l’être spirituel, dans l’acte même de penser ou de vouloir inclut une dimension de signification, au moins au niveau de l’intention. Le caractère sensible des signes (speciem quam ingerit sensibus) l’empêche évidemment de transposer cette dimension de signification en Dieu, mais le caractère intentionnel de la Révélation divine — la volonté de donner des signes à travers des geste humains —, est désormais pleinement reconnue : à la différence du De Magistro, il y a désormais place pour autre chose que la manifestation de Dieu à travers la seule illumination intérieure. Ou plutôt, l’illumination intérieure est comme portée et suscitée par les signes que Dieu a préalablement donnés dans l’histoire d’Israël et dans l’incarnation du Fils unique. Et c’est dans cette économie générale des signa data qu’Augustin va tenter de situer les signes verbaux, le langage humain.

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