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héritage dont nous avons fait état dans le chapitre précédent et qui représente plus de trois siècles de réflexion sur la question du Mystère du Christ révélé au cœur de l’Église, allait subir en Occident une réinterprétation globale qui fut décisive pour toute la tradition théologique postérieure. Augustin, un jeune rhéteur à la cour impériale de Milan, tumultueux chercheur de Dieu depuis sa jeunesse, suivit régulièrement l’enseignement d’Ambroise et, à la suite d’un événement personnel et mystique qu’il nous décrit longuement dans les Confessions, il embrassa la foi, reçut le baptême et devint quelques années plus tard évêque d’Hippone. Formé à la rhétorique classique, connaissant bien, comme nous le verrons par la suite, les grammairiens et les théoriciens du discours, il n’est pas vraiment étonnant qu’il ait focalisé sa méditation sur mysterium et sacramentum à la lumière de ses connaissances linguistiques et notamment de la question du signe ; réservant aux chapitres suivants l’analyse de ce que représente pour Augustin la notion de signe, nous allons maintenant recenser positivement les textes et les thèmes théologiques dans lesquels Augustin assimile la notion de sacramentum à celle de signum. Inutile de dire que, formé à l’école d’Ambroise, Augustin utilisa fréquemment les termes mysterium et sacramentum ; dans une enquête très détaillée1,

C. Couturier recense quelques 2279 emplois et justifie en ces termes le classement des sens qui lui paraît le plus cohérent :

« De prime abord, deux groupes assez nets se détachent : celui des rites et celui des figures symboliques. Mais une observation un peu plus poussée montre que leur

1 C.COUTURIER, “Sacramentum” et “Mysterium” dans l’œuvre de saint Augustin, in Études Augustiniennes, ed. H.

RONDET, M. LE LANDAIS, A.LAURAS, C.COUTURIER, coll. Théologie n° 28, Paris, Aubier, 1953, pp. 161-332. E. SCHILLEBEECKX, L’économie sacramentelle, traite un peu rapidement la question en deux pages (pp. 84-86) et conclut de la façon suivante : « Tout comme mustèrion, comme présence du Christ, ne disait rien par soi-même sur la nature de cette présence, de même sacramentum en tant que tel nous laisse dans l’obscurité touchant le mode de la présence du Christ … » (p. 86). Il nous semble que ce jugement est un peu abrupt. La suite de ce travail, nous l’espérons, nous montrera comment saint Augustin a essayé, grâce à la notion de signum et à la réflexion ontologique qu’il développera à ce sujet, de retrouver ce que la notion de sacramentum risquait d’occulter derrière un formalisme d’actions cultuelles.

distinction n’est pas aussi tranchée. Si des expressions comme “sacramentum baptismi” ou “sacramentum corporis et sanguinis Christi” désignent nettement le baptême ou l’eucharistie, elles signifient tantôt le rite lui-même ou son fruit, tantôt le symbolisme du rite, tantôt le caractère mystérieux de leur action. Les rites juifs, qui sont souvent mis en relation fort étroite avec ceux du Nouveau Testament, au point qu’un même mot désigne à la fois les uns et les autres, sont d’autre part essentiellement symboliques. Enfin, la liste des rites, tant de l’Ancien que du Nouveau Testament n’est pas nettement arrêtée : les énumérations toujours fragmentaires qu’en fait Augustin, y incluent des éléments que nous rangerions sans hésitation parmi les symboles. »

« Par ailleurs, d’autres textes ne se laissent ranger ni dans l’un ni dans l’autre de ces groupes. Ils se réfèrent plutôt à la notion de mystère, au sens où nous parlons aujourd’hui du mystère de la Trinité et de l’Incarnation. Ils forment donc un groupe à part, mais dont les limites sont encore plus malaisées à tracer, essentiellement à cause du symbolisme complexe qui les enserre. »

« Malgré donc ces difficultés, […] nous avons groupé les divers textes sous trois rubriques : sacramentum-rite, sacramentum-symbole et sacramentum-mystère. »2

On retrouve donc ici toutes les nuances des termes sacramentum et mysterium tels que nous les avons développées ci-dessus et à ce titre, Augustin est vraiment l’héritier de la tradition dans sa diversité3. Il n’est donc pas étonnant que l’ampleur sémantique déconcerte de nombreux

commentateurs modernes et surtout que C. Couturier, devant le foisonnement de sens, en tire cette conclusion :

« Selon le point de vue où l’on se place, le terme sacramentum [...] sera appliqué en des sens très divers ; nous les avons rencontrés à chaque page de notre étude. Par le fait même, il devient souvent difficile de distinguer si, dans tel texte déterminé, il désigne le

signe extérieur ou la réalité cachée, ou encore les deux à la fois.

Il est facile de relever le fil pratiquement continu qui nous fait passer d’un sens à l’autre. les rites étant symboliques, viennent facilement se ranger sous le groupe des symboles ; ceux-ci s’élèvent progressivement vers les mystères par ce que comporte d’énigmatique le symbole [...] Les emplois de transition sont multiples. Ceci nous incline fortement à penser qu’une conception une préside à tous ces usages.

Est-il possible d’en discerner l’orientation essentielle ? De quoi a-t-il été question à chaque pas de notre recherche sinon du Christ ? Il est la “vie de sacrements” [...] et parce que l’Église lui est inséparablement unie, le “sacrement même” qui rend présent le Christ réalise du même coup l’unité de son corps qui est l’Église. Les Écritures ne parlent que de lui [...] Les mystères mêmes trouvent en lui, Dieu et homme, leur centre. Toutes choses convergent vers lui comme vers leur centre véritable. »4

On sent l’hésitation de l’auteur : il doit bien y avoir “une conception une” du mystère et cependant la diversité des emplois empêche d’en voir une autre que celle, finalement peu surprenante, d’une référence au Verbe incarné. À ce compte-là, il faudrait dire qu’Augustin n’a rien apporté de

2 C.COUTURIER, op. cit. p. 171. On ne peut mieux exprimer l’embarras d’une étude lexicographique qui cherche à

retrouver chez saint Augustin une classification des sens de sacramentum en fonction de ce que l’étude de la théologie systématique pouvait offrir à l’époque en ce domaine : il semblait presque impératif de partir du sens du mot sacrement dans son acception la plus étroite, le septénaire défini dogmatiquement par le concile de Trente : vouloir couler la pensée de saint Augustin dans un moule aussi déterminé devenait inévitablement un exercice de haute voltige ! Pour une présentation synthétique de sacramentum dans la perspective d’une théologie sacramentelle chez saint Augustin, voir J. FINKENZELLER, op. cit.. note 1, pp. 38-44.

3 Nous nous contentons de renvoyer le lecteur à l’analyse détaillée que donne C. COUTURIER, pp. 172 à 274, car

même si le classement qu’il propose relève d’une compréhension très “matérielle” de la théologie du

mysterium/sacramentum, il n’y a pas, à notre connaissance, d’étude plus exhaustive en langue française.

neuf à la réflexion théologique, se contentant d’orchestrer de façon plus large ce que ses prédécesseurs, Ambroise, Origène et tant d’autres, avaient pratiqué de concert ; or, il semble bien qu’Augustin ne se soit pas limité en ce domaine à assumer l’héritage. L’unité de conception de sacramentum vient du Christ, c’est évident, sinon d’où viendrait-elle pour un chrétien ? Mais nous pensons qu’Augustin a apporté quelque chose de plus, une vision théologique synthétique et très neuve qu’il s’agit maintenant de cerner de façon plus précise.

II

Unité du mystère du Christ et

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