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AMBROISE ET L’APPORT DE LA THÉOLOGIE ORIENTALE DU MUSTERION

L’entrée dans le monde latin : mysterium et sacramentum.

B) AMBROISE ET L’APPORT DE LA THÉOLOGIE ORIENTALE DU MUSTERION

Avant d’aborder l’apport de saint Augustin sur la question de la sacramentalité, il nous semble important de mentionner de façon spéciale saint Ambroise que l’on a récemment caractérisé comme « le plus grand médiateur de la théologie grecque pour l’Occident »102 et dont l’évêque d’Hippone lui-

99 D. MICHAELIDES, Sacramentum, p. 233 ; voir aussi pp. 319-334. Parmi les principaux textes de Tertullien, voir

par exemple : Adv. Marc. II, 27, 7 ; III, 5, 3 ; IV, 25, 1 ; IV, 39, 16 ; V, 6, 1-2 ; V, 11, 7 ; V, 18, 10 ; De Iejunio IX, 2 ; XIX, 2 ; De Cor. XI, 3-4 ; XV, 4 ; De Bapt. XIII, 2.

100 D. MICHAELIDES, Sacramentum, pp. 333-334 ; l’auteur reprend l’idée que Tertullien utilise le terme sacramentum

pour éviter la confusion avec les mystères des religions orientales.

101 On ne peut s’empêcher de penser que le succès des liturgies orientales auprès de certains catholiques

contemporains s’explique en grande partie par cette conception “monolithique” du mustèrion. Quand on sait à quel point la tradition occidentale a sans cesse tenu à réduire au minimum l’instance de signification sacramentelle en fonction du seul critère de l’efficacité et en garantissant sa validité par un processus de reconnaissance ou de définition juridique, on comprend que ce formalisme ait pu générer a contrario une attitude plus sensible à la connexion intime et presque spontanée entre l’action mystérique et les signes qui la manifestent. Mais la mauvaise mise en œuvre pastorale d’une intuition théologique fondée à juste titre en Occident ne doit pas en faire oublier l’importance et la profondeur.

102 « Der wichtigste Vermittler griechischer Theologie für das Abendland ». E. DASSMANN, art. « Ambrosius » in

T.R.E. II, 1978, p. 374. Même jugement de M. LOT-BORODINE, Revue de l’histoire des religions, 1933, p. 49 : « le dernier des Pères grecs avant saint Augustin ».

même a reconnu explicitement l’influence sur sa pensée et sur son œuvre théologique103 : et comme

nous allons le voir, l’œuvre d’Ambroise constitue une profonde méditation sur ce que signifie le mystère chrétien104 et cette méditation s’enracine dans la traditions des meilleurs témoins, qu’ils

soient d’Orient ou d’Occident.

Tout d’abord, il est remarquable de constater qu’Ambroise emploie aussi bien mysterium que

sacramentum et dans des sens pratiquement interchangeables : le “tabou” qui pesait sur mysterium

semble définitivement levé et tout se passe comme si mysterium avait vraiment acquis droit de cité. Pour qu’Ambroise adresse aux néophytes lesquels pourraient encore être considérés comme fragiles dans leur foi, un traité intitulé De Mysteriis, cela signifie que l’usage du terme est reconnu et accepté. Mais surtout, ce caractère interchangeable des deux termes permettra de retrouver toutes les harmoniques et les connotations que nous avions découvertes dans le Nouveau Testament et la tradition des Pères grecs. Sur ce large registre, la pensée d’Ambroise jouera avec beaucoup de finesse, en les combinant avec en plus toutes les colorations du sens “sacramental” que C. Mohrmann décelait comme essentiel dans la signification de sacramentum. À ce titre-là, il ne nous semble pas exagéré d’affirmer qu’Ambroise a eu une très profonde et durable influence dans l’émergence de la conception occidentale de la sacramentalité105 : il aura été probablement le premier écrivain de langue latine à

manifester comment le mysterium / sacramentum recouvrait pratiquement tous les aspects de la réalité chrétienne, depuis le mystère de la vie trinitaire jusqu’à la vie théologale, sans toutefois parvenir à donner la clef qui ouvre cette totalité à une intelligibilité synthétique, ce qui sera, pensons-nous, l’apport décisif de saint Augustin en ce domaine. Bref, connaissant ce qu’Ambroise doit à sa lecture des auteurs chrétiens de langue grecque106, on peut dire qu’il a “relevé le niveau” des connaissances

103 Sur ce sujet voir la synthèse très suggestive de A.-M. LA BONNARDIERE, « L’initiation biblique d’Augustin », in

Saint Augustin et la Bible, Beauchesne, Paris, 1986, pp. 27-47. Les références au témoignage personnel d’Augustin

sont surtout : Conf. V, 13 (23)-14 (24) ; VI, 3 (4) -11 (18) ; VIII, 11 (27) -12 (29) ; IX, 5 (13) : il est important de noter que pour Augustin, Ambroise « soulevait le voile mystique et découvrait un sens spirituel » (remoto mystico

velamento spiritaliter aperiret) : c’est donc une lecture secundum mysterium de l’Écriture qui devait libérer Augustin de

tous ses préjugés contre la grossièreté anthropomorphique qu’il attribuait au texte biblique et au christianisme. Faudrait-il voir là un indice de la nouveauté de style de la prédication et même de la “pastorale” de saint Ambroise par rapport à ce qu’Augustin avait pu connaître en Afrique ou dans les conventicules manichéens ? Comme A.-M. LA

BONNARDIERE le souligne p. 46, « Augustin dut entendre les instructions d’Ambroise que révèlent les deux écrits : le

De Sacramentis et le De Mysteriis. »

104 À notre connaissance, il n’existe pas actuellement une étude synthétique sur la théologie du mysterium et du

sacramentum chez saint Ambroise : ce dernier se trouve par rapport à saint Augustin dans une situation comparable à

celle de saint Justin par rapport à saint Irénée : le génie des seconds a rejeté dans l’ombre ceux-là mêmes à qui ils doivent beaucoup. Or, il fut sans doute décisif pour Augustin de découvrir la foi à travers la prédication d’Ambroise (Augustin le cite très longuement dans le De Doctr. christ. IV, 46, 48 et 50). Sur la théologie de mysterium et

sacramentum, on peut consulter : J. HUHN, Die Bedeutung des Wortes Sacramentum bei dem Kirchenvater Ambrosius,

Fulda, 1928, qui est surtout une recension des différents sens de sacramentum, sans réelle interprétation théologique ; pour l’exégèse d’Ambroise, plutôt que l’exposé de G. NAUROY, « L’Écriture dans la pastorale d’Ambroise de Milan »,

in Le monde latin antique et la Bible, ed. J. FONTAINE et C. PIETRI, Beauchesne, Paris, 1986, pp. 371-408, qui est

trop unilatéralement centré sur les fondements pastoraux de l’herméneutique biblique d’Ambroise, on lira V. HAHN, Das wahre Gesetz, Eine Untersuchung der Auffassung des Ambrosius von Mailand vom Verhältnis der beiden Testamente,

Münster, 1971, surtout pp. 387-405 et 457-466. Pour ce qui concerne la signification liturgique, l’introduction à l’édition des deux traités De sacramentis et De Mysteriis par Dom B. BOTTE, S.C. n° 25, Le Cerf, Paris, 1949 reste un

classique. On trouvera également beaucoup de notations importantes dans l’ouvrage de Henri de LUBAC, Corpus

Mysticum,Paris, 19592, qui touche à plusieurs reprises la question du mysterium et du sacramentum, à propos de

l’eucharistie, voir notamment les pages 58, 60, 103, 145-147, 211-213, 218-220, 229, 231, 234-235, 260.

105Nous ne prétendons pas pour autant, avec J. HUHN, que saint Ambroise utilisait le mot sacramentum dans le sens

devenu classique en théologie sacramentaire, erreur reprise par V. HAHN, Das wahre Gesetz, p. 388 ; on comprendra

mieux pourquoi il s’agit là d’un anachronisme après avoir vu l’apport de saint Augustin sur ce problème.

106 C’est la différence entre Augustin et Ambroise : Augustin ne pouvait pas lire aussi facilement le grec : voir par

ex. : De Doctrina Christiana, IV, XX,40.H.I. MARROU a fait le point sur la question dans Saint Augustin et la fin de

la culture antique, Paris, 19584

, pp. 27-46 : « Il sait le grec, c’est entendu, assez pour s’en servir dans le travail scientifique pour une brève vérification du texte, mais il n’a pas accès, j’entends un accès aisé, aux trésors de l’hellénisme [...] et des philosophes païens comme des Pères de l’Église orientale ; il n’a pratiqué que les seuls écrits

théologiques du mystère chrétien en Occident en le faisant équivaloir à celui qui caractérisait l’Orient à pareille époque. Nous retrouverons donc les aspects suivants :

a) Mysterium / sacramentum comme totalité

Lorsque saint Ambroise écrit : « O divinum mysterium, o evidens sacramentum »107, le

parallélisme a pour but de marquer comment le sacramentum est la dimension visible du mystère de la révélation de Dieu, et c’est pourquoi Ambroise parle du mysterium Trinitatis108. Comme nous l’avons

vu chez saint Paul, le mystère est celui de la révélation en Jésus Christ : d’où les innombrables expressions que l’on retrouve sous la plume de l’évêque de Milan et qui, notons-le, ne renvoient pas simplement aux vérités de foi comme énoncés du symbole, mais à la vérité même de l’événement révélateur et sauveur : « incarnationis sacramentum »109, expression qui servit de titre à un opuscule

d’Ambroise110 ; « [...] de cruce Christi, de morte Christi. Ibi est omne mysterium quia pro te passus est » 111 ; « mysterium passionis »112 ; « redemptionis mysterium »113 ; « mysterium crucis »114. On trouve aussi

la correspondance entre la génération éternelle du Fils signifiée par mysterium et sa génération selon la chair signifiée par sacramentum115 ; on pourrait citer beaucoup de textes qui manifestent à quel point

saint Ambroise a compris et reformulé pour la tradition théologique ultérieure, et notamment saint Augustin, cette vision d’ensemble de la théologie du mystère paulinien, telle que la théologie orientale l’avait elle-même élaborée.

b) Mysteria / sacramenta dans l’Écriture

C’est ici qu’Ambroise, sur la lancée d’Hilaire de Poitiers que l’on considère comme « le fondateur de l’exégèse latine »116, a transmis à l’Occident tous les trésors de la tradition littéraire

grecque du commentaire scripturaire, puisant aux différentes sources qu’il avait à sa disposition, de Philon aux Cappadociens, et ceci, non seulement au plan du contenu, mais au plan de la méthode : tous les commentaires ambrosiens sur l’Ancien Testament utilisent à longueur de pages ces deux termes. V. Hahn en a tenté une classification systématique en distinguant les « mystères comme indications voilées, cachées »117 : il énumère donc d’une part, les innombrables réalités qui sont ainsi

dont existait une traduction latine » (p. 37) ; cf. aussi P. COURCELLE, Les Lettres grecques en Occident, Paris, 19482,

pp. 145-153 où il montre qu’à partir de 416, Augustin connaissait un peu mieux le grec.

107 De Spiritu Sancto (mentionné ici par l’abréviation Spiritu) avec les références au C.S.E.L. vol. 79, le(s) chiffre(s)

entre parenthèses renvoyant à la numérotation de cette édition. Ici donc, Spiritu II, Prol. 1 (4-5).

108 De Sacramentis VI, 5. Voir aussi De Fide, V, 8, 91 (111). Mais on trouve aussi l’expression fidei sacramentum

pour désigner notre foi en la Trinité, Spiritu I, 3, 42 (45). On trouvera les références dans J. HUHN, Die Bedeutung, pp. 86-90.

109 De Fide, III, 12, 163 (51) dans C.S.E.L. 78.

110 De Incarnationis dominicæ sacramento, C.S.E.L. 79, ed. O. FALLER,Vienne1964, voir les références dans l’index,

sub verbo : Incarnationis sacramentum, p. 320.

111 De Sacramentis, S.C. n° 25, II, 6 et 23 : crucis illius accipis sacramentum. Cf. aussi De Mysteriis, ibidem, 14 et 18. 112 De Fide, III, 2, 9 (16). Voir aussi Spiritu III, 17, 126 (73-74) : « Quamvis adsumptionis et passionis sint

admiranda mysteria, plenitudo tamen fidei in sacramento est passionis ». On remarquera ici encore l’usage des deux termes pour désigner des réalités équivalentes, incarnation et rédemption, et le fait qu’à la phrase suivante, on a le glissement de sens de l’expression sacramentum pour désigner l’eucharistie : « Non minoris æstimo sanctæ virginis partum, sed gratius sumo benedicti corporis sacramentum ».

113 Spiritu I, 10, (114).

114 Spiritu I, Prol. (49) ; I, 9, (108).

115 De Fide, IV, 12, 163-164 (51-55) : « ut non per incarnationis sacramentum carnem dei filius adsumpsisse

videatur, sed principium sumpsisse de carne. Ego autem plane dicam carnem ejus, licet novo generationis mysterio, unius tamen naturæ fuisse nobiscum et hoc salutis nostræ sacramentum esse. »

116 J. DOIGNON, « Les premiers commentateurs latins de l’Écriture et l’œuvre exégétique d’Hilaire de Poitiers », in

Le monde latin antique et la Bible, Paris, Beauchesne, 1986, p. 510.

considérées comme des mystères, objets, institutions, personnages, événements, etc., qui ont tous pour raison d’être le fait d’indiquer le mystère du Christ, et d’autre part, les mystères « comme une réalité qui est elle-même pleine de mystère »118. Par ce deuxième sens, difficilement isolable du premier,

Ambroise veut signifier que, dans les sacramenta legis, Dieu agissait déjà et que sa présence était cachée mais réelle. On retrouve donc ici tout le système de l’exégèse typologique, entendue non pas comme une allégorie mais comme une action continue de Dieu dans l’histoire, dans l’économie du salut. Mais en outre, V. Hahn ajoute de façon significative un troisième aspect des sacramenta de l’Ancien Testament, celui des rites et du culte proprement dits, de telle sorte qu’Ambroise oppose parfois les « sacramenta veteris gratiæ » aux « sacramenta novæ gratiæ »119, ou encore le « baptisma in figura » au

« baptisma in veritate »120.

À ce registre, il convient d’ajouter les mysteria ou sacramenta de la Nouvelle Alliance, ceux dont Ambroise parle pour évoquer le miracle de la guérison de l’aveugle-né121 ou de la guérison du

paralytique à la piscine de Bézatha122, etc.

c) Les mysteria / sacramenta de la célébration chrétienne

Enfin, une large part des emplois des termes sacramenta / mysteria concerne l’usage liturgique et sacramentel123, c’est-à-dire la célébration du baptême et de l’eucharistie124 : il importe ici surtout de

souligner que le même vocabulaire sert à signifier la diversité des mystères tels que l’Écriture nous les dévoile et à parler de la célébration liturgique elle même. Tel ou tel passage particulièrement signi- ficatif nous le fera mieux saisir :

« Accipe quod dico, et anteriora esse mysteria christianorum quam judæorum et diviniora esse sacramenta christianorum quam judæorum. »125

« Summo studio probare volumus conprobare quia et antiquiora sacramenta ecclesiæ quam synagogæ et præstantiora quam manna est. »126

Dans ces deux passages, il est question de comparer le sacrement de l’eucharistie à l’épisode de la manne et ce sont les termes mysterium et sacramentum qui servent de point d’articulation de la démonstration : notons que dans le second cas, la démonstration de l’antériorité des mystères chrétiens sur les mystères juifs se fait par le recours à un mystère vétéro-testamentaire, la rencontre d’Abraham et de Melkisédek127.

118 « Eine leichte Begriffsänderung lässt in dem sacramentum legis statt eines geheimnisvollen Hinweises mehr die

geheimnisvolle Wirklichkeit sehen » Ibidem, p. 391.

119 V. HAHN, ibidem, pp. 392-393, voir note 44 qui renvoie à Exp. Luc. VIII, 52 (C.S.E.L. 32, IV, 417). 120 De Sacramentis, II, 13.

121 De Sacramentis, III, 11. 122 Ibidem, II, 6.

123 Sur la terminologie liturgique dans l’œuvre d’Ambroise, nous avons consulté M. HOHMANN, Veritas Mysterii,

Zur Liturgietheologie des heiligen Ambrosius nach De Mysteriis, Fribourg, 1988, dactyl. surtout pp. 30 et ssq. : « In den

Mysterien der Heiligen Schrift und in den heiligen Riten wird das eine, einzige Mysterium erschlossen, das Mysterium des dreieinigen Gottes, der sich in Kreuz und Auferstehung Jesu Christi geoffenbart hat, das Mysterium Jesus Christi » (p. 30). Voir également H. DE LUBAC, Corpus Mysticum, p.58 : "Le sacramentum jouerait donc plutôt le rôle de contenant, d’enveloppe par rapport au mysterium qui se cache en lui".

124 Les références et les textes sont rassemblés dans J.HUHN dans Die Bedeutung ... , pp. 17-71. 125 De Sacramentis, IV, III, 10, ed. S.C. n° 25, p. 80.

126 De Mysteriis, 44, ibidem, p. 122.

d) Sacramentum / mysterium appliqués à l’Église et à la vie des croyants

Dans cette perspective, on comprend que ceux qui célèbrent les sacramenta et qui en sont les bénéficiaires constituent l’Église comme mysterium128, que le processus même par lequel tout homme

reçoit par le baptême la vie divine soit nommé « mysteria apertionis »129 et que l’on trouve l’expression

« plena gratiæ et plena mysterii »130, manifestant ainsi que la transformation du chrétien par la grâce

est dans une continuité étroite avec tous les registres que nous avons précédemment décrits. Enfin on trouve dans le De Mysteriis cette très belle formulation : « ubi est ecclesia, ubi mysteria sua sunt, ibi

dignatur suam impertire præsentiam. »131

e) Vision d’ensemble

On a souvent fait remarquer que l’usage des termes sacramenta / mysteria manquait en quelque sorte de précision132 : pourtant, on peut comprendre la démarche intellectuelle qui permet cette

efflorescence de sens et son authentique cohérence. Tout se passe comme si Ambroise avait trois grands points de repère : le mystère de Dieu et sa révélation plénière dans le Christ, l’économie des mystères telle qu’elle nous est attestée par les Écritures, Ancien et Nouveau Testaments, la célébration liturgique et sacramentelle du mystère de notre salut dans le présent de la vie de l’Église et de ses membres. On aurait donc un point source à partir duquel partent comme deux canaux, les mystères de l’Écriture et les mystères célébrés dans l’assemblée chrétienne. Dans cette structure simple, la multiplicité des éléments (événements, épisodes, personnages, récits, objets de culte, chiffres mentionnés dans le texte biblique, gestes et objets rituels utilisés lors de la célébration liturgique et sacramentelle, effets de la grâce et réalités existentielles de la vie dans le Christ) constitue comme une immense trame infiniment diversifiée de la réalité qu’est le mystère, c’est-à-dire en fin de compte de tout ce qui touche au domaine de la relation entre Dieu et les hommes : tous ces éléments entretiennent entre eux des rapports qu’Ambroise définit le plus souvent en fonction de certains schémas provenant d’une ontologie133 des degrés d’être et surtout d’une anthropologie fondée sur les

degrés de la contemplation134, dont l’inspiration est néo-platonicienne par ses emprunts à la théorie

de la participation, mais qui s’exprime en utilisant la terminologie néo-testamentaire umbra / imago /

128 Spiritu II, Prol. 5 (34) et 10, 101 (6) parmi tant d’autres. 129 De Sacramentis, I, 2, S.C. n° 25, p. 4.

130 De Fide, V, 13, 167 (88).

131 De Mysteriis, 27, S.C. n° 25, p. 116.

132 Par exemple, dans l’ouvrage récent de V. HAHN,Die Bedeutung, p. 388 : "relative Unbestimmtheit".

133 Voir V. HAHN, Die Bedeutung ... , p. 397 pour l’usage de l’antithèse umbra/veritas, avec les références ; également

en ce qui concerne l’usage de la terminologie de la similitudo : De Sacramentis, II, 23 et VI, 3, etc. ; cf. également H. de LUBAC, Corpus mysticum, spécialement le chapitre intitulé « Vérité et Vérité », plus spécialement les pages 229- 231.

134 À ce titre-là, l’analyse proposée par H. DÖRRIE, « Das fünffache gestufte Mysterium, Der Aufstieg der Seele bei

Porphyrius und Ambrosius », in Mullus, Festschrift Th. KLAUSER, in J.A.C., Ergänzungsheft 1, pp. 79-92, au sujet du

traité De Isaac est significative : Ambroise réussit à intégrer dans son commentaire sur les personnages d’Isaac et de Rebecca qui symbolisent la recherche par l’âme humaine du salut dans le Christ, tout un traité philosophique de Porphyre qui, à partir du précepte delphique Gnôthi seauton, retraçait un itinéraire philosophique de l’âme vers le divin (manifestement inspiré de l’ascension de l’âme vers le beau dans le Banquet de Platon) en cinq étapes. Bien entendu, Ambroise modifie la terminologie néo-platonicienne en vogue à l’époque, en la transposant dans un registre biblique, essentiellement inspiré par le Cantique des cantiques. Mais il n’en reste pas moins que nous avons là un témoignage éclairant de la façon dont Ambroise imaginait l’itinéraire de l’âme à la découverte du mysterium dont voici les étapes : 1) désir de salut, l’âme est « caritatis impatiens » (De Isaac = C.S.E.L. 40, 50, 674, 4) ; 2) dialogue de l’âme avec Dieu, dans l’ombre : « cum mutua misceret adloquia, in umbra ejus requievit » (ibidem, 50, 674, 7) ; 3) la recherche mystique jouant sur la présence/absence de Dieu (ibidem, 47, 671, 15) ; 4) le transport divin : « anima

hausit mysteriorum ebrietatem cælestium et velut soporata a vino » (ibidem, 50, 673, 21) ; 5) l’éveil aux réalités qui

veritas135 ou typus / figura136.Ainsi, parvient-il à manifester la complexité des innombrables liens de

ressemblance et de dépendance, de similitude et de progression dans l’accomplissement137, avec

comme principe d’unité le Verbe de Dieu qui est à l’origine de tous les sacramenta d’hier et d’aujourd’hui :

« Ergo auctor sacramentorum quis est nisi dominus Jesus ? De cælo ista sacramenta venerunt. »138

« Ergo sermo Christi hoc confecit sacramentum (= l’eucharistie). Quis sermo Christi ? Nempe is quo facta sunt omnia. Iussit dominus, factum est cælum [...] Vide ergo quam operatorius sermo sit Christi. »139

C’est donc dans le Verbe éternel que s’enracine la diversité des mysteria et des sacramenta : on comprend pourquoi Ambroise utilise si volontiers l’expression sacramenta cælestia140 : c’est la manière

la plus sûre de manifester l’origine transcendante dans le Verbe de Dieu, de tous les éléments scripturaires ou sacramentels qui tissent la trame de l’histoire du salut. C’est aussi pourquoi il tient à souligner le caractère plus ancien des sacramenta des chrétiens par rapport à ceux des Juifs : c’est encore le moyen de manifester leur origine transcendante dans le Verbe de Dieu lui-même141.

Pour conclure ce rapide florilège ambrosien, on peut dire que l’évêque de Milan a transmis en le développant l’essentiel de ce que la tradition patristique orientale avait déjà médité à travers la notion de mustèrion. Nous dirions même qu’il en a suffisamment perçu la complexité pour ne pas la mutiler ou la systématiser de façon trop simplificatrice, ce qui implique peut-être comme “revers de la

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