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DÉPLOIEMENT DES SIGNIFICATIONS DU TERME MUSTÈRION DURANT LES PREMIERS SIÈCLES

Le passage dans la tradition théologique juive et chrétienne

B) DÉPLOIEMENT DES SIGNIFICATIONS DU TERME MUSTÈRION DURANT LES PREMIERS SIÈCLES

Notre propos n’étant pas d’écrire une histoire de la notion de mustèrion à l’époque patristique42, nous nous contenterons d’évoquer l’efflorescence des significations que suscitera

progressivement ce terme : le principe qui régira le développement de la notion de sacramentalité peut se résumer de la façon suivante. Dans la mesure où Paul est parvenu, en s’appuyant sur la notion de

mustèrion, à mettre en lumière que celui-ci désignait à la fois d’une part, la présence et l’action réelles

de Dieu au cœur de sa création et pour la sauver, et d’autre part, la variété des instances de signification qui la manifestent, le fil conducteur du développement historique de cette conception de la sacramentalité durant l’époque patristique amènerait les principaux témoins et penseurs à analyser et mettre en évidence toutes ces différentes manières de signifier l’avènement du salut dans la vie de l’humanité. Là où Paul avait tendance à tout focaliser sur l’annonce évangélique du salut comme signe majeur de son accomplissement, la vie concrète des Églises allait amener les pasteurs et les fidèles à reconnaître la complexité de l’économie des signes : la sacramentalité allait devenir en fait une auto interprétation de la vie ecclésiale comme lieu et signe de la manifestation du salut qui s’accomplit en elle. Ce processus dut s’amorcer très vite, car on peut considérer par exemple que les Actes des Apôtres sont un premier effort pour rendre compte de la complexité de ce processus. Par ailleurs, le souci de constituer des recueils de souvenirs et de textes dont les premières générations chrétiennes avaient gardé le souvenir, la codification de certaines règles liturgiques, la structuration des ministères dans les communautés, tout cela constitue en fait la manière dont les diverses communautés construisaient progressivement leur identité sacramentelle. C’est dans un tel contexte que la thématique du mustèrion fut progressivement orientée vers le domaine cultuel ; comme le remarque encore E. Schillebeeckx :

« La signification de mustèrion dans la patristique remonte au concept de mystère vétéro- et néo-testamentaire avec son double noyau : le plan rédempteur, l’économie

divine du salut réalisée dans le Christ, et la forme voilée de révélation de cette économie

qui parvient ainsi aux fidèles dans des termes, des choses, des événements extérieurement saisissables, et, plus tard dans des rites extérieurs. »43

Tout se passe comme si, au fur et à mesure que l’expérience et la vie de l’Église se ramifient et se diversifient, le terme de mustèrion, dont nous avons constaté l’extraordinaire souplesse sémantique, allait garder cette plasticité pour favoriser et réguler ce déploiement des diverses instances de signification et maintenir au cœur de cette diversité la structure sous-jacente que nous avons mise en évidence : lu dans cette perspective, le processus d’acclimatation de l’Évangile en milieu hellénistique n’a pas entraîné les phénomènes de contamination44 de dégradation ou encore d’altération que maint

42 Nous renvoyons à SCHILLEBEECKX, pp. 57-92 ; pour une présentation synthétique et plus brève de cette histoire,

voir A. SOLIGNAC, art. « Mystère », D. S., X, col. 1863-1869. 43 E. SCHILLEBEECKX,L’économie sacramentelle, p. 57.

44 Nous ne pouvons pas donner toutes les raisons qui expliquent pourquoi la confusion au plan pratique ou la

contamination entre mystères païens et mystères chrétiens ne pouvait pas vraiment se faire : nous renvoyons au bon résumé de John G. GIBBS, Creation and redemption, A study in pauline Theology, E. J. Brill, Leiden, 1971, p. 123 et la note 2. Pour mémoire, rappelons ce jugement d’un grand spécialiste de la question : « Ni dans le but que vise le mystère, ni dans les moyens qu’il emploie, l’union à Dieu n’est l’objet premier, essentiel. Le but est, selon un terme générique, la sôtèria. Et la sôtèria, c’est exactement le fait d’être sauvé du malheur, quel qu’il soit, et donc, en définitive, le bonheur, ici-bas et après la mort. Comme ce bonheur est malaisé à obtenir, l’on fait appel à des dieux

sôtères. » A.- J.FESTUGIERE, L’idéal religieux des Grecs et l’Évangile, Études bibliques, Gabalda, Paris, 19812, p. 133.

On ne peut mieux expliquer l’équivocité totale de mustèrion dans les deux registres : pour les païens, la relation personnelle du fidèle avec son dieu ne consiste pas dans un dialogue personnel où le dieu lui révélerait des projets sur un mode de relation privilégiée : il n’y pas l’ombre d’un pressentiment de ce que l’usage apocalyptique juif et la théologie paulinienne ont mis en évidence, pour la bonne raison que le concept de révélation n’a pas vraiment de sens dans le monde religieux grec (nous avons vu que l’instance de signification du mustèrion païen était à chercher plutôt dans l’explicitation rituelle. Et, d’autre part, le but visé dans l’effectuation du mystère n’est pas la communion avec le dieu ou la puissance divine, alors que, nous venons de le voir, c’était la préoccupation fondamentale de Paul dans sa

auteur de tradition surtout réformée a cru devoir dénoncer45. Au contraire, On devine, à travers le

foisonnement de l’usage patristique de ce terme, que seule, le riche contenu que constitue l’intuition de Paul au point de départ, allait permettre une évolution cohérente et théologiquement enrichissante, et que la profondeur de l’expérience spirituelle qui traverse toute la période patristique a permis d’utiliser le mot mustèrion sinon avec une grande netteté au plan sémantique, du moins avec une sûreté instinctive, dans la communion de foi à une réalité commune, celle de l’amour éternel dont les hommes avaient reçu la révélation inouïe par Jésus Christ. Le Père H. de Lubac rendra compte de façon synthétique de cette plasticité :

« Le sens originel des mots [mystère, mystique] présente ici quelque chose de confus et de fluent. Il est synthétique et dynamique. Il porte moins sur le signe apparent ou au contraire sur la réalité cachée que sur l’un et l’autre à la fois : sur leur rapport, sur

présentation du mustèrion qu’est le Christ : l’initié païen aura plutôt comme souci l’obtention du bonheur compris comme achèvement de sa nature ou de son désir. On pourra lire aussi A. LOUTH, The Origins of the Christian Mystical

Tradition, from Plato to Denys, Oxford, 1981, spécialement pp. 22-23 et 32 ; également E. SCHILLEBEECKX,

L’économie sacramentelle, pp. 70-71.

En outre, il n’est pas inutile de souligner avec Christine MOHRMANN, que l’extension sémantique de mustèrion dans la prédication chrétienne du IVe siècle s’est faite en grande partie par le biais culturel : Platon, qui à l’époque était une référence culturelle, philosophique et rhétorique primordiale, avait, à sa manière, acclimaté de façon métaphorique la terminologie des mystères à l’itinéraire philosophique. On comprend mieux alors pourquoi la dimension anthropologique de l’existence chrétienne a pu être qualifiée de mystérique par la médiation préalable d’une métaphore philosophique : C.MOHRMANN, Linguistic Problems, p. 193 ainsi que A.- J.FESTUGIERE, L’idéal, p. 46 ;

P. FRIEDLAENDER, Platon, Walter de Gruyter, Berlin , vol. I, 1964, p. 30, surtout le chap. III intitulé « Arrheton », pp. 76-89 qui constitue une synthèse suggestive et profonde sur ce que l’on pourrait appeler la “mystique” de Platon ;

cf. également le vol. III, Berlin, 1960 à propos de la transposition métaphorique de la terminologie des mystères dans

le Phédon (67 c-d, et 72 e), pp. 36-37, 43, et 51 (c’est évidemment dans le Phèdre que cette transposition est la plus élaborée, 244 a-250 c) ; voir aussi Augustin DIES, Autour de Platon, Paris, 1927, vol. II, p. 438 ssq., et H. DÖRRIE, « Das fünffach gestufte Mysterium. Der Aufstieg der Seele bei Porphyrios und Ambrosius », in Mullus, Festschrift Th.

KLAUSER, J.A.C., Ergänzungsheft 1, 1964, p. 88.

45 Sur ce thème, on trouvera un jugement très mesuré de L. BOUYER dans Mysterion, pp. 95-98. L’auteur y déve-

loppe ce qu’il avait déjà écrit dans Le rite et l’homme : sacralité naturelle et liturgie, coll. Lex orandi n° 32, Paris, Le Cerf, 1962. Sur cette question délicate, Louis Bouyer — tout comme E. Schillebeeckx d’ailleurs — a toujours maintenu ensemble deux principes : d’une part, que les signes symboliques mis en œuvre dans les sacrements n’ont pas été inventés de toutes pièces, mais qu’ils avaient un enracinement profond dans l’expérience religieuse dite “naturelle”, d’où le grand soin que cet auteur a toujours manifesté pour présenter l’apport des cultes et des religions à mystères comme un matériau à l’état brut qui symbolise le langage religieux, expression de la quête de l’humanité païenne à la recherche du divin : « Les grands actes sacramentels qui prétendent nous livrer les actes divins, ne sont possibles que par suite de ce symbolisme natif des actions de l’homme dans le monde, où il se découvre, au centre de ce monde comme l’image centrale de Dieu » (Le rite et l’homme, p. 100). Mais d’autre part, il montre que cette “reprise” par la tradition liturgique et sacramentelle de l’Église de ce matériau symbolique de la religiosité “naturelle”n’est pas une contamination par rapport à une hypothétique “pureté évangélique”, vierge de tout contact avec la culture hellénistique. En effet, cette manière aseptisée et fortement imprégnée de “kantisme”, qui oppose une foi “nouménale” purement juive en opposition radicale avec ses expressions “phénoménales” liées au paganisme et motivées par le biais d’une contamination culturelle et cultuelle provenant des philosophies et des religions hellénistiques, est un thème fondateur de la critique du libéralisme protestant (tributaire d’une conception dialectique posthégélienne de l’histoire religieuse du christianisme) : une telle approche ressurgit régulièrement bien qu’elle ne mérite plus guère de crédibilité proprement scientifique. Parmi les travaux qui ont fait date dans cette déconstruction du “mythe” de la contamination hellénistique dès la première génération chrétienne, nous pensons plus spécialement aux études de MartinHENGEL, dont nous avions fait une présentation synthétique dans un précédent travail : La

Sagesse des Anciens dans le Mystère du Verbe, Évangile et philosophie chez saint Justin, Paris, 1981 (dans l’appendice

intitulé : « L’œuvre de Martin Hengel », pp. 173-194). Il nous semble indispensable de souligner, comme le fait cet auteur, que l’osmose culturelle entre judaïsme et hellénisme est une donnée historique bien antérieure à l’expansion du christianisme et que la proportion croissante de chrétiens provenant du paganisme ne doit pas être interprétée comme un processus irréversible de dénaturation. D’un point de vue strictement historique, en tout cas, ce n’est pas plus une contamination que la transformation qu’a connue le judaïsme surtout alexandrin durant plus de trois siècles : sur ces questions, voir M. HENGEL, Judentum und Hellenismus, Studien zu ihrer Begegnung unter besonderer

leur union, sur leur implication mutuelle, sur le passage de l’un dans l’autre ou la pénétration de l’un par l’autre. »46

a) Quelques jalons : saint Justin et l’Épître à Diognète

Au deuxième siècle, le terme tel qu’il est employé par saint Justin47, par exemple, signifie

parfois de façon très claire et pour s’en démarquer, les mystères païens48, mais il a aussi des sens

théologiques, lorsqu’il désigne tel récit ou tel symbole vétéro-testamentaires49, renvoyant au « mystère

qu’est le Christ lui-même »50. Enfin, Justin utilise ce terme à plusieurs reprises pour souligner la

relation entre deux épisodes ou récits tirés de l’Écriture : comment par exemple, la bénédiction de Juda par Joseph (Gn 49) proclame “en mystère” ce qui concerne le Christ51, ou encore, à un niveau

plus général de “méthodologie exégétique”, comment la vraie lecture de l’Écriture est celle qui sait discerner ce qui est advenu en vue du “mystère du Christ”52. Nous avons démontré ailleurs comment

chez saint Justin, le terme mustèrion était solidaire d’une constellation formée d’autres vocables tels que typos, kataggèlia, sèmeion, symbolon, parabolè qui, tous, renvoient à une compréhension globale de l’histoire du salut, dans laquelle les divers événements du salut sont les manifestations diversifiées (typoi) d’un unique dessein sauveur de Dieu à l’intérieur duquel il se manifeste comme Père, Logos et Esprit53. On voit donc ici à l’état embryonnaire la méthode typologique d’interprétation des Écritures

qui fera la grandeur de l’École d’Alexandrie et qui, par Origène et les Cappadociens, s’imposera dans l’Église orientale, tandis que les traductions latines des commentaires origéniens par saint Jérôme et Rufin diffuseront ces procédés de lecture et d’interprétation en Occident54.

Un document probablement contemporain de Justin, l’Épître à Diognète, montre la manière dont est utilisé le terme mustèrion : c’est d’autant plus éclairant qu’il ne s’agit pas d’un écrit “technique”, mais de la manière dont un chrétien cultivé pouvait rendre compte de sa foi à un ami païen. La simple juxtaposition des citations parle d’elle-même :

« Leur tradition [= des chrétiens] n’a pas une origine terrestre, ce qu’ils professent conserver avec tant de soin n’est pas l’invention d’un mortel, ni ce qui est confié à leur foi une dispensation de mystères humains. »55

« Mais, ayant conçu un dessein d’une grandeur ineffable, Dieu ne l’a communiqué qu’à son Enfant. Tant qu’il maintenait dans le mystère et réservait son sage projet, il

46 H. de LUBAC, Corpus mysticum, p. 62. Même si l’auteur ne l’explicite pas, nous pensons avoir suffisamment

montré l’origine de ce « quelque chose de confus et de fluent ». Il n’est déjà pas aisé pour une sagesse humaine (philosophique) de savoir rendre compte d’elle-même et pourtant ce n’est qu’à un niveau humain ! On mesure donc d’autant la difficulté qu’il y a à rendre compte d’une expérience religieuse, surtout aussi radicalement nouvelle que celle qui était proposée par l’Évangile ...

47 Sur ce thème chez saint Justin, voir J.-Ph. REVEL, Traité des sacrements, I, 1, pp. 409-410. 48 Cf. I Apologie, 25, 27, 54, 66. II Apologie, 12.

49 Cf. Dialogue 138, 1 et 2 ; 41, 4 ; 86, 5 ; 111, 2 ; 112, 3 ; 125, 3 ; 124, 1.

50 Dialogue 115, 1. Cet emploi est intéressant dans la mesure où il montre comment Justin gardait explicitement la

signification paulinienne de ce terme. De la même façon, on retrouve dans les expressions comme “le mystère du crucifié” (Dialogue, 106, 1) ou le “mystère de la croix” (Dialogue, 131, 2 ; 97, 4 ; 94, 2 ; 91, 1 et 3 ; voir également 74, 3) le thème spécifiquement paulinien du mustèrion. Ici encore, on remarquera que Justin ne cherche pas à “naturaliser” le mystère.

51 Dialogue 100.

52 Dialogue 44, 2, voir également 76, 1.

53 Sur tout ceci, voir Daniel BOURGEOIS, La Sagesse des Anciens dans le Mystère du Verbe, pp. 49-89.

54 Sur le sens et l’usage du terme mustèrion dans l’exégèse alexandrine, voir L. BOUYER, Mysterion, chap. XI et XII.

Sur l’élaboration des sens de l’Écriture, ce sont, bien entendu, les travaux du Père H. deLUBAC, Histoire et Esprit, Paris, 1950, et les volumes de Exégèse médiévale qui traitent de la postérité médiévale de cette exégèse.

55 Épître à Diognète, VII, 1. Pour plus de détails, voir J.-Ph. REVEL, Traité des sacrements, I, 1, pp. 411-412. L’auteur

paraissait nous négliger et ne pas se soucier de nous. Mais quand il eut dévoilé par son Enfant bien-aimé et manifesté ce qu’il avait préparé dès l’origine, il nous offrit tout à la

fois : et de participer à ses bienfaits, et de voir, et de comprendre ; qui de nous s’y serait

jamais attendu ? »56

« Alors, quoique séjournant sur la terre, tu contempleras Dieu régnant dans la cité céleste, tu commenceras à parler des mystères de Dieu alors tu aimeras et admireras ceux qui sont torturés parce qu’ils ne veulent pas renier Dieu57

« Qui, en effet, dûment instruit et engendré par la bienveillance du Verbe, ne s’empresse pas d’apprendre pleinement tout ce que le Verbe a clairement enseigné à ses disciples. Le Verbe, se manifestant, le leur a manifesté, s’exprimant ouvertement, incompris des incrédules, s’expliquant à ses disciples qui reconnus par lui comme ses fidèles reçurent la connaissance des mystères du Père. C’est pour cela que le Verbe a été envoyé : pour qu’il se manifestât au monde. »58

« Par lui l’Église s’enrichit, la grâce, s’épanouissant, se multiplie dans les saints, conférant l’intelligence, dévoilant les mystères, révélant la répartition des temps. »59

On retrouve donc ici de façon claire et simple tous les éléments que nous avons soulignés dans l’approche paulinienne du mystère.

b) Un témoin du IVe siècle : Grégoire de Nazianze

Si l’on regarde la vie sacramentelle dans l’Église à partir du moment où les témoignages que nous en avons sont devenus suffisamment nombreux et détaillés, on s’aperçoit qu’ici encore, le terme

mustèrion dont on avait vu le lien possible avec le baptême en Ep 5, se met à jouer un rôle de plus en

plus net dans la liturgie60 : si on prend l’exemple de saint Grégoire de Nazianze61 qui, par ailleurs,

n’ignore pas l’usage profane voire vulgaire du terme mustèrion62, on constate qu’il l’emploie de façon

très diversifiée pour parler des réalités de la foi : bien entendu, c’est le mot qu’il utilise pour parler de la Trinité63, des noms du Fils64, de la divinisation de l’homme65 et de la signification pour nous de

56 Épître à Diognète, VIII, 9-11. 57 Épître à Diognète, X, 7. 58 Épître à Diognète, XI, 2-3.

59 Épître à Diognète, XI, 4. Pour la question du mustèrion chez Origène, nous renvoyons à la brève analyse de E.

SCHILLEBEECKX,L’économie sacramentelle, pp. 61-62 et J.-Ph. REVEL, Traité des sacrements, I, 1, pp. 412-417.

60 Sur tout ceci, on pourra lire la synthèse de L. BOUYER, ibidem, chap. XIII : « La catéchèse du IVe

siècle et le contenu mystique de la liturgie chrétienne ».

61 Nous avons choisi Grégoire parce que son vocabulaire théologique est l’un des plus précis de cette époque, mais on

retrouverait pratiquement la même diversité d’emplois — sans d’ailleurs aucun souci de rendre compte d’une telle polysémie — chez les autre Pères grecs de la même époque : voir, par exemple, l’aperçu que donne A.SOLIGNAC de

l’usage du mot par saint Jean Chrysostome dans l’art. « Mystère », D. S., X, col. 1863-1865 : cette analyse permet de constater à quel point la référence au mystère tel que le comprenait Paul est restée fondamentale pour tous ces auteurs.

62 Il parle par exemple de la charge impériale en terme de mustèrion (Discours 36,11 ed. C. MORESCHINI et

P. GALLAY,S.C.318,Le Cerf, Paris, 1985, pp. 264-265 = P.G. 35, 277 C) et il utilise souvent ce même mot, soit

pour se moquer des cultes païens (cf. Discours 4, 92, 103, 108, 109 ; Discours 5, 22, 25, 32, ed. J. BERNARDI, S.C.

309, Le Cerf, Paris, 1983 : ces textes correspondent respectivement à P.G. 35, 624 B, 640 A, 644 C, 647 A, 692 A, 693 C, 705 A ; voir également un texte qui met en parallèle le théâtre et la mystagogie chrétienne, Discours 36, 2 =

P.G. 35, 268 A-C), soit tout simplement pour parler de choses banales qu’on ne veut pas faire connaître (ibidem, 5,

31 = 704 C). On se souvient que ces deux Discours de Grégoire sont de violentes polémiques contre l’Empereur Julien.

63 Discours 27, 2 = P.G. 36, 14 B ; 31, 8 = P.G. 36, 142 C. 64 Discours 30, 16 = P.G. 36, 125 A.

65 Voir la très belle formule de Discours 38, 11 = P.G. 36, 324 A : « Comble du mystère, par son penchant vers Dieu,

l’Incarnation66. On pourra retrouver quelques emplois de mustèrion dans le sens de la méthode

typologique que nous avons rappelée à propos de saint Justin67 pour parler de la descente aux Enfers68

et, se référant à l’usage paulinien, il parle à plusieurs reprises du Christ comme mystère69 mais il est

plus significatif encore de voir comment un certain glissement s’opère : Grégoire est capable de faire jouer les deux registres liturgiques d’une part et christologique d’autre part, de manière si subtile que l’auditeur ne puisse plus savoir si l’on en est au premier ou au second registre70. C’est encore plus clair

dans le cas des catéchèses que Grégoire consacre au baptême71 ou encore dans le discours très connu

qui joue sur l’identification de son ordination sacerdotale ou épiscopale, sa situation personnelle et le mystère de la Pâque qu’il prêche ce jour-là72.

On pourrait montrer de façon plus claire encore comment saint Cyrille de Jérusalem témoigne d’un usage analogue du terme mustèrion qu’il utilise d’ailleurs presque toujours au pluriel et qui désigne pratiquement toute la vie sacramentelle et liturgique73 de la communauté chrétienne de

Jérusalem. Il semble que l’on puisse conclure ce très rapide survol en faisant nôtre ce jugement de

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