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Societas sanctorum et communio sacramentorum

B) UNE NOUVELLE SYNTHÈSE

a) La difficulté ecclésiologique posée par le donatisme

Suite à cette affirmation qui fait l’objet d’un réel consensus, Y. Congar essaye de montrer comment s’articule cette nouvelle synthèse. Le problème est le suivant : il surgit dans le cadre du schisme qu’on appelle le Donatisme selon lequel le lien entre le sacrement du baptême surtout et l’Église est si radical, si “monobloc”47 que le baptême ne peut être un véritable sacrement que dans

l’Église des saints, c’est-à-dire l’Église qui n’avait pas ou dont les ministres n’avaient pas livré les livres des Écritures au temps des persécutions48. On pourrait dire qu’on a affaire à une espèce de

“pélagianisme sacramentel”49 puisque les Donatistes ne cessent de comparer leur Église au jardin bien

clos du Cantique des Cantiques, dans lequel jaillit de façon exclusive la source du salut50. Ainsi leur

Église, dans sa pureté et dans le caractère prétendument irréprochable de ses ministres, devenait le seul lieu où les sacrements pouvaient être donnés : c’était une interprétation restrictive de la théologie de saint Cyprien, dont les Donatistes se réclamaient, selon laquelle « le vrai sujet comme le lieu de l’activité sacramentelle et salutaire est l’Église »51.

On remarquera que, pour les Donatistes, le lien entre l’Église et les actes sacramentels qu’elle pose est si fort qu’il y a pratiquement identité entre eux. On peut dire que l’ecclésiologie donatiste est

45 F. HOFMANN, Kirchenbegriff, p. 397. Bien entendu, nous ne choisissons ici que quelques citations qui montrent le

jugement d’un spécialiste sur ce lien fondamental pour Augustin entre la communauté ecclésiale et les signes sacramentels. En fait, tout le chapitre IV de la deuxième partie intitulé Kirche und Sakrament est un recueil de données positives sur cette question.

46 Yves M.J. CONGAR, Œuvres de Saint Augustin, Traités anti-donatistes, B.A. 28, Desclée de Brouwer, 1963,

Introduction, générale, pp. 80-81. Nous renverrons à ce texte en citant : Y. CONGAR,Introduction.

47 Y. CONGAR, parle d’“esprit monolithique” (Introduction, p. 46).

48 Sur toute la question historique du donatisme, l’ouvrage classique en langue française est J.-P. BRISSON,

Autonomisme et Christianisme dans l’Afrique romaine de Septime Sévère à l’invasion vandale, Paris, 1958 et, en langue

anglaise, W.H.C. FREND, The Donatist Church. A Mouvement of Protest in Roman North Africa, Oxford, 1952. Voir le jugement de Y. CONGAR, sur ces ouvrages dans son Introduction, pp. 25-32.

49 Même si Augustin (ni d’ailleurs ses commentateurs) n’a pas fait le rapprochement explicite, il est tout de même

significatif qu’il ait utilisé plusieurs fois sous forme de reproche la citation de l’Écriture « spem ponere in homine » (Jérémie, XVII, 5), par exemple Psalmus contra partem Donati, 31, B.A. 28, p. 155 et Index locorum de Petschenig,

C.S.E.L. 51, ad locum.

50 Voir pour plus de détails, Y. CONGAR, Introduction, pp. 54-55. 51 Y. CONGAR, Introduction, p. 60.

“moniste” : tout est mis sur le même plan, la réalité de l’Église comme société de purs, l’activité sacramentelle de celle-ci, la perfection morale de ses ministres, l’identification de l’Église à sa structure épiscopale et ministérielle52 et en fin de compte l’identification de l’Église dans son état actuel à sa

plénitude eschatologique53. Le Donatisme est donc un excès ecclésiologique qui faisait la raison même

de son succès et la difficulté de s’opposer à lui pour le critiquer efficacement sans risquer de “jeter le bébé avec l’eau du bain”54. Montrer que les actes sacramentels avaient une consistance propre (mais

laquelle ? et à quel niveau ?) risquait de faire basculer toute l’activité sacramentelle à un niveau purement formel, justifier une appartenance “sociologique” des croyants à l’Église55. Montrer que la

vérité de l’Église est indépendante de celle des sacrements, c’était s’exposer à nier tout ce qui avait constitué le donné théologique traditionnel qui avait été gardé de façon incontestée et surtout, cela aurait posé la question insoluble de savoir comment identifier l’Église, en dehors de ce point de repère et d’identification indispensable56.

52 Y. CONGAR, Introduction, p. 52, compare les Donatistes aux témoins de Jéhovah aujourd’hui, voulant ainsi

souligner que ce type d’ecclésiologie conduit presque inévitablement à la secte. Cette introduction ayant été écrite en 1963, l’auteur ne pouvait pas encore disposer d’un phénomène historique contemporain tout à fait parallèle et, à notre avis plus suggestif encore, celui du “Lefébvrisme” dont, à ma connaissance, on n’a jamais analysé de façon systématique les tendances donatistes : le trait le plus saillant étant l’immobilisation et la sclérose d’une société à tel point précis de son histoire (pour les Donatistes, la référence était ce qu’ils croyaient être la théologie de Cyprien, pour les “Lefébvristes” ce qu’ils croient être la théologie d’avant Vatican II ; même réaction dans le souci de constituer une Église de “purs”, même tendance excessive à identifier ecclésialité et hiérarchie, mêmes blocages sacramentels, puisque, pour les Lefébvristes, c’est l’identité et la permanence formelles des rites — ou ce qu’ils tiennent pour telle et qui se sont cristallisées de façon symptomatique autour du problème de la langue latine, “langue de toujours, langue de l’Église, langue du Christ”, d’après un dépliant publicitaire … - qui est condition de validité des actes sacramentels ; enfin, même réaction de constitution d’une Église parodiant la catholicité de la grande Église, ce qui est à la fois un comble et cependant une tendance irrépressible chez ces Ultramontains. Tout compte fait, ce parallèle est infiniment plus probant que celui des sectes issues du protestantisme, lesquelles n’ont rien d’autre en commun que « le simplisme, l’exclusivisme, le refus de venir à une considération large, objective et intelligente et l’entêtement » dont parle Y. CONGAR (Introduction, p. 52). Ces éléments ont un caractère plus anthropologique qu’ecclésial, pour la simple raison que ce type de sectes, à la différence du Donatisme ou du Lefébvrisme n’ont aucune perception d’une réalité ontologique de l’Église, à quelque niveau que ce soit. Bien entendu, chaque schisme a son profil particulier et, dans le bref parallèle que nous suggérons, il faudrait expliquer pourquoi, par exemple, en ce qui concerne les rapports entre l’Église et le monde, le même purisme au départ aboutit à des positions quasiment opposées, refus total de la culture et du monde chez les Donatistes qui manifestent ainsi un excès eschatologique (puisque leur Église est pratiquement le Royaume de Dieu sur terre, cf. Y. CONGAR, Introduction, p. 44), tandis que les Lefébvristes ont des liens avec le monde, voire “un certain monde” et “une certaine culture” qui les différencient assez profondément du Donatisme sur ce point précis.

53 Cet aspect est souligné à plusieurs reprises par Y. CONGAR, Introduction, pp. 63-64 et la note 4, p. 77, note 2. 54 On nous pardonnera l’usage maintenant classique de cette expression, d’autant plus drôle que la controverse anti-

donatiste portait en grande partie sur le baptême !

55 On ne s’est pas fait faute, même chez les historiens modernes de souligner l’opposition fausse, à notre avis, entre la

position d’Augustin qui aurait défendu le point de vue de l’Église officielle en pleine extension et bénéficiant de l’appui impérial et celui des Donatistes, cherchant à garder apparemment la pureté des origines. Sur tout ceci voir Y. CONGAR, Introduction, pp. 37-45.

56 Il serait intéressant de comprendre pourquoi c’est seulement à une époque récente dans l’histoire l’Église que la

nécessité de la vie sacramentelle pour définir l’Église a été perçue comme secondaire voire fausse : à notre connaissance, l’ouvrage qui a abordé ce problème de la façon la plus audacieuse n’a pas été écrit par un théologien de métier, mais par un philosophe et historien des idées, L. KOLAKOWSKY, Chrétiens sans Église, la conscience religieuse et

le lien confessionnel au XVIIe siècle, Paris, N.R.F. Gallimard, 1987. De façon significative, l’ouvrage ne traite que du

problème des confessions de foi et du libre examen tel qu’il apparut dans toute sa force lors de la deuxième Réforme, aux Pays-Bas, au début du XVIIe siècle, et donc dans la mouvance du protestantisme. Toutefois, il ne cache pas que cette crise interne au protestantisme concernant l’appartenance ecclésiale ne pouvait se produire ex præmissis qu’au sujet des confessions de foi : on peut lire aux pages 144-145 une analyse tout à fait remarquable au sujet de Luther et de l’impossibilité pour lui de fonder ou de réformer une Église à partir d’une analyse purement existentielle, c’est-à- dire solipsiste et incommunicable de l’expérience chrétienne. Cependant, cet auteur a trouvé une structure homologue dans le catholicisme plus spécialement mystique de la même époque, lequel dut faire face aux mêmes questions. Il analyse de façon fort suggestive la théologie de l’acte de foi chez saint Thomas d’Aquin et chez saint Jean

Ainsi donc, la crise donatiste et les difficultés théologiques qu’elle avait suscitées ne concernaient pas simplement un sacrement particulier, le baptême par exemple, ou un aspect particulier de l’Église, la sainteté par exemple, avec leurs conséquences disciplinaires et “canoniques”, mais c’était tout le problème du rapport entre Église et sacrements, ce que nous appelons précisément la “sacramentalité” de l’Église, le fait que ces deux ordres de réalités, l’Église et les sacrements, sont si radicalement liés que les Donatistes finissaient par les traiter comme une réalité unique, tirant de la façon la plus extrême certaines conséquences qui pouvaient aboutir à une dissolution interne de l’Église au nom d’un certain “purisme” sacramentel, particulièrement en ce qui concerne la question des ministres

b) Le principe de solution proposé par saint Augustin

Dans son explication de la réponse apportée par Augustin à la difficulté posée par le Donatisme57, Y. Congar distingue, d’une part, la solution des problèmes posés par les sacrements et,

d’autre part, l’attitude de fond concernant la théologie de l’Église. Or, il nous semble précisément que, par-delà les purs problèmes d’analyse et d’exposition, l’originalité de la position d’Augustin consiste précisément à n’avoir pas séparé les deux réalités, parce qu’elles sont indissociables58.

D’ailleurs, Y. Congar le suggère lui-même lorsqu’il analyse le vocabulaire employé par Augustin pour traiter de ces problèmes. Il distingue deux séries parallèles d’expressions :

— d’une part, celles qui désignent le “niveau” sacramentel de l’Église : communio sacra-

mentorum59, sacramentorum corporaliter participes60, participatio sacramentorum61, sacramentorum

visibilium consortio62, christiana sacramenta communicantes63, communicare divinis sacramentis64.

de la Croix (pp. 370-371) : « Saint Thomas d’Aquin ne considère nullement que la connaissance naturelle soit nuisible dans le domaine où on l’autorise à connaître les questions surnaturelles [...] À la différence de ce dualisme dans lequel la connaissance et la foi [...] demeurent en harmonie dans le cadre d’une supériorité hiérarchique de la foi, le dualisme de saint Jean de la Croix conduit à un antagonisme des deux voies, totalement dépourvu d’ambiguïté.

S’élever jusqu’à Dieu par l’intermédiaire des créatures non seulement est impossible, mais est un obstacle sur le chemin de l’union [...] Saint Jean de la Croix n’oppose pas deux façons de connaître le Créateur ; il oppose la connaissance tout

court à la voie unificatrice [...] « La réflexion annule la foi » ; la transformation spirituelle est l’unique objectif de la théologie, et la “compréhension” (au sens scolastique du terme) des vérités de la foi n’aide en rien à atteindre ce but » (pp. 370-371). On comprend le parallélisme qui existe entre l’expérience spirituelle de Luther et celle de saint Jean de la Croix : les contenus sont sans doute assez différents mais la structure est identique : il s’agit d’affirmer la transcendance de l’“état existentiel” de la foi par rapport à toute formulation possible, et donc par rapport à tout système de signes, qu’il soit de nature linguistique ou autre. Dans les pages qui suivent, KOLAKOWSKI cite un bref passage de La Montée du Carmel qui, s’il était appliqué littéralement au problème des sacrements, pourrait être lourd de conséquences : « [...] si la foi et la dévotion y sont, n’importe quelle image suffira ; si elles manquent, aucune ne suffira. » (Montée, Livre III, XXXVI, 3). Et notre auteur de commenter : « Le culte cérémoniel, comme moyen auxiliaire, nécessaire pour les débutants, [...] et la contemplation totalement denudata, entièrement débarrassée de tous les liens avec la matière pour les avancés. Mais pour tous, une religion qui est redevable de toutes ses valeurs à la piété intérieure du fidèle et qui utilise les objets du culte comme autant d’instruments n’ayant pas la vertu propre d’attirer les faveurs divines. L’intériorisation de la vie religieuse — l’un des traits les plus importants de l’esprit religieux de la Contre-Réforme — est incontestablement poussée très loin. » (p. 375). L’auteur ne se livre pas dans cet ouvrage à un essai de théologie sacramentaire, mais néanmoins, son analyse nous paraît suggestive : la faillite d’une théologie de la sacramentalité survient, pourrait-on dire, lorsque deux conditions historiques sont réalisées : 1) la prédominance de la subjectivité dans l’expérience religieuse, mais surtout 2) l’affirmation du caractère existentiel, singulier et inexprimable dans une quelconque forme de langage de cette expérience religieuse existentielle. Peu importe alors ce qui est mis du coté des signes (matière, corps, gestes, dévotions, rites, formes ou objets de piété) : le dénominateur commun de ce type d’expérience religieuse est l’affirmation d’une impossibilité radicale de l’expression

par signes. En fin de compte, c’est la possibilité de la sacramentalité comme langage qui est ainsi mise en question.

57 Y. CONGAR, Introduction, pp. 86-117.

58 Voir les remarques de F. HOFMANN, Kirchenbegriff, pp. 328 ssq.

59 De Doctr. christ. III, XXXII,45 ; Ep. ad Cath. 25, 74 (C.S.E.L. 52, 321) ; De Baptismo, VII, LI, 99(C.S.E.L.51,

371) ; Contra Cresc. III, XXXI,35& XXXVI,40(C.S.E.L. 52, 443 et 447) ; Epistula 93, IX,33et IX,28(C.S.E.L. 34/2, 479 et 473) ; Epistula 108, III,8 et VI, 16 (C.S.E.L. 34/2, 620 et 630) ; De civit. Dei I, XXXV (P.L. 41, 46) avec le participe connexos ; Tract. in Joh. 61, 2 (P.L. 35, 1800) ; Sermo 214, 11 (P.L. 38, 1071).

— d’autre part, celles qui désignent le “niveau” de la réalité spirituelle de la société de l’Église : congregatio sanctorum65, comparatio sanctorum66, et surtout les expressions qui reviennent

fréquemment comme societas sanctorum67 ou societas credentium68, ou enfin l’expression, à notre avis

très significative, societas Spiritus69.

L’interprétation que donne Y. Congar de ces deux séries de textes est la suivante : « Augustin parle généralement de “communio sacramentorum” et de “societas

sanctorum (ou Spiritus)”. Il y a communion ou participation à des choses : dans les

textes cités, Augustin a sans doute à l’esprit les sancta, c’est-à-dire les sacrements. Par contre, on fait société avec des personnes. »70

Et comme si l’ecclésiologue pressentait que son interprétation est un transfert quelque peu artificiel de catégories philosophiques modernes d’inspiration existentialiste71, il prend soin d’ajouter :

« Ceci n’exclut évidemment, ni l’acception de communio sanctorum au sens où nous parlons aujourd’hui de Communion des saints, ni l’usage très abondant et combien intéressant ! de communio au sens empirique d’“Église” (“communio nostra”, “communio vestra”), ni quelques cas particuliers, ni le rapprochement des deux expressions. »72

Or, cette interprétation nous semble inexacte : communio sacramentorum ne s’oppose pas à

societas sanctorum par le fait que l’opposition porterait d’une part sur les choses au sujet desquelles il y

aurait communio et d’autre part sur les personnes entre lesquelles il y aurait societas. je crois qu’il serait bien difficile de trouver une pareille distinction ou opposition chez saint Augustin, lui qui allait jusqu’à attribuer la qualification de societas à une bande de pirates, dont la cohésion sociale est généralement plus fondée sur l’acquisition du butin que sur les délices de la vie politique73 ! En fait, si

60 Contra litt. Pet. II, CVIII,247(C.S.E.L.52, 159). 61 Sermo 15, 2 (P.L. 38, 116).

62 Contra Faustum, XIX, 11 (P.L. 42, 355). 63 Epistula 9, X,42(C.S.E.L. 34/2, 485-486). 64 Epistula 108, III,7(C.S.E.L.34/2, 619). 65 De Baptismo I, XVII,26(C.S.E.L.51, 169). 66 De Baptismo VII, LI,99 (C.S.E.L. 51, 371).

67 Tract. in Joh. 26, 17 (P.L. 35, 1614) ; Sermo 149, 3 et 4 (P.L. 38, 101) ; Epistula 98, V (C.S.E.L.34, 526) ; De

civit. Dei XV, 1 (P.L. 41, 437).

68 De Baptismo I, LIII,102(C.S.E.L.51, 374). 69 Sermo 76, XIX,32et XXIII,37(P.L.38, 462 et 466).

70 Y. CONGAR, Introduction, p. 99. L’auteur a reproduit telle quelle cette interprétation dans L’Église de saint

Augustin à l’époque moderne, coll. Histoire des Dogmes III/ 3, Paris, Le Cerf, 1970, pp. 16-17.

71 Nous pensons plus spécialement aux réflexions de G. MARCEL dans son ouvrage intitulé Être et avoir.

72 Y. CONGAR, Introduction, p. 100, avec deux références : Sermo 149, 10, (P.L. 38, 803) et De Chat. rud. XIII,19

(P.L. 40, 325).

73 De civit. Dei, IV, IV :« Latrocinia quid sunt nisi parva regna ? Manus et ipsa hominum est, imperio principis

regitur, pacto societatis adstringitur, placiti lege præda dividitur ». De la même façon, pour définir ce qu’est le

populus : « Populus est cœtus multitudinis, juris consensu et utilitatis communione sociatus » (De civit. Dei, II, XXI). Ce n’est pas ici le lieu de faire la philosophie et l’économie politiques de ces textes, mais la “doctrine sociale” de saint Augustin exprimée dans ce chapitre mériterait la plus grande attention : elle est radicalement opposée à la théorie moderne dont fait état Y. CONGAR, qui oppose le plan de l’échange des biens (l’économie ou échange des choses régie par l’intérêt qui est vivement critiqué dans les certains milieux chrétiens) à celui des relations politiques (relations entre les personnes). Or, l’échange des choses n’est pas une déchéance dans l’existence humaine par rapport à la vie relationnelle entre les personnes. Le domaine de l’échange plus encore que celui de la production des biens (à l’encontre de ce que pensait Marx) est un domaine de vie sociale qui a ses lois propres et ses exigences propres et il ne faut pas se hâter, soit de le réduire à la dimension politique, soit de le refouler dans le domaine ténébreux et

l’on veut expliquer correctement le principe de la solution augustinienne du problème ecclésiologique posé par le donatisme, on est forcé de revenir à la définition du sacramentum comme signum. En effet, les deux séries de textes que nous avons cités ci-dessus s’expliquent bien plus simplement, si l’on comprend qu’Augustin envisage l’Église, soit comme société des saints, dans la réalité ontologique de la communion, soit comme communion ou communication sacramentelle, dans le langage sacramentel par lequel et dans lequel est signifiée cette communion ontologique. Il ne fallait donc pas opposer les

personnes aux choses mais montrer le lien entre société et langage dans lequel et par lequel cette société se

dit : res et signa. Si les sacramenta sont des signa, inutile de dire que l’évêque d’Hippone pense aux

sancta dont il n’est d’ailleurs pas question dans les différents textes cités. Alors que les verbes ou les

substantifs employés parlent par eux-mêmes : communicare et communio désignent précisément l’action de communication et d’échange de signes (lesquels peuvent être des choses, mais ce n’est pas la raison formelle de l’échange), tandis que la societas désigne tout simplement la réalité ontologique du lien social entre les saints, à la fois niveau préalable aux échanges de signes et réalité en vue de laquelle a lieu cet échange de signes que constitue l’activité sacramentelle. Si l’on ajoute à cela le fait que la societas est plusieurs fois désignée comme societas Spiritus, nous comprenons mieux que la réalité de l’Église n’est pas simplement la société des croyants close sur elle-même, mais aussi la convivialité de Dieu avec les hommes.

c) En quoi consiste la sacramentalité de l’Église ?

L’interprétation d’Y. Congar que nous pensons être inexacte, consiste finalement à projeter des schémas philosophiques d’inspiration moderne sur la pensée ecclésiologique d’Augustin : comment expliquer qu’il assimile la communio sacramentorum à un échange de choses, sinon par le fait qu’il admet implicitement que pour Augustin les sacramenta relèveraient de l’ordre des choses, des rites, des réalités qui font nombre ou qui s’additionnent à la réalité de la societas, alors que précisément, c’est par un mouvement de pensée inverse qu’Augustin est arrivé à sortir de l’impasse ecclésiologique du donatisme ? Comment, dans ce cas, expliquer qu’Augustin ait maintenu le terme

communio pour signifier un échanger de biens matériels, alors que le vocabulaire latin comporte tout

un registre lexicographique avec les nombreux dérivés de merx (=marché), et notamment commercium qui correspond exactement à ce que suggère Congar ? Un écrivain latin de la classe d’Augustin n’aurait jamais accepté une telle imprécision terminologique. Et donc, au risque de schématiser, mais pour mieux faire saisir notre propre lecture, nous proposons un “modèle” de compréhension, dans

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