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Une réprobation intemporelle universellement partagée

Dans le document Les distinctions dans le droit de la filiation (Page 138-141)

L’ETABLISSEMENT INTERDIT DU DOUBLE LIEN DE FILIATION

A) La réprobation des relations incestueuses

1 Une réprobation intemporelle universellement partagée

« L’ethnologie et l’anthropologie moderne attestent l’existence, dans toutes les sociétés, même les plus tolérantes, d’un code sexuel fait d’interdits et de prescrits propres à endiguer et à transformer en forces sociales les pulsions tumultueuses et souvent destructrices d’une exubérance sexuelle libérée de tout frein physiologique. L’existence aussi d’un réseau plus ou moins strict de règles de mariage et de parenté en marge desquelles il n’est pas permis de créer librement de la parenté »37.

La façon dont sont appréhendées les relations sexuelles entre un homme et une femme appartenant au même groupe, en raison d’un lien de parenté ou d’alliance, en demeure le meilleur exemple.

De telles relations sont dites « incestueuses », ce qui signifie en latin « non

chaste »38. Qualifiée de « souillure »39, l’inceste constitue l’un des tabous les plus fondamentaux de la société humaine et a toujours été, à de rares exceptions près, universellement prohibé.

Déjà sous l’Antiquité, le mythe d’Œdipe révèle que les dieux, médiatisés par les oracles, et les hommes, proscrivent unanimement une telle pratique.

37

M-Th. MEULDERS-KLEIN, « La personne, la famille et le droit… », op. cit. note 21, p. 161.

38

Inceste : substantif masculin, du latin incestus, adjectif (in, castus : non chaste). Ass. H. Capitant, « Vocabulaire juridique » (dir. G. CORNU), PUF, 1998.

39

Pour la religion chrétienne, c’est le péché par excellence. Dans sa première lettre aux Corinthiens, Saint Paul40 condamne l’« inconduite telle qu’on ne la trouve même

pas chez les païens », celle qui consiste à vivre « avec la femme de son père ». Cette

union est formellement défendue dans la loi juive ainsi que dans le droit romain. L’orateur engage vivement ses « frères » à exclure celui qui se comporte ainsi.

Cinq cents ans après, les conciles d’Adge en 506 et d’Epaone en 517 s’étendent un peu plus sur le sujet : « lorsque quelqu’un épouse la veuve de son frère ou la sœur de sa

femme décédée ou sa belle-mère, sa cousine germaine, ou une cousine issue de germains, ces mariages sont défendus ». Ils précisent toutefois, par souci de préserver le

caractère indissoluble du mariage chrétien, que les unions visées qui auraient été contractées antérieurement ne seront pas cassées41.

Les conciles de Clermont en 535, d’Orléans en 538 et 541, puis de Paris après 556, ajoutent à la liste l’union matrimoniale avec « la tante paternelle ou maternelle, la

belle-fille ou la fille de celle-ci ». Ceux des VIIème et VIIIème siècles se contentent de réaffirmer les interdits précédemment consacrés.

Ce n’est qu’au concile de Verberie qu’apparaissent les degrés de parenté prohibés :

« Les cousins à la troisième génération qui se marient doivent être séparés »42. Toujours en considération de l’indissolubilité (de principe) de l’engagement conjugal contracté devant Dieu, il est prévu que « ceux qui se trouvent entre eux à la quatrième

génération être mariés ne doivent pas être séparés, cependant à l’avenir les mariages entre cousins au quatrième degré ne sont plus autorisés ».

Renouvelé à Compiègne, Arles, Mayence, puis à Rome le 14 avril 1059, l’empêchement est porté au septième degré de parenté. Il faut attendre le concile de Latran, en 1215, pour que la prohibition soit ramenée au quatrième degré de parenté.

Ajoutons qu’est assimilé à l’inceste le mariage entre personnes attachées par des liens spirituels, c’est-à-dire ceux créés par les sacrements du baptême et de la confirmation : un parrain ne peut épouser sa filleule, une marraine son filleul.

40

Saint Paul, Première épître aux Corinthiens, 5, 1-17 : « On entend dire partout qu’il y a chez vous un

cas d’inconduite et d’inconduite telle qu’on ne la trouve même pas chez les païens : l’un de vous vit avec la femme de son père. Et vous êtes enflés d’orgueil ! Et vous n’avez pas plutôt pris le deuil afin que l’auteur de cette action soit ôté du milieu de vous ? Pour moi, absent de corps mais présent d’esprit, j’ai déjà jugé comme si j’étais présent celui qui a commis une telle action : au nom du Seigneur Jésus, et avec son pouvoir, lors d’une assemblée où je serai spirituellement parmi vous, qu’un tel homme soit livré à Satan [expression désignant sans doute l’exclusion au moins momentanée du coupable hors de la

communauté chrétienne] pour la destruction de sa chair, afin que l’esprit soit sauvé au jour du

Seigneur ».

41

« De plus, si quelqu’un se marie avec la veuve de son oncle du côté paternel ou du côté maternel, ou

bien avec sa belle-fille, ou quiconque contracterait à l’avenir une union illicite qui doit être dissoute, aura la liberté d’en contracter ensuite une meilleure », autrement dit avec un autre partenaire.

42

Des personnages célèbres de notre Histoire se sont trouvés concernés. Ainsi de Guillaume de Normandie et de Mathilde de Flandre qui, descendant tous les deux du premier comte de Normandie Rollon, étaient parents au cinquième degré. Ils passèrent outre, quitte à se brouiller quelque temps avec le clergé de Normandie. Finalement, c’est l’abbé Lafranc du Bec-Hellouin, avec qui le duc Guillaume de Normandie s’était réconcilié, qui permit aux époux, en se rendant à Rome pour plaider leur cause, d’obtenir une dispense. Celle-ci fut accordée en 1059 sous réserve que les intéressés fassent bâtir, chacun, un monastère43.

La levée de l’empêchement à mariage remonte donc à une époque plus ancienne que le Code Napoléon44.

En revanche, le droit a abandonné les sanctions dont étaient assortis les avertissements. Le concile de Tribur45, par exemple, énonçait que « celui qui aura

péché avec les deux sœurs passera le reste de ses jours dans la pénitence et dans la continence. La seconde des sœurs sera condamnée à la même peine, si elle savait la faute de la première. Si elle l’ignorait elle fera pénitence, mais pourra se marier ».

L’époque franque, comme l’époque impériale et les temps féodaux prévoyaient déjà, de manière minutieuse, quelles unions devaient être réprouvées. Le Code civil a continué dans cette voie, quoique dans un sens plus libéral, puisque certaines prohibitions ont disparu et que d’autres peuvent être levées par dispense.

Est aujourd’hui prohibée la célébration de l’union, en ligne directe, « entre tous les

ascendants et descendants, et les alliés dans la même ligne »46, en ligne collatérale,

« entre le frère et la sœur »47, enfin « entre l’oncle et la nièce »48 ainsi qu’entre « la

tante et le neveu »49.

Notons que les textes sont applicables à l’enfant ayant fait l’objet d’une adoption, simple50 ou plénière51. Pour cette dernière, la mise en œuvre de la règle à l’égard de la famille par le sang n’est pas évidente, car il se peut que la filiation d’origine de l’adopté n’ait jamais été établie.

43

C’est là l’origine des deux abbayes de Caen : l’abbaye aux Hommes (église Saint Etienne) et l’abbaye aux Dames (église de la Trinité).

44

Les autorités qui la délivrent ne sont bien évidemment plus les mêmes, puisqu’il s’agit désormais du président de la République, autorité laïque et non pas religieuse. Les conditions d’octroi ont également changé. Cf. infra.

45

En 895.

46

C. civ., art. 161 : « En ligne directe, le mariage est prohibé entre tous les ascendants et descendants, et

les alliés dans la même ligne ».

47

C. civ., art. 162 : « En ligne collatérale, le mariage est prohibé entre le frère et la sœur ».

48

C. civ., art. 163 : « Le mariage est encore prohibé entre l’oncle et la nièce […] ».

49

C. civ., art. 163 : « Le mariage est encore prohibé entre […] la tante et le neveu ».

50

C. civ., art. 364, al. 2 : « Les prohibitions au mariages prévues aux articles 161 à 164 du présent code

s’appliquent entre l’adopté et sa famille d’origine ». Art. 366 s’agissant de l’adoptant et de sa famille.

51

C. civ., art. 356, al. 1er : « L’adoption confère à l’enfant une filiation qui se substitue à sa filiation

d’origine : l’adopté cesse d’appartenir à sa famille par le sang, sous réserve des prohibitions au mariage visées aux articles 161 à 164 ».

S’agissant de l’adoption simple, le législateur apporte quelques précisions en raison des particularités de cette forme d’adoption, qui pourraient soulever quelques interrogations quant aux unions prohibées. L’article 366 du Code civil dispose : « le lien

de parenté résultant de l’adoption s’étend[ant] aux enfants de l’adopté, le mariage est prohibé : 1° Entre l’adoptant, l’adopté et ses descendants ; 2° Entre l’adopté et le conjoint de l’adoptant ; réciproquement entre l’adoptant et le conjoint de l’adopté ; 3° Entre les enfants adoptifs du même individu ; 4° Entre l’adopté et les enfants de l’adoptant »52.

Enfin, l’article 342-7 du même code prévoit que « le jugement qui alloue les

subsides crée entre le débiteur », qui n’est alors qu’un père possible53, « et le

bénéficiaire, ainsi que, le cas échéant, entre chacun d’eux et les parents ou le conjoint de l’autre, les empêchements à mariage réglés par les articles 161 à 164 […] ».

Que ce soit en Grèce, à Rome ou en France, qu’il s’agisse du Droit canon, des lois laïques ou bien des coutumes, l’union entre parents ou alliés, à un degré variable suivant les sociétés et les époques, a été et est encore interdite.

Devant une telle unanimité dans la réprobation de l’inceste, il est intéressant de s’interroger sur les raisons pouvant expliquer cet interdit.

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