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L’établissement majoritaire du lien maternel

Dans le document Les distinctions dans le droit de la filiation (Page 149-152)

L’ETABLISSEMENT INTERDIT DU DOUBLE LIEN DE FILIATION

A) L’établissement majoritaire du lien maternel

En raison des règles entourant l’établissement des liens de filiation, c’est la maternité qui demeure très majoritairement établie en premier.

La simple désignation de la mère dans l’acte de naissance suffit, en vertu de l’article 311-25, à établir la filiation maternelle. Celle-ci sera donc établie, dans la plupart des cas, dès la naissance.

L’établissement de la paternité, nécessairement hors mariage107, oblige quant à elle à effectuer une reconnaissance. Or, cette démarche intervient généralement après l’indication du nom de la mère dans l’acte de naissance.

106

A. BRETON, « L’enfant incestueux », op. cit. note 13, p. 319.

107

La reconnaissance prénatale, encore qu’elle ne prendra effet qu’à la naissance de l’enfant et que l’acte de naissance dressé à ce moment là désigne généralement la mère (hors le cas d’accouchement sous X), pourrait constituer une solution favorable pour le père, à condition toutefois qu’elle intervienne avant une éventuelle reconnaissance prénatale de la part de la gestatrice. On s’en remettra alors à l’ordre chronologique pour résoudre le problème, solution impliquée par l’article 310-2 du Code civil lui-même :

« la filiation étant établie à l’égard de l’un ». Cependant, déterminer qui a établi la

filiation en premier peut parfois s’avérer difficile.

Imaginons que le géniteur effectue la reconnaissance au moment où a lieu la désignation de la mère dans l’acte de naissance ou que les deux événements se produisent à quelques instants d’intervalle : l’état d’une personne et toute la vie d’un enfant pourraient dépendre de quelques minutes, voire de quelques secondes…

Et comment annoncer à la femme qui a accouché de l’enfant qu’elle a porté en elle pendant neuf mois qu’elle ne peut être la mère de cet enfant aux yeux de la loi ? Reconnaissons toutefois qu’un tel cas de figure ne devrait quasiment jamais se présenter.

Pratiquement toujours établie en premier, la maternité sera exclusive de la paternité si l’on se trouve dans l’une des hypothèses d’empêchements à mariage intéressant l’article 310-2 du Code civil.

Les juges semblaient avoir trouvé dans l’adoption simple une solution pour le géniteur.

Est ici visée une affaire intéressant une enfant conçue entre demi-frère et demi-sœur. Ces derniers l’ont tous deux reconnue. Mais le procureur de la République a réclamé que la seconde reconnaissance soit annulée en raison de l’identité de filiation paternelle des protagonistes. Le Tribunal de grande instance de Tours a fait droit à cette demande sur le fondement de l’article 334-10, désormais article 310-2, du Code civil, annulant en l’occurrence l’acte du géniteur. L’enfant a ensuite été reconnue, de manière complaisante, par un autre homme ayant épousé sa mère puis divorcé. Comme il arrive généralement dans ces cas là, l’ex-mari a obtenu l’annulation de l’acte dont la sincérité était absente. C’est alors que le père biologique a déposé une requête en adoption simple de l’enfant. Celle-ci a été d’abord rejetée, le 7 avril 1999, par le Tribunal de grande instance de Saint-Malo invoquant l’inceste, puis accueillie par la Cour d’appel de Rennes, le 24 janvier 2000108, au terme d’un raisonnement contestable109.

108

CA Rennes, 24 janv. 2000, Dr. fam., 2003, chron. 29, comm. D. FENOUILLET ; RTDciv., 2000, p.p. 819-821, J. HAUSER.

109

Les magistrats d’appel ont affirmé que l’adoption de son propre enfant n’était pas interdite par la loi110. Il est vrai, en effet, qu’aucun texte ne prohibe expressément l’adoption intrafamiliale111, que celle-ci est pratiquée depuis longtemps et qu’elle est admise de façon constante par la jurisprudence. Cependant, on ne peut nier la perturbation qu’une telle adoption entraîne dans les structures de la parenté en modifiant les liens intrafamiliaux.

Les juges ont aussi déclaré que « l’adoption simple, ne modifiant pas une filiation

biologique, ne p[ouvai]t être assimilée à la reconnaissance d’un enfant » et donc être

visée par l’interdiction inscrite à l’article 334-10 (ancien). Or, il ressort des travaux préparatoires à la loi du 3 janvier 1972 que l’intention du législateur était de conférer au texte une portée absolue. L’exclusion de l’adoption se justifie en ce que cette institution n’a pas pour finalité de « doter l’enfant d’un parent biologique interdit par la loi »112. Admettre qu’un homme puis adopter l’enfant qu’il a conçu avec sa demi-sœur revient donc à consacrer une fraude à la loi que l’intérêt de l’enfant ne saurait légitimer.

L’intérêt de l’enfant est certes un critère d’appréciation de l’opportunité de l’adoption, mais il n’en est pas l’unique condition. En outre, est-il vraiment de l’intérêt d’un enfant issu d’un inceste absolu d’être adoptée par son géniteur ? La réponse est certes positive d’un point de vue matériel. Mais c’est là une vision bien réductrice de l’intérêt de l’enfant. Quant à son intérêt moral, la réponse semble négative au regard de la construction de son identité et de la détermination de sa place dans l’ordonnancement familial, sans compter la confusion des rôles entre les différents membres de la famille.

L’intérêt de l’enfant ne serait-il pas davantage un prétexte à la réalisation d’un désir d’adulte ? Par l’inscription de la filiation à l’état civil, le demi-frère de la mère « ne

cherchait-il pas principalement à rendre le lien qui l’unit à sa fille conforme à la loi sociale ? Indirectement, ne cherchait-il pas à obtenir cette même légitimation pour le couple qu’il formait avec sa demi-sœur ? »113.

L’arrêt a été cassé par la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation qui, le 6 janvier 2004, a affirmé que la requête en adoption (simple) « contrevient aux dispositions

110

La juridiction du fond s’est ainsi servie « d’une fiction, l’adoption, pour couvrir une réalité, le lien

biologique de filiation ». Or, comme l’observe Elisabeth PAILLET, il est assez « paradoxal que biologique et fiction aillent de pair » (« L’enfant incestueux : enfant-clone », op. cit. note 88, p. 320).

111

Les juges invoquaient l’art. 348-5 c. civ. (« Sauf le cas où il existe un lien de parenté ou d’alliance

jusqu’au sixième degré inclus entre l’adoptant et l’adopté, le consentement à l’adoption des enfants de moins de deux ans n’est valable que si l’enfant a été effectivement remis au service de l’aide sociale à l’enfance ou à un organisme autorisé pour l’adoption ») qui, a contrario, admet l’adoption intrafamiliale

(art. 348-5 a contrario : s’il existe un tel lien de parenté ou d’alliance entre les intéressés, la remise effective de l’enfant de moins de deux ans au service ou organisme visé n’est pas une condition de validité du consentement à l’adoption de cet enfant).

112

D. FENOUILLET, note civ. 1ère, 6 janv. 2004, op. cit. note 9, p. 19.

113

Comme une « sorte de légitimation par les œuvres ». D. FENOUILLET, « L’adoption de l’enfant incestueux par le demi-frère de sa mère… », op. cit. note 4, p. 8.

d’ordre public édictées par l’article 334-10 du Code civil interdisant l’établissement du double lien de filiation en cas d’inceste absolu »114.

Loin de condamner la réponse des hauts magistrats, les rédacteurs de l’ordonnance de 2005 l’ont confirmée en faisant apparaître, dans le texte de l’article 310-2, leur volonté de donner à l’interdiction une portée générale et absolue par l’ajout de la précision suivante : « par quelque moyen que ce soit »115. Cette expression englobe évidemment la reconnaissance, la décision de justice résultant de l’engagement d’une action en recherche, mais aussi l’adoption, même simple.

C’est donc une barrière infranchissable qui se dresse devant celui qui a conçu l’enfant et qui désirerait que ce dernier lui soit légalement rattaché.

Cet obstacle insurmontable vaut aussi pour l’enfant116 qui chercherait à établir sa filiation paternelle contre le gré de son géniteur. Néanmoins, une action à fins de subsides peut être engagée.

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