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Une égalité précédemment instaurée par le droit interne français

§ I L’égalité dans la considération du lien entre une mère et son enfant

B) Une égalité précédemment instaurée par le droit interne français

En permettant l’établissement de la filiation maternelle hors mariage par l’acte de naissance dès lors qu’il existe une possession d’état, la loi française du 3 janvier 1972 respectait les prescriptions des magistrats européens en assurant, sans discrimination, la protection du lien entre une mère et son enfant (2), dès lors que pouvait être constatée une vie familiale effective (1).

1 La protection du lien familial effectif

De nombreuses voix51 se sont élevées pour affirmer l’incompatibilité de la règle de principe, selon laquelle l’acte de naissance indiquant le nom de la mère ne vaut que pour établir la maternité de l’épouse et non la maternité hors mariage, avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, telle qu’elle a été interprétée par la Cour dans l’arrêt « Marckx contre Belgique » rendu le 13 juin 1979.

Le débat s’est renforcé lorsque le Tribunal de grande instance de Brive-la-Gaillarde a considéré, dans un jugement en date du 30 juin 200052, que l’application combinée des articles 8 et 14 de la Convention européenne, qui concernent respectivement le droit au respect de la vie privée et familiale et le principe d’interdiction de discrimination entre les personnes, et spécialement entre les enfants nés en dehors de l’union conjugale et ceux qui en sont issus, commande que « l’indication du nom de la mère dans l’acte

de naissance de l’enfant naturel emporte de facto établissement juridique de sa filiation, sans qu’une reconnaissance soit nécessaire »53.

Observons que les juges strasbourgeois, dans l’arrêt « Marckx », ont précisé qu’« en

garantissant le droit au respect de la vie familiale, l’article 8 présuppose l’existence d’une famille »54, c’est-à-dire des relations de fait suffisamment étroites qui soient caractéristiques d’une vie familiale, tels les contacts permanents55, la cohabitation56, la

51

En ce sens, I. ARDEEFF, note TGI Brive, 30 juin 2000, D., 2001, jurisp., p.p. 27-28, spéc. p. 29 ; J-P MARGUENAUD, « CEDH et droit privé… », op. cit. note 41, p.p. 188 et suiv. ; J. MASSIP, obs. TGI Brive, 30 juin 2000, Defrénois, 2000, p.p. 1310-1313 ; M. MAYMON-GOUTALOY, « De la conformité du droit français des personnes et de la famille aux instruments internationaux protecteurs des droits de l’Homme », D., 1985, chron. XXXVII, spéc. p. 213 ; M-Ch. MEYZEAUD-GARAUD, note CA Paris, 4 avr. 2003, D., 2004, p.p. 1697-1700, spéc. p. 1699.

52

TGI Brive, 30 juin 2000, note I. ARDEEFF préc. ; Dr. fam., 2000, comm. 107, note P. MURAT.

53

TGI Brive, préc.

54

Cour EDH, 13 juin 1979, « Marckx contre Belgique », série A, n°31, § 31.

55

Cour EDH, 21 juin 1988, « Berrehab contre Pays-Bas », série A, n°138 (V. BERGER, « Jurisprudence de la Cour EDH », Ed. Dalloz Sirey, 2007, p. 435) : Malgré la non cohabitation, des contacts fréquents, prolongés et réguliers entre le père divorcé et sa fille ont maintenu leur vie familiale.

Cour EDH, 13 juil. 2007, « Elsholz » (J. ANDRIANTSIMBAZOVINA et al., « Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme », op. cit. note 37, p. 501) : Le père naturel a vécu avec l’enfant pendant 18 mois avant de se séparer de la mère, puis il a continué à voir fréquemment son fils.

dépendance matérielle et financière ou bien encore les sentiments réciproques. Il doit s’agir d’un lien effectivement vécu. Ainsi la Cour européenne s’attache-t-elle « moins

aux catégories juridiques qu’au tissu affectif existant »57.

S’agissant de l’affaire « Marckx », les juges ont pris soin d’examiner de manière préliminaire s’il existait bien entre la mère et sa fille un lien dont il résultait une vie familiale effective, condition requise pour l’application de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, et avaient conclu à cette effectivité, « la requérante [ayant] pris en charge sa fille dès sa naissance et n’[ayant] cessé de s’en occuper »58 depuis.

L’affaire de Brive concernait des faits totalement différents : dix jours après avoir accouché (c’était en 1930), une femme avait remis l’enfant aux services de l’Assistance publique et n’avait plus donné signe de vie. Les services s’étaient alors occupé de l’éducation de cet enfant. Environ soixante-dix ans plus tard, des cousins sollicitaient l’établissement du lien de filiation entre celui qui avait été abandonné dès son plus jeune âge et qui depuis était décédé, et la mère de celui-ci, uniquement pour pouvoir hériter de lui. Ils invoquaient à cette fin la mention, dans l’acte de naissance du de cujus, du nom de sa mère.

Or, on ne pouvait leur donner raison sur le fondement de la jurisprudence

« Marckx ». En effet, il n’avait existé aucune vie familiale entre l’enfant abandonné et

sa mère. L’article 8 de la convention ne pouvait donc recevoir application et, par suite, l’article 14 non plus, puisque ne pouvant s’appliquer qu’en combinaison avec une autre disposition de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

Cependant, il demeure la question de savoir si, de manière générale, le droit français de la filiation, avant que ne soit adoptée l’ordonnance de 2005, était conforme au droit européen des droits de l’Homme.

Certes, notre ancienne législation n’admettait pas que l’acte de naissance puisse établir la maternité hors mariage. Toutefois, la loi de 1972 prévoyait que l’indication du nom de la mère dans l’acte de naissance corroborée par la possession d’état valait reconnaissance et donc établissait le lien maternel « naturel »59. Or, l’exigence d’une possession d’état n’était en rien contradictoire avec le droit européen, tel qu’il résulte de la Convention et de la jurisprudence de la Cour, puisque celle-ci répondait à la condition

56

Cour EDH, 26 mai 1994, « Keegan », série A, n°290 (JCP G, 1995, I-3823, chron. F. SUDRE, « Droit de la Convention EDH », p. 89) : « La relation entre M. Keegan et la mère de l’enfant dura deux ans,

dont un pendant lequel ils cohabitèrent ».

57

F. BOULANGER, « La vie familiale », Libertés et droits fondamentaux (dir. R. CABRILLAC, M-A FRISON-ROCHE et Th. REVET), Dalloz, 2001, p. 204.

58

Cour EDH, 13 juin 1979, « Marckx contre Belgique », série A, n°31, § 31.

59

C. civ., art. 337 (L. n°72-3 du 3 janv. 1972) : « L’acte de naissance portant l’indication de la mère vaut

européenne d’application de l’article 8, à savoir l’effectivité d’une vie familiale. Dès lors qu’une vie familiale était effective, ce qui est le cas lorsqu’il existe une possession d’état, l’acte de naissance comportant le nom de la mère jouait un rôle dans l’établissement de la maternité hors mariage.

Ouvrant le bénéfice de l’article 337 du Code civil qui permettait l’établissement légal de la filiation (dès lors que le nom de la mère figurait dans l’acte de naissance), la vie familiale hors mariage, constituée par la possession d’état, était respectée, comme celle s’inscrivant dans une union matrimoniale.

2 Une protection semblable du lien familial effectif

En reconnaissant un certain rôle à l’acte de naissance de l’enfant né en dehors du lien conjugal, dans l’établissement de sa filiation maternelle, notre législation réduisait la distance qui pouvait séparer les modes d’établissement des maternités dites

« naturelle » et « légitime ». Aussi était-il permis de douter de l’existence d’une

discrimination dans le respect du droit à la vie familiale, doute qu’est venue lever la Cour d’appel de Paris lorsqu’elle a énoncé, dans un arrêt du 4 avril 200360, que « la

règle de l’article 334-8 du Code civil ne porte pas atteinte au principe d’interdiction de discrimination entre les personnes fondée sur la naissance et le mode d’établissement des filiations, dès lors que la législation française donne effet à l’acte de naissance de l’enfant naturel lorsqu’il est corroboré par la possession d’état »61.

A défaut d’instituer un système de preuve uniforme de la filiation maternelle, le législateur a, dès 1972 et conformément à l’interprétation jurisprudentielle de la convention que donnera sept ans plus tard la Cour européenne des droits de l’Homme, consacré une égalité dans la prise en compte des relations entre une mère et son enfant.

En outre, en 1982, il fît de la possession d’état un mode non contentieux d’établissement du lien, que celui-ci se situe en ou hors union conjugale62.

Conformément à sa jurisprudence classique, la Cour de cassation a continué, durant l’année 2005, à rejeter les pourvois formés contre des arrêts d’appel ayant refusé de considérer le lien maternel hors mariage établi, au motif que la seule mention du nom de la mère dans l’acte de naissance est insuffisante.

C’est ainsi que la 1ère Chambre civile a déclaré, dans un arrêt du 14 juin 200563, qu’il ne pouvait être reproché à une Cour d’appel d’avoir constaté l’extranéité du demandeur qui alléguait sa prétendue filiation maternelle à l’égard d’une femme ayant

60

CA Paris, 4 avr. 2003, AJFam., 2003, p.p. 230-231, obs. F. BICHERON ; RTDciv., 2003, p. 487, obs. J. HAUSER ; D., 2004, p.p. 1697-1698, note M-C MEYZEAUD-GARAUD.

61

Ibid., p. 1698.

62

C. civ., art. 334-8, al. 2 (L. n°82-536 du 25 juin 1982) : « La filiation naturelle peut aussi se trouver

légalement établie par la possession d’état […] ». C. civ., art. 320 (L. n°72-3 du 3 janv. 1972) : « La possession de l’état d’enfant légitime suffit » à prouver la filiation des enfants légitimes.

63

conservé sa nationalité française lors de l’indépendance du Gabon, alors que l’acte de naissance de l’intéressé désignait cette femme en qualité de mère, mais que celle-ci ne l’avait pas reconnu et qu’il ne démontrait pas avoir une filiation établie envers elle par la possession d’état.

De même, le 6 décembre 200564, les juges suprêmes ont conclu au défaut d’établissement de la maternité en l’absence de reconnaissance et de mariage entre les parents.

L’année 2006 marque un tournant dans la jurisprudence française, puisque la Haute juridiction a affirmé qu’il résultait de la désignation d’une femme en tant que mère dans l’acte de naissance l’établissement de la filiation maternelle.

En l’espèce, une femme et ses enfants avaient engagé une action en déclaration de nationalité française sur le fondement de l’article 18 du Code civil65, en arguant de la nationalité française de leur père et grand-père né en Algérie (alors département français) et qui avait conservé sa nationalité après l’indépendance. Les demanderesses précisaient que la mère du père et grand-père était elle-même française d’origine israélite et était à ce titre soumise au statut civil de droit commun conformément à un décret de 1970.

Le 30 mars 2004, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence débouta les intéressées au motif que la filiation maternelle du père et grand-père n’avait pas été établie, puisqu’il n’y avait eu ni reconnaissance ni possession d’état, et qu’en l’absence de mariage entre les parents, l’acte de naissance ne suffit pas à établir le lien maternel.

Mais la 1ère Chambre civile a prononcé, au visa des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’Homme (et non de l’article 311-25 du Code civil, qui n’était pas alors applicable puisque issu de l’ordonnance du 4 juillet 2005 entrée en vigueur le 1er juillet 2006), un arrêt de cassation le 14 février 200666, déclarant qu’une femme étant

« désignée en tant que mère dans l’acte de naissance » du père et grand-père des

auteurs du pourvoi, il en « résultait que la filiation maternelle de celui-ci était établie ». Cette solution a fait l’objet de critiques. Il a été signalé que les dispositions européennes invoquées n’avaient pas tellement leur place ici, l’action déclaratoire de nationalité française étant difficilement rattachable à la vie familiale67 et aucune discrimination ne pouvant être relevée dans la protection de la vie familiale.

64

Cass., civ. 1ère, 6 déc. 2005, D., 2006, p. 14.

65

C. civ., art. 18 : « Est français l’enfant dont l’un des parents au moins est français ».

66

Cass., civ. 1ère, 14 fév. 2006, RJPF, 2006, 5/39, analyse Th. GARE ; RTDciv., 2006, p.p. 294-295, note J. HAUSER ; Revue Lamy Droit civil, juillet/août 2006, p.p. 41-44, comm. M-Ch. MEYZEAUD-GARAUD.

67

Th. GARE, « Etablissement automatique de la filiation naturelle : l’ordonnance… avant l’ordonnance ! », préc.

La vérité est que les hauts magistrats cherchaient un fondement juridique pour justifier leur décision, sans afficher leur anticipation sur l’application d’une règle qui n’était pas encore entrée en vigueur. Car si l’on considère l’état du droit applicable à l’affaire, on ne peut que relever son caractère illégal68, puisqu’il s’agit de celui antérieur à la réforme du 4 juillet 2005 qui n’incluait pas la désignation de la mère dans l’acte de naissance, prise isolément, dans les modes d’établissement de la maternité hors mariage. Ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation applique par anticipation une règle juridique non encore en vigueur69, ni la dernière puisqu’elle a tenu le même raisonnement dans deux arrêts rendus le 25 avril 2006, toujours à propos d’une action déclaratoire de nationalité française70.

Bien que notre législation précédente relative à l’établissement volontaire de la filiation maternelle hors union conjugale ne semblait pas incompatible avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales telle qu’interprétée par la Cour de Strasbourg, l’institution de la désignation dans l’acte de naissance comme mode principal et uniforme d’établissement de la maternité a été relativement bien accueillie, en tant qu’aboutissement inévitable de la législation française.

§ II La désignation de la mère dans l’acte de naissance : mode

d’établissement de principe du lien juridique

Depuis l’entrée en vigueur, le 1er juillet 2006, de l’ordonnance du 4 juillet 2005, toute femme, qu’elle soit mariée avec le père de l’enfant ou avec une tierce personne, qu’elle ait un concubin ou qu’elle soit totalement seule, voit sa maternité légalement établie dès lors qu’elle est désignée dans l’acte de naissance de l’enfant. Il s’agit là d’une condition, certes nécessaire, mais suffisante (A).

Malgré les réticences de quelques auteurs, il est permis de relever l’opportunité de cette exclusivité de condition, laquelle était souhaitée depuis longtemps par une grande partie de la doctrine ainsi que plusieurs parlementaires (B).

68

Ibid., p. 25

69

Cf. cass., Ass. plén., 9 juil. 1982, « Law King », v. infra.

70

Cass., civ. 1ère, 25 avr. 2006 (deux espèces), RJPF, 2006, 7-8/43, analyse Th. GARE.

Les deux affaires concernaient des étrangers qui avaient engagé une action déclaratoire de nationalité française en faisant valoir qu’ils étaient issus d’une femme de nationalité française. S’agissant de maternités hors mariage, la CA Bordeaux, le 4 févr. 2004, et celle de Caen, le 16 déc. 2004, avaient débouté les intéressés au motif qu’ils ne justifiaient ni d’une reconnaissance ni d’une possession d’état à l’égard de celles qu’ils prétendaient être leurs mères respectives. Dans les pourvois, il était argué de ce que le nom de la mère était indiqué dans l’acte de naissance. Les hauts magistrats ont cassé les deux arrêts d’appel, estimant que cette indication suffit à établir le lien de filiation maternelle.

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