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Le mariage, union de droit étroitement liée à la procréation

§ II La justification d’une présomption réservée à la paternité en mariage

B) Le mariage, union de droit étroitement liée à la procréation

Jusqu’à ce que la loi du 15 novembre 1999 consacre, en plus du pacte civil de solidarité, une définition du concubinage – sans toutefois en déterminer une preuve légale – le mariage était la seule organisation de la vie de couple instituée par le droit.

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I. THERY, « Couple, filiation et parenté aujourd’hui: Le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée », rapp. à la ministre de l’Emploi et de la Solidarité et au Garde des Sceaux, Ed. Odile Jacob/La Documentation française, 1998, p. 173.

76

P. MURAT, « Vers la fin des filiations légitime et naturelle », Perspectives de réformes en droit de la

famille, coll. Centre de Droit fondamental, Fac. Grenoble, 26-27 nov. 1999, Dr. fam., déc. 2000,

hors-série, chron. 7, p. 41. 77 Ibid., p. 41. 78 Ibid., p. 41. 79

F. DEKEUWER-DEFOSSEZ, « Rénover le droit de la famille : propositions pour un droit adapté aux réalités et aux aspirations de notre temps », rapp. au Garde des Sceaux, La Documentation française, 1999, p. 31.

Aujourd’hui encore, l’union matrimoniale se distingue des autres formes de vie commune par trois caractéristiques essentielles.

Acte de volonté, il est d’abord l’expression d’un consentement, par lequel les époux s’engagent l’un envers l’autre pour l’avenir. Cet engagement fondateur est la différence la plus significative qui sépare le mariage du concubinage, où le consentement des intéressés se manifeste d’une toute autre manière, au jour le jour, par la cohabitation continuée.

De cet acte de volonté, la solennité, et même le rite, sont une dimension très importante. L’engagement conjugal est contracté devant l’officier de l’état civil et, à travers lui, devant la société. En se soumettant au rite, les époux eux-mêmes confèrent à leur union une portée sociale, allant au-delà de leurs personnes et de leur vie privée.

Quant à son contenu, cette promesse qu’ils se font l’un à l’autre est orientée dans deux directions : la communauté de vie, assortie de droits et de devoirs réciproques, qui les unit ; mais aussi l’engagement qu’ils prennent ensemble d’élever leurs enfants à venir.

Nous devons bien avouer que la relation étroite qui existait entre la filiation et l’institution matrimoniale s’est fortement fragilisée depuis que la loi du 11 juillet 1966, en ouvrant l’adoption plénière aux personnes seules, a permis de donner le statut d’« enfant légitime » à un enfant sans qu’il soit rattaché à un mariage. Ce mouvement d’autonomie a été accentué par la grande réforme du 3 janvier 1972, qui a posé le principe d’égalité des enfants et instauré une légitimation déconnectée de l’union conjugale. Se sont ajoutées les législations relatives à l’autorité parentale, à la gestion des biens, aux successions et au nom de famille, dont les dernières versions ont unifié les règles en ces matières. Enfin, l’ordonnance du 4 juillet 2005, unifiant autant que faire se peut les filiations en et hors union conjugale, a aboli les notions d’« enfant

légitime » et d’« enfant naturel », ainsi que la légitimation, une telle institution ne se

justifiant plus au regard de l’égalisation des règles intéressant la filiation.

Par ailleurs, le droit positif n’ignore pas les unions conjugales sans procréation. Il leur reconnaît la même dignité qu’aux autres. Et il est évident que l’absence de lien matrimonial n’empêche pas la conception d’un enfant, la physiologie de la procréation naturelle80 étant identique, que les géniteurs soient mariés ou non : d’un point de vue strictement physiologique, la procréation « ne dépend pas du mariage »81.

« Mais le Code civil n’est pas un traité de biologie ! C’est une norme d’institutions qui se veulent praticables. Leur réalisme ne se nourrit de principe qu’à partir d’un donné social effectif. Ce donné social permet-il réellement à la loi d’égaliser la situation de l’enfant né de la structure d’accueil du mariage et celle de l’enfant à qui

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Par opposition à la procréation médicalement assistée.

81

R. SAVATIER, « Le projet de loi sur la filiation : mystique ou réalisme? Filiation naturelle et filiation légitime », JCP G, 1971, I-2400.

ses parents ont refusé cette structure ? Les parents de l’enfant légitime ont volontairement, par le mariage, rendu sa filiation publique et l’ont entourée d’engagements. Double sécurité que les parents naturels refusent à leur enfant. L’illusion consiste à ne pas voir ce qu’est le mariage, imaginé comme une création artificielle du législateur, une sorte de bienséant permis d’accouplement ! La vraie nature du mariage le définit comme un double engagement public et libre, non seulement de chaque époux envers l’autre, mais de tous deux envers les enfants à naître éventuellement d’eux. D’avance, cet engagement leur prépare une structure d’accueil. Or il n’est pas au pouvoir de l’autorité du législateur d’organiser, à sa guise, chez les parents qui ne se seront pas mariés, cette structure d’accueil. Les engagements du mariage ne se conçoivent que librement donnés. En dehors de ce mariage, la loi ne peut qu’ébaucher d’inégales institutions de remplacement, pour les enfants naturels ».

tion lég

des enf

stification « dans la création d’une

mille nouvelle et l’accueil des enfants futurs »86.

la famille et de la parenté. C’est à partir de l’institution du mariage, union authentifiée

Ainsi s’exprimait René SAVATIER à la veille de la loi du 3 janvier 197282. Et on ne saurait, à l’heure actuelle, malgré les nombreuses réformes tendant à égaliser toujours plus les filiations au point de ne plus les distinguer dans leur dénomination, lui donner totalement tort. En effet, le mariage demeure lié, ne serait-ce que de manière résiduelle, à la procréation, car il porte en lui les enfants. Le projet d’engendrement en est un des éléments fondamentaux, tant dans la définition doctrinale que dans l’acceptation populaire : le mariage désigne l’union de l’homme et de la femme en vue d’avoir des enfants. Ce n’est pas la loi qui le dit ; il n’existe d’ailleurs aucune défini

ale.

Ainsi que l’observe Gérard CORNU, c’est plus « dans les espoirs et les vœux, les

consciences et les mentalités, les idéaux »83 que le rapport entre mariage et procréation existe, « et aussi largement, soyons sincères, dans la réalité »84. Lorsque deux personnes s’épousent, il est rare qu’elles n’éprouvent pas un désir réel d’engendrement. Alors que la grande majorité des gens qui se marient forment le projet de concevoir

ants, on ne rencontre pas obligatoirement une telle intention chez les concubins. Le constat s’impose : « la procréation est […] l’une des fins naturelles du

mariage »85. Socialement, l’institution trouve sa ju

fa

C’est pour cette raison que la question de l’union conjugale ne s’est jamais réduite à celle du couple, mais amène à s’interroger sur la filiation. CARBONNIER le déclarait lui-même dans une conférence donnée, le 1er avril 1994, à l’Ecole Nationale de la Magistrature : « Le cœur du mariage, ce n’est pas le couple, c’est la présomption de

paternité », rappelant que cette union a d’abord été le pivot de la construction sociale de

82

Ibid.

83

G. CORNU, « Droit-civil : La famille », Montchrestien, 2003, p. 274.

84

Ibid., p. 274.

85

A. BENABENT, « Droit civil : La famille », Juris-Classeur Litec, 2003, p. 28.

86

par l’échange public du consentement des époux, union indissoluble sauf exception87, que notre culture a, au cours des siècles, progressivement édifié une définition de la famille et un système de représentation inscrivant chacun dans la symbolique de la parenté.

Certes, avec l’augmentation des naissances hors mariage et la reconnaissance des familles constituées en dehors de ce lien, le centre de gravité semble s’être déplacé pour devenir l’enfant, la filiation constituant aujourd’hui une donnée plus stable si l’on considère le nombre croissant de séparations et de divorces. Toutefois ce phénomène ne doit pas nous faire oublier que c’est l’institution matrimoniale qui est à l’origine de la construction du droit de la famille, que c’est au regard des parents mariés que l’on a dans un premier temps organisé les règles relatives à la filiation, et que c’est celle s’inscrivant dans cette union qui a bien souvent servi de modèle à la règlementation de la filiation hors mariage.

« La présomption de paternité continue de battre au cœur du mariage »88. Et une totale neutralité de ce dernier en matière de filiation « n’est sans doute pas souhaitable »89, car « avec le mariage, c’est un règlement global de la vie en couple qui

est choisi »90. Cette conception explique pourquoi la présomption n’existe qu’en présence d’une union matrimoniale célébrée entre les père et mère de l’enfant, et pourquoi elle mérite d’être maintenue.

L’institution d’une égalité absolue nécessiterait soit la suppression de la présomption de paternité, soit son extension au concubin. Mais aucune de ces solutions ne semble opportune.

Premièrement, il y a bien des avantages à maintenir la présomption de paternité dès lors qu’elle ne charrie plus avec elle le poids d’une politique législative qui faisait du mariage, en tant que moyen de cohésion de la famille et, au-delà, de la société tout entière, la seule union qui soit digne d’intérêt. Aujourd’hui fondée sur la forte probabilité de la paternité du mari, la règle posée à l’article 312 du Code civil apporte une simplicité de preuve tout en contribuant à conserver un sens au mariage en ne réduisant pas l’institution à n’être qu’une cérémonie municipale. Son abolition

« équivaudrait à une négation symbolique de la volonté d’union proclamée officiellement »91 par les époux, et « risquerait d’être davantage perçue comme une

marque d’hostilité à l’égard de l’institution matrimoniale que comme un geste d’égalité

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Le divorce n’a pas toujours été légalement autorisé, et lorsqu’il est permis, il demeure encadré par des conditions de fond et de forme, bien que ces dernières aient été grandement assouplies depuis la L. n°75-617 du 11 juil. 1975, et surtout avec la L. n° 2004-439 du 26 mai 2004.

88

P. MURAT, « Vers la fin des filiations légitime et naturelle », op. cit. note 76, p. 43.

89

Ibid., p. 43.

90

Ibid., p. 43.

91

P. MURAT, « L’égalité des filiations légitime et naturelle quant à leur mode d’établissement : jusqu’où aller ? », op. cit. note 4, p 7.

en faveur des enfants »92. « L’égalité des filiations n’a pas vocation à l’emporter sur la

nature des institutions »93.

Deuxièmement, il n’est pas non plus souhaitable d’appliquer une présomption de paternité au concubin de la mère, et ce pour à peu près les mêmes motifs que ceux militant en faveur du maintien de la présomption à l’égard du mari. En effet, si celle-ci n’existe que dans le mariage, c’est parce que celui-ci est profondément lié à l’idée d’engendrement et que sa constatation officielle, dans des conditions de fond et de forme légalement fixées et destinées à garantir la liberté de choix de chacun des époux, autorise une certaine automaticité dans l’établissement du lien paternel, automaticité que ne permet pas le concubinage et a fortiori toute union existant en dehors de l’institution conjugale94.

Le maintien de la distinction dans l’établissement de la paternité permet d’« affirmer

que le droit offre des voies où l’établissement des liens familiaux est pensé par avance dans sa globalité : c’est un point fort du sens civil de l’engagement matrimonial »95, dont les effets ne doivent pas systématiquement, et au nom d’une conception totalement abstraite de l’égalité des enfants, être chassés du droit de la filiation. On ne saurait donc fustiger les textes de prévoir des modes principaux d’établissement du lien paternel différents, à savoir la présomption de paternité en présence d’un mariage, la reconnaissance dans les autres cas.

Section II : La reconnaissance : mode principal d’établissement

de la paternité hors mariage

En raison du caractère intime de la conception, la paternité est a priori incertaine. Dès lors, bien des systèmes sont envisageables pour établir celle-ci. L’article 316 du Code civil prévoit, en son premier alinéa, qu’à défaut de présomption de paternité applicable, le lien de filiation peut être établi par une reconnaissance.

Il semble que, lorsque aucune situation juridique particulière ne permet de présumer l’existence d’un lien génétique entre un homme et un enfant, le meilleur moyen de faire apparaître, hors contentieux, le lien paternel, soit la reconnaissance.

D’une part, il s’agit d’un acte authentique par lequel une personne, tout en sachant que cela aura pour effet d’établir le lien de filiation (avec toutes les conséquences que

92 Ibid., p. 7. 93 Ibid., p. 7. 94

Bien qu’il soit exigé la désignation du mari en qualité de père dans l’acte de naissance de l’enfant (ou l’existence d’une possession d’état : cf. c. civ., art. 314), cela n’enlève rien à l’automaticité de la présomption qui continue d’exister dans une certaine mesure, dans le sens que la désignation est une condition peu contraignante.

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cela emporte en termes de droits mais surtout de devoirs), déclare volontairement être l’auteur d’un enfant.

D’autre part, l’acte peut être contesté au regard de la vérité biologique.

L’on retrouve ainsi les mêmes éléments que pour l’établissement de la paternité du mari, à savoir la volonté d’être père en même temps que la nécessité, pour le lien établi, d’être conforme à un certain réalisme (§ I).

Il demeure toutefois une différence importante, en ce que seul l’homme non marié se voit obligé, s’il désire établir sa paternité, d’accomplir personnellement les formalités de la reconnaissance. Et ce, que l’enfant ait été procréé avec ou sans assistance médicale (§ II)

§ I Une manifestation de volonté encadrée par la probabilité du lien

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