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Une paternité vraisemblable au regard de la date de naissance de l’enfant

§ I Une présomption fondée sur la forte probabilité

A) Une paternité vraisemblable au regard de la date de naissance de l’enfant

L’article 312 du Code civil énonce que « l’enfant conçu ou né pendant le mariage a

pour père le mari ». Si la date de la naissance est facile à établir en raison de la visibilité

de l’événement et son constat dans l’acte de naissance, qui est alors rédigé, la date de la conception nécessite de s’en remettre à une présomption : à savoir que l’enfant est présumé avoir été conçu dans la période de 121 jours qui s’étend entre le 300ème et le 180ème jour précédent sa naissance10 (1).

Dans le premier cas visé par l’article 312, la conception a lieu après que l’engagement conjugal ait été officiellement consacré, mais avant une éventuelle séparation des époux, ce qui n’a pas toujours été exigé (2). Dans la seconde hypothèse, la cérémonie municipale, qui officialise l’union aux yeux de la loi, se déroule entre la date à laquelle l’enfant est conçu et la date à laquelle il naît (3).

Observons que le droit allemand se contente de la naissance dans le mariage : en vertu de l’article 1592 du BGB, est considéré comme père celui qui est marié avec la mère de l’enfant au moment de la naissance ; il n’est fait aucune allusion à la date de la conception. De même, l’article 315 du Code civil belge énonce que l’enfant né pendant le mariage a pour père le mari.

1 La période légale de la conception

La détermination légale d’une période de conception a permis aux rédacteurs du Code Napoléon de mettre fin aux excès dont certains parlements avaient fait preuve sous l’Ancien Régime, en acceptant, sur le fondement de l’apparence physique de la femme, une durée de gestation supérieure à un an. Depuis 1804, l’établissement de la durée de la grossesse n’appartient plus aux juges.

Les délais légaux ont été retenus sur les conseils de FOURCROY. Ils ont pour but d’englober aussi bien les grossesses les plus courtes (180 jours) que les plus longues (300 jours).

La présomption légale relative à la période de conception de l’enfant est consacrée à l’article 311 alinéa 1er du Code civil, aux termes duquel « la loi présume que l’enfant a

été conçu pendant la période qui s’étend du trois centième au cent quatre-vingtième jour, inclusivement, avant la date de la naissance ». On retrouve la même durée dans la

plupart des Etats européens, notamment en Allemagne, en Belgique11, en Italie, en Hongrie.

10

Cf. c. civ., art. 311, al. 1er.

11

Avant la loi du 3 janvier 1972, il s’agissait d’une présomption irréfragable. Dans le silence des textes, la jurisprudence interdisait en effet toute démonstration contraire.

Mais la science progressant, il n’était plus possible d’ignorer que des grossesses – cas certes rarissimes – puissent durer un peu plus de 300 jours. De même, un enfant né moins de 180 jours après qu’il ait été conçu peut parfois être maintenu en vie grâce à des moyens artificiels. C’est pourquoi le législateur français, comme ses homologues européens, admet la preuve contraire à l’article 311 alinéa 3 du Code civil, manifestant par là une meilleure prise en compte de la réalité biologique.

Une autre manifestation de ce rapport à la vérité est la modification du domaine de la présomption de paternité.

2 L’enfant conçu postérieurement à la célébration de l’union

Auparavant, la présomption de paternité comportait une large part de fiction qui permettait de couvrir tous les cas douteux, ce qui lui avait valu la qualification de

« manteau de Noé » pour les enfants « illégitimes », comme on les désignait alors.

C’est ainsi que la naissance de l’enfant plus de 300 jours après l’ordonnance de résidence séparée faisant suite à une demande en divorce – ce qui signifiait que cet enfant avait été conçu pendant une période de séparation légale – n’écartait pas automatiquement la présomption de paternité. Il fallait que le conjoint (ou ex-conjoint) de la mère désavoue l’enfant. De même, lorsque l’enfant était né plus de 300 jours après la dissolution du mariage, le Code prévoyait seulement la possibilité de contester la légitimité de cet enfant, mais n’écartait pas a priori la présomption de paternité de l’ancien époux.

En l’absence de désaveu, l’enfant restait celui de l’ex-mari, lequel détenait le monopole de cette action dans des conditions restreintes : quant au fond, il fallait se trouver soit dans le cas de l’éloignement, soit dans celui de l’impuissance accidentelle12 ; quant au délai, le père légalement présumé ne disposait que d’un à deux mois.

Ne dépendant que du mari, la règle « Pater is est… » était donc aussi dotée d’une très grande autorité, et l’on a pu la qualifier de « présomption irréfragable à l’égard des

tiers et de présomption mixte ou relative à l’égard de l’époux ». Il n’y a pas de doute

que la volonté maritale de « passer l’éponge » dans des cas plus que suspects l’emportait sur la réalité biologique.

12

Antérieurement à la réforme du 3 janv. 1972, l’art. 312 c. civ. énonçait, in fine, que le mari pouvait désavouait l’enfant s’« il était, soit pour cause d’éloignement, soit par l’effet de quelque accident, dans

l’impossibilité physique de cohabiter avec sa femme ». Les juges retenaient notamment, au titre de

l’éloignement, l’incarcération, la mobilisation, la captivité ainsi que la séparation de fait. Ils admettaient, au titre de l’accident, l’impuissance, la maladie et la stérilité. Pour plus de précisions sur les anciens cas de désaveu, v. E. PAILLET, « Infidélité conjugale et continuité familiale », 1979, p.p. 424-435, en part. p.p. 427-433 s’agissant de l’hypothèse énoncée à l’ancien art. 312 c. civ.

La raison profonde de cet état du droit tenait à ce que l’on analysait cette présomption comme un effet impératif du mariage, une règle de fond beaucoup plus qu’une règle de preuve. L’existence et la force de la présomption « Pater is est… » apparaîssaient comme une conséquence de la reconnaissance de la prééminence de l’union matrimoniale et de la famille « légitime », et s’intégraient dans une politique de défense des intérêts et de la cohésion de celle-ci.

Destinée à renforcer la solidité de la famille, la présomption de paternité devait contribuer à renforcer celle de la société. Il s’agissait donc davantage d’affirmer et de maintenir un ordre social que de rechercher la vérité. La présomption de paternité n’était autre qu’une véritable fiction au service d’une certaine politique familiale.

Depuis 1972, les textes ne commandent plus la persistance de certaines invraisemblances. La présomption est écartée a priori lorsque la paternité du mari ne paraît pas crédible au regard de la situation du couple.

L’article 313 aliéna 1er, incluant la réforme du 26 mai 2004 relative au divorce, dispose : « En cas de demande en divorce ou en séparation de corps, la présomption de

paternité est écartée lorsque l’enfant est né plus de trois cents jours après la date soit de l’homologation de la convention réglant l’ensemble des conséquences du divorce ou des mesures provisoires prises en application de l’article 250-2, soit de l’ordonnance de non-conciliation, et moins de cent quatre-vingts jours depuis le rejet définitif de la demande ou la réconciliation ». La règle témoigne du souci d’harmoniser la

présomption et la vraisemblance de la paternité du conjoint de la mère.

C’est une considération que l’on retrouve au sujet de l’enfant « né pendant le

mariage », qui a, conformément à l’article 312, « pour père le mari ».

3 L’enfant conçu antérieurement à la célébration de l’union

L’enfant « né pendant le mariage » est souvent désigné par l’expression « enfant de

fiancés ». Celui-ci a été conçu avant que le mariage soit célébré. Cette situation n’écarte

pas l’application de la présomption, car il y a une très forte probabilité pour que celui qui était alors le fiancé et qui est désormais l’époux de la mère soit le géniteur. En outre, pour le cas où la paternité serait suspecte, les textes permettent la contestation en rapportant la preuve que le père légal n’est pas le père biologique, condition qui sera aisément remplie grâce à un examen scientifique.

La solution d’inclure l’enfant conçu avant la consécration du lien conjugal a d’abord été retenue par la Chambre civile de la Cour de cassation, le 8 janvier 1930, dans l’affaire « Degas »13, à une époque où il existait encore des obstacles à la légitimation

13

Cass., civ., 8 janv. 1930, « Epoux Degas contre Consorts Degas », H. CAPITANT, Y. LEQUETTE et F. TERRE, « Les grands arrêts de la jurisprudence civile : Tome 1 », Dalloz, 2000, p.p. 208-212.

des enfants adultérins. Opérant un revirement de jurisprudence, qui jusque-là considérait l’enfant conçu avant l’union de ses parents comme étant « légitimé » par cette dernière14, elle déclara que « tout enfant né au cours du mariage a la qualité d’enfant

légitime, quelle que soit la date de sa conception », cette qualité lui étant reconnue « moins à raison de l’intention présumée chez ses parents de lui conférer par mariage le bénéfice d’une légitimation qu’en vue de sauvegarder par une fiction légale la dignité du mariage et l’unité de la famille ». Ce qui permit ici à l’enfant, issu d’un adultère, de

bénéficier de la légitimité.

Il fallut attendre la grande réforme de 1972 pour qu’un texte légal, l’article 314 alinéa 1er du Code civil, prévoit explicitement que « l’enfant né avant le 180ème jour du mariage est légitime et réputé l’avoir été dès sa conception ».

Cependant, il s’agissait d’une légitimité assez fragile, puisque le mari pouvait plus facilement désavouer l’enfant que si celui-ci avait été conçu durant le lien matrimonial en faisant seulement la « preuve de la date de l’accouchement, à moins qu’il n’ait

connu la grossesse avant le mariage ou qu’il ne se soit, après la naissance, comporté comme le père »15. Le législateur réservait donc une place à la volonté du conjoint qui, par son comportement, fermait lui-même la voie d’un désaveu facilité ; l’action en désaveu de l’article 312 alinéa 2 ancien16 demeurant ouverte.

Depuis l’ordonnance de 2005, la présomption relative à la paternité de l’« enfant de

fiancés » est dotée d’une force égale à celle de l’enfant conçu dans le mariage. Il serait

toutefois hâtif d’en conclure que la volonté du mari n’a plus du tout sa place dans l’application de la présomption de paternité. Telle qu’elle règlemente la présomption, la législation prend en considération la volonté tacitement exprimée par le conjoint de la mère, volonté qui, loin de contredire la vraisemblance, la renforce.

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