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Un rôle inexistant

Dans le document Les distinctions dans le droit de la filiation (Page 118-122)

§ I Hier : la place résiduelle de la reconnaissance

B) Un rôle inexistant

Dès 1972, la reconnaissance était inutile lorsque la parturiente était mariée ou l’avait été, et qu’il s’avérait que l’enfant avait été conçu au cours d’une relation sexuelle avec un autre homme que le mari (2). Elle le devint également, à partir de 1982, lorsque l’enfant avait (et a135) une possession d’état à l’égard de la femme désirant établir sa maternité (1).

1 L’établissement de la maternité hors mariage par la possession d’état

Bien que ne figurant qu’à titre secondaire, puisque venant après la reconnaissance136, la loi du 25 juin 1982 instaura, dans le Code civil, la possession d’état comme mode d’établissement de la maternité hors mariage.

Il ressortait de la nouvelle rédaction de l’article 334-8 qu’il n’était plus question de prévoir un quelconque équivalent à la reconnaissance. La possession d’état ne valait pas reconnaissance mais établissait – et établit toujours, à condition toutefois qu’elle ait été constatée par un acte de notoriété137 ou par un jugement138 – la filiation.

En réalité, les juges considéraient, lorsque le Code Napoléon fut adopté, que le lien avec la mère non mariée pouvait, comme pour l’épouse, être établi grâce à la possession d’état. Mais la jurisprudence connut un revirement le 17 février 1851139 : la possession

132

I. THERY, « Couple, filiation et parenté aujourd’hui: Le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée », rapp. à la ministre de l’Emploi et de la Solidarité et au Garde des Sceaux, Ed. Odile Jacob/La Documentation française, 1998.

133

Ibid., p. 174.

134

F. DEKEUWER-DEFOSSEZ, « Rénover le droit de la famille : propositions pour un droit adapté aux réalités et aux aspirations de notre temps », rapp., op. cit. note 91, p. 210.

135

Cf. c. civ., art. 317.

136

L’art. 334-8 c. civ., tel que modifié par la L. n°82-536 du 25 juin 1982, disposait en son al. 1er : « la

filiation naturelle est légalement établie par reconnaissance volontaire », puis énonçait seulement en son

alinéa second que « la filiation naturelle peut aussi se trouver légalement établie par la possession d’état […] ». 137 C. civ., art. 317. 138 C. civ., art. 330. 139

d’état ne pouvait plus bénéficier à la maternité hors mariage, solution qui obtint le ralliement quasi-unanime de la doctrine de l’époque, malgré quelques voix contraires dont celles de PORTALIS et de DEMOLOMBE qui avancèrent l’argument selon lequel on n’a pas à prouver ce que l’on possède.

Cinquante ans plus tard, Ambroise COLIN nous faisait part de son étonnement face à une législation qui « admet la valeur probatoire »140 d’un aveu « fait une fois pour toutes »141 dans des conditions pouvant « le rendre suspect de complaisance ou de

calcul »142, à savoir la reconnaissance, « et réprouve celle de » l’« aveu répété [et]

permanent »143 que constitue la possession d’état.

Certes les magistrats, puis la loi du 15 juillet 1955, firent de la possession d’état une preuve contentieuse du lien maternel hors mariage. Et des auteurs, tels Jean-Luc AUBERT, Jacques MASSIP, Georges MORIN144 et René SAVATIER145 invoquèrent l’esprit et le texte de la réforme de 1972, octroyant une très large place à la possession d’état, pour soutenir que cette dernière suffisait à l’établissement de la filiation en dehors de l’union matrimoniale146.

Mais la jurisprudence des premiers temps persévérait dans la voie qu’elle avait précédemment empruntée, rejetant fermement l’idée que la possession d’état pût suffire à établir la filiation en dehors de l’union conjugale147.

140

A. COLIN, « De la protection de la descendance illégitime au point de vue de la preuve de la filiation », op. cit. note 18, p. 269.

141 Ibid., p. 269. 142 Ibid., p. 269. 143 Ibid., p. 269. 144

J-L AUBERT, J. MASSIP et G. MORIN, « La réforme de la filiation : Commentaire de la Loi n°72-3 du 3 janvier 1972 », Répertoire du Notariat Defrénois, 1976, p. 65.

145

R. SAVATIER, JCP G, 1976, II-18289, note CA Paris, 6 janv. 1976.

146

En réunissant, dans un chapitre commun aux deux filiations et intitulé « Des présomptions relatives à

la filiation », plusieurs articles relatifs à la possession d’état, le législateur ne signifiait-il pas

implicitement que la possession d’état faisait présumer le lien de filiation, même en dehors de tout engagement matrimonial ? De même, en prévoyant que « les actions relatives à la filiation se

prescriv[ai]ent par 30 ans à compter du jour où l’individu […] a[vaient] commencé à jouir de l’état qui lui [était] contesté », l’art. 311-7 n’impliquait-il pas que la possession d’état établissait aussi bien la

maternité en mariage que la maternité hors mariage, et que la preuve qui en découlait devenait définitive à l’expiration du délai trentenaire ?

147

V. par ex. : CA Aix-en-Provence, 17 juin 1974, aff. « Picasso », Defrénois, 1975, jurisp., art. 30918, note R. SAVATIER. Toutefois, il est permis de voir dans deux arrêts rendus les 6 janv. (JCP G, 1976, II-18289, note R. SAVATIER) et 23 juil. 1976 (non publié), par la CA de Paris, l’annonce d’une évolution puisque, au lieu de rejeter expressément le moyen invoqué selon lequel la possession d’état permettait à elle seule d’établir la filiation hors mariage, les magistrats se sont contentés de déclarer, ayant pu donner satisfaction au demandeur sur un autre moyen, « qu’il n’[était] pas nécessaire de statuer sur le point de

savoir si la possession d’état continue dont [pouvait] se prévaloir [le demandeur était] de nature à prouver sa filiation naturelle ».

Le « détonateur » devait venir de la Réunion, où le pourcentage des enfants

« illégitimes » grimpait rapidement, passant de 20 % en 1967 à 33 % treize ans plus

tard. Alléguant la place de la définition de la possession d’état dans les dispositions communes, les juges de Saint Denis, dans l’affaire « Law-King », concluèrent à l’établissement du lien hors mariage par une possession d’état continue. Cette solution fut cassée par la Cour suprême le 8 mai 1979148. Mais la juridiction de renvoi149 refusa de s’incliner.

L’Assemblée plénière, se prononçant le 9 juillet 1982150 sur le second pourvoi formé contre la décision de la Cour d’appel de Saint Denis, conclut à l’établissement de la filiation par la seule possession d’état.

Cette décision intervenait certes après l’adoption de la loi du 25 juin 1982, mais elle n’en confirmait pas moins une solution déjà amorcée et que défendait une partie de la doctrine, dont les hauts magistrats ont repris l’un des arguments : « L’article 334-8 qui,

dans sa rédaction antérieure à la loi du 25 juin 1982, énumère seulement les cas dans lesquels l’acte juridique de reconnaissance ou les actions contentieuses engagées ont pour effet d’établir en droit, directement ou indirectement, le lien de filiation naturelle, ne fait pas obstacle à la constatation, en vertu de l’article 311-3, de la possession d’état d’enfant naturel fondée sur des éléments de pur fait, d’où résulte une présomption légale commune aux filiations légitime et naturelle instituée par les articles 311-1 et 311-2 »151.

La possession d’état, élément associé dans l’article 337 ancien du Code civil, est devenue mode autonome d’établissement de la filiation maternelle hors mariage. L’autre élément du texte, à savoir l’acte de naissance, pouvait également, à lui seul, établir ce lien, mais seulement dans des hypothèses bien déterminées.

2 L’établissement de la maternité par l’acte de naissance en présence d’une union matrimoniale

Il existait deux situations dans lesquelles la maternité se retrouvait établie par le seul acte de naissance mentionnant le nom de la mère, sans que celle-ci soit légalement unie au géniteur : c’était lorsque la contestation de la paternité de l’époux était favorablement accueillie par les magistrats et quand la présomption de paternité était a priori écartée par la loi, du moins dans le cas visé à l’article 313 alinéa 1er du Code civil.

148

Cass., civ. 1ère, 8 mai 1979, D., 1979, jurisp., p. 477, note D. HUET-WEILLER.

149

CA Saint Denis, 4 juil. 1980, D., 1981, jurisp., p. 58.

150

Cass., Ass. plén., 9 juil. 1982, aff. « Law King ». H. CAPITANT, Y. LEQUETTE et F. TERRE, « Les grands arrêts de la jurisprudence civile : Tome 1 », op. cit. note 124, p. 235.

151

Nous savons que, dès l’origine, il était admis que l’acte de naissance suffisait à établir la maternité en mariage152. Or, lorsqu’un désaveu exercé par le mari ou une action en contestation de sa paternité aboutissait à un constat judiciaire de sa non paternité, il était admis que la filiation maternelle n’était nullement remise en cause153. Si, bien souvent, il existait une possession d’état à l’égard de la mère, il n’empêche que le lien juridique entre elle et l’enfant demeurait même en l’absence de possession d’état, autrement dit dans un cas où la filiation n’avait été établie que par le titre.

Ainsi la maternité pouvait-elle être légalement établie par le seul acte de naissance, alors que la mère n’était pas mariée au géniteur.

La non application de la présomption de paternité, lorsque l’enfant avait été conçu en période de séparation légale154, entraînait la même conséquence puisque l’article 313-2 alinéa 1er155 prévoyait alors que « la filiation de l’enfant [était] établie à l’égard

de la mère comme s’il y avait eu désaveu admis en justice » et que les textes ne

distinguaient pas selon que l’enfant avait ou non la possession d’état à l’égard de sa mère.

En revanche, le rôle exact de l’acte de naissance était discutable lorsqu’il était question de l’hypothèse visée à l’article 313-1156 du Code civil.

Comme pour le cas de la séparation légale, « la filiation de l’enfant [était] établie à

l’égard de la mère comme s’il y avait eu désaveu admis en justice »157. Seulement, l’article 313-1 écartait l’application de la présomption de paternité « quand l’enfant,

inscrit sans l’indication du nom du mari, n’a[vait] de possession d’état qu’à l’égard de la mère ». Ce qui signifie que nous étions soit en présence d’une possession d’état seule,

soit en présence d’un acte de naissance indiquant le nom de la mère et corroboré par la possession d’état. Or, ces deux situations correspondaient aux cas où la maternité hors mariage se trouvait établie, respectivement l’article 334-8 alinéa 2 résultant de la réforme de 1982158 et l’article 337 dans sa version de 1972159.

152

Cf. c. civ., art. 319, dans son ancienne rédaction : « La filiation des enfants légitimes se prouve par les

actes de naissance inscrits sur les registres de l’état civil ».

153

Cass., civ. 1ère, 25 avr. 1984, Bull. Civ., I, n°134.

La filiation maternelle passait seulement de la qualité de « légitime » à celle de « naturelle ».

154

C. civ., art. 313, al. 1 (L. n°72-3 du 3 janv. 1972, modifié par l’ord. n°2005-759 du 4 juil. 2005) : « En

cas de jugement ou même de demande, soit de divorce, soit de séparation de corps, la présomption de paternité ne s’applique pas à l’enfant né plus de trois cents jours après l’ordonnance autorisant les époux à résider séparément, et moins de centre quatre-vingt jours depuis le rejet définitif de la demande ou depuis la réconciliation ».

155

Tel qu’il résultait de la L. n°72-3 du 3 janv. 1972, implicitement abrogé par l’ord. n°2005-759 du 4 juil. 2005.

156

Art. 313-1 créé par la L. n°72-3 du 3 janv. 1972, implicitement abrogé par l’ord. n°2005-759 du 4 juil. 2005.

157

Cf. c. civ., art. 313-2, al. 1 (L. n°72-3 du 3 janv. 1972) : « Lorsque la présomption de paternité est

écartée dans les conditions prévues aux articles précédents, la filiation de l’enfant est établie à l’égard de la mère comme s’il y avait eu désaveu admis en justice ».

158

Pour que l’acte de naissance bénéficie d’une valeur probatoire autonome, encore fallait-il que l’article 313-1 soit appliqué, comme certains le suggéraient alors, à l’enfant déclaré à l’état civil sous le seul nom de sa mère et dépourvu de toute possession d’état, c’est-à-dire tant à l’égard de l’époux qu’à l’égard de sa mère. Dans ce cas uniquement, on pouvait considérer que la filiation maternelle était établie par le seul acte de naissance.

Quoiqu’il en soit, l’état du droit aboutissait à une solution surprenante, à savoir que l’établissement de la maternité était plus aisé lorsque l’enfant était le fruit d’un adultère commis par l’épouse, que lorsque l’enfant était issu d’une femme non marié qui n’avait donc pas commis d’adultère.

En posant que la désignation de la mère, dans l’acte de naissance de l’enfant, établit la filiation maternelle, sans différencier selon que la parturiente est ou non engagée dans les liens du mariage, l’ordonnance du 4 juillet 2005 a mis fin à cette incohérence.

§ II Aujourd’hui : la subsidiarité de la reconnaissance

dans l’établissement du lien maternel

S’il ne l’a pas été en vertu de l’article 311-25 du Code civil (A), le lien de filiation maternelle, qu’il s’inscrive ou non dans un mariage, peut être établi au moyen de la reconnaissance (B).

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