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Une paternité vraisemblable au regard de la possession d’état

§ I Une présomption fondée sur la forte probabilité

C) Une paternité vraisemblable au regard de la possession d’état

La possession d’état est une notion essentiellement flottante. C’est, par nature, un fait, une situation de fait. C’est, par fonction, un indice, l’indication d’un rapport de parenté ou plutôt une présomption de ce lien de sang, qui est déduite de la situation apparente. Partant d’un ensemble de faits connus qui sont les éléments constitutifs de la possession d’état, on induit un fait inconnu : la paternité de l’époux.

Signe d’un lien affectif, parfois d’un lien de sang (4), la possession d’état joue un rôle important (1). Sa constatation suppose la réunion d’éléments révélant le lien de filiation (2). Elle doit en outre présenter certains caractères légalement définis (3).

1 L’importance du rôle de la possession d’état

L’article 313 alinéa 1er du Code civil énonce plusieurs hypothèses dans lesquelles la présomption de paternité est écartée, car la paternité du mari paraît alors peu vraisemblable. L’alinéa 2 de ce même texte prévoit toutefois que la présomption est

« rétablie de plein droit si l’enfant a la possession d’état à l’égard de chacun des époux », ce qui signifie que la possession d’état rétablit la probabilité de la paternité que

les circonstances rendaient suspecte.

L’article 314 du Code civil, quant à lui, écarte la présomption de paternité lorsque

« l’enfant n’a pas de possession d’état à l’égard » du conjoint de sa mère, au motif

avancé par de nombreux auteurs que l’absence de possession d’état fait douter de la véracité de la paternité.

La possession d’état d’enfant joue donc un rôle essentiel en matière de filiation43. Il n’en a pas toujours été ainsi. Si elle n’était pas inconnue du droit romain, la possession d’état perdit de son utilité sous l’Ancien Régime au fur et à mesure que se développaient les registres paroissiaux. Remise à l’honneur par la Révolution qui accordait un certain rôle à la possession d’état des enfants hors mariage, elle ne tint qu’une place réduite dans le Code civil de 1804, et ce d’autant plus que la jurisprudence manifesta à son égard une grande défiance.

Rénovée par le législateur de 1972, où depuis elle joue un rôle de premier plan, la possession d’état a acquis une autre dimension : on ne lui demande plus seulement de jouer le rôle d’une preuve du lien biologique, mais d’introduire dans la matière un élément sociologique. En ce sens, la possession d’état correspond à une réalité sociologique qui peut parfois être différente de la vérité biologique.

Toutefois, cette considération pour la réalité vécue, pour le tissu de relations affectives qui a pu se constituer, ne saurait aller jusqu’à heurter par trop la vérité des gènes. Les éléments constitutifs d’une possession d’état témoignent de la nécessité, pour le lien légalement reconnu, de présenter un caractère vraisemblable.

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2 Les éléments constitutifs de la possession d’état

Le constat d’une possession d’état exige « une réunion suffisante de faits qui

révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir »44.

Le législateur expose « les principaux de ces faits » à l’alinéa 2 de l’article 311-1 du Code civil : il s’agit de la trilogie autrefois dégagée par le droit canonique.

Le premier élément, permettant de considérer qu’il existe une possession d’état, est que « la personne a été traitée par celui ou ceux dont on la dit issue comme leur enfant

et elle-même les a traités comme son ou ses parents. Ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation ».

C’est ce qu’on appelle le « tractatus ». Les protagonistes se considèrent réciproquement comme unis par un lien de parenté directe au premier degré. Les uns exercent une autorité parentale et, à ce titre, apportent tous les soins dont celui qu’on dit leur enfant peut avoir besoin. Durant la minorité de ce dernier, et même au-delà si besoin, ou jusqu’à son émancipation, ils le nourrissent, le logent, le soignent. Ils veillent à ce qu’il reçoive un minimum d’instruction et d’éducation. Ils le protègent tant physiquement que moralement. En cela, ils ont un droit de regard sur les gens que fréquente leur enfant, ainsi que sur sa correspondance. Ils bénéficient aussi d’un droit général de jouissance quant aux biens qui lui appartiennent. Bref, ils exercent tous les attributs de l’autorité parentale, laquelle se définit, aux termes de l’article 371-1 alinéa 1 du Code civil, comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt

de l’enfant ». Son objectif est de « protéger [l’enfant] dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne »45.

De son côté, celui qu’on dit issu de ceux (ou celui ou celle) que l’on désigne par ses père et/ou mère se montre obéissant envers eux. Il leur prodigue « honneur et

respect »46. Il est sous leur garde, en cela qu’il ne peut quitter le logement familial sans leur permission. En contrepartie, il est nourri, logé, vêtu, soigné, instruit…

Bien évidemment, le comportement (et son appréciation) de ceux que l’on dit être les parents et de leur présumé enfant varie en fonction de l’âge de ce dernier, mais aussi des besoins et ressources des uns et des autres.

Le second élément constitutif est que la « personne est reconnue comme leur enfant,

dans la société et par la famille » et qu’« elle est considérée comme telle par l’autorité publique ».

C’est ce qu’on désigne par la « fama ». Dans l’esprit des gens extérieurs à la cellule familiale composée des père et/ou mère de l’enfant et de ce dernier, ceux que l’on dit

44

C. civ., art. 311-1, al. 1.

45

C. civ., art. 371-1, al. 2.

46

être les parents le sont réellement et celui que l’on dit être leur enfant l’est vraiment. Ces gens sont la famille proche comme éloignée, les amis et les voisins, mais aussi l’administration, les établissements scolaires, les services de l’état civil…

Enfin, troisième et dernier indice fourni par le Code civil : la personne « porte le

nom de celui ou ceux dont on la dit issue ». Il s’agit du « nomen ».

Observons qu’avant la réforme de juillet 2005, le nom figurait à la première place47. Prenant acte de la législation relative à la dévolution du nom de famille48, dont la conséquence principale est que la dénomination de l’enfant peut être le résultat d’un choix ou de circonstances fortuites, et donc ne joue qu’un rôle secondaire et aléatoire dans l’indication du rapport de filiation, les rédacteurs de l’ordonnance ont procédé à

« une remise en ordre »49. En bouleversant l’ordre, ils ont implicitement tenu compte d’un changement, dans les esprits, de la hiérarchie des éléments constitutifs : le

tractatus est désormais au cœur du lien de filiation. Aussi est-il logique qu’il figure en

tête de liste.

L’ordonnancement correspond ainsi mieux aux réalités concrètes et à l’importance de chacun des éléments : la réalité sociologique traduite par la possession d’état est avant tout exprimée par le tractatus, d’où découle le plus souvent la fama.

Précisons qu’il n’est pas nécessaire que tous les éléments énumérés à l’article 311-1 alinéa 2 du Code civil soient réunis pour que la possession d’état soit considérée comme établie. En effet, la Cour d’appel de Paris a signalé, dans un arrêt du 5 février 197650, que la possession d’état pouvait se déduire d’un ensemble de faits ne recouvrant pas complètement la liste donnée, seulement à titre indicatif, par l’article 311-2 ancien51.

De même que cette énumération légale ne constitue pas les seuls indices que l’on puisse invoquer. Il suffit, comme l’indique l’alinéa 1er de l’article 311-1 et comme l’a précisé la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt en date du 5 juillet 198852, qu’il y ait « une réunion suffisante de faits qui révèlent le [rapport] de filiation

et de parenté ».

C’est ainsi que l’appréciation du tractatus et de la fama peut se faire de façon spécifique lorsqu’il est question d’établir une possession d’état prénatale, comme le

47

Cf. c. civ., art. 311-2, réd. L. n°72-3 du 3 janv. 1972, implicitement abrogé par ord. n°2005-759 du 4 juil. 2005.

48

Cf. c. civ., art. 311-21 et suiv.

49

F. DEKEUWER-DEFOSSEZ, « Le nouveau droit de la filiation : pas si simple ! », Revue Lamy Dr.

civ., 2005, n°878, p. 35.

50

CA Paris, 5 fév. 1976, JCP G, 1976, II-18487, note GROSLIERE.

C’est une jurisprudence constante, comme en atteste un arrêt rendu par la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation le 6 mars 1996 (Bull. Civ., I, n°69) : « il n’est pas […] nécessaire à l’établissement de la

possession d’état que soient réunis touus les éléments énumérés par l’article 311-2 » ancien c. civ.

51

Art. 311-2, réd. L. n°72-3 du 3 janv. 1972.

52

permet implicitement mais clairement l’article 317 alinéa 2 qui autorise le recours à l’acte de notoriété « quand le parent prétendu est décédé avant la déclaration de

naissance de l’enfant ». En effet, il n’y a eu aucun contact direct entre ce dernier et celui

que l’on prétend être le père. On prend alors en considération des faits tels que l’accompagnement de la future maman durant le suivi médical de la grossesse, la participation au choix du prénom de l’enfant, l’annonce de la naissance attendue à l’entourage, l’accomplissement de diverses démarches ou formalités dans la perspective de cette naissance53.

La possession d’état doit encore présenter certains caractères.

3 Les caractères de la possession d’état

Conformément à l’article 311-2 du Code civil, « la possession d’état doit être

continue54, paisible, publique et non équivoque ».

Les juges ont assez rapidement appliqué les critères généraux de la possession d’état permettant de faire courir le délai de prescription afin d’acquérir la propriété d’un bien, et qui sont énoncés à l’article 2229 du Code civil (et désormais à l’article 311-2).

C’est ainsi que le 7 décembre 198355, la 1ère Chambre civile a ajouté que la possession d’état devait être exempte de vices. Elle doit notamment apparaître au vu et au su de tous et ne pas sembler douteuse.

Dans un arrêt de rejet en date du 14 mars 2006, la 1ère Chambre civile56 a estimé que l’aveu de sa non paternité par le mari de la mère ne permettait pas de déduire le caractère équivoque de la possession d’état. En l’espèce, un tiers, prétendant être le véritable père de l’enfant, entendait contester le lien légalement établi entre ce dernier et l’époux. Or, sous l’empire de l’ancienne législation, l’action était irrecevable en

53

Par ex., l’achat de mobilier ou de vêtements pour nourrisson, la recherche d’une crèche ou d’une nourrice…

54

La jurisprudence s’est montrée assez souple dans l’appréciation du caractère continu, comme en témoigne un arrêt rendu le 3 mars 1992 par la 1ère Chambre civile (Bull. Civ., I, n°69), où il est affirmé que « la continuité que doit présenter la possession d’état n’implique pas nécessairement une

communauté de vie ou des relations constantes ; qu’il appartient aux juges du fond d’apprécier, compte tenu des circonstances de la cause, si les faits qui, réunis, indiquent le rapport de filiation, peuvent être relevés habituellement ». De même, le 6 mars 1996 (préc. note 50), la haute juridiction précise que « la continuité requise par le second alinéa de l’article 311-1 du Code civil doit être appréciée en fonction de l’ensemble des faits de diverses natures dont la réunion indique le rapport de filiation, sans qu’il soit nécessaire que chacun d’eux, considéré isolément, ait existé pendant toute la durée de la période considérée », autrement dit de façon simultanée. La condition tenant à la continuité est remplie dès lors

que ces faits ont successivement existé. La circ. n°CIV/13/06 « de présentation de l’ordonnance n°759-2005 du 4 juillet n°759-2005 portant réforme de la filiation », du 30 juin 2006, renvoie à cette jurisprudence.

55

Cass., civ. 1ère, 7 déc. 1983, D., 1984, jurisp., p. 191 (2ème espèce), note D. HUET-WEILLER.

56

présence d’une possession d’état d’enfant « légitime » conforme au titre de naissance57. L’intéressé n’avait donc d’autre solution que de s’attaquer à la possession d’état.

Pour justifier sa position, la Haute juridiction a relevé le constat fait par les juges du fond58 de ce que « les relations » de l’auteur du pourvoi « avec l’enfant […] restaient

épisodiques et incertaines », tandis que la petite fille avait été inscrite à l’état civil

comme conçue par le mari de sa mère, que ce dernier l’avait toujours considérée comme étant de lui et qu’elle était reconnue comme telle par les tiers.

La circulaire du 30 juin 200659 se réfère, quant à elle, à la fraude ou à la violation de la loi60, ainsi qu’aux conflits de possessions d’état concurrentes ou successives61, pour estimer qu’il y a équivoque.

4 La double facette de la possession d’état

Dans la plupart des cas, les liens que tisse la vie quotidienne, la prise en charge matérielle et morale d’un enfant, la reconnaissance de la famille et de la société sont la suite et l’expression même du lien de sang. C’est ainsi que Ambroise COLIN, dans son célèbre article62, qualifie la possession d’état d’« aveu répété [et] permanent »63.

Certes, il est des cas où l’on sait, ou soupçonne, que le lien génétique entre l’enfant et le mari de sa mère n’existe pas. Et pourtant, la paternité de ce dernier n’est pas écartée, le droit décidant de faire produire des effets au comportement parental adopté à l’égard de l’enfant. A défaut d’être l’indice d’un lien de sang, la possession d’état est alors au moins le signe visible d’une réalité affective.

Mais bien souvent, elle est un ensemble d’éléments objectifs qui traduisent l’existence d’un lien biologique64 car, la plupart du temps, l’existence de ce lien constitue le mobile qui anime la possession d’état. Le comportement adopté à l’égard

57

C. civ., art. 322, al. 2 (L. n°72-3 du 3 janv. 1972) : « […], nul ne peut contester l’état de celui qui a une

possession conforme à son titre de naissance ».

58

CA Papeete, 18 nov. 2004.

59

Circ. n°CIV/13/06 « de présentation de l’ordonnance n°759-2005 du 4 juillet 2005… », op. cit. note 54.

60

Dont le but serait, par ex., de contourner les règles de l’adoption ou l’interdiction d’établir le second lien de filiation en cas d’inceste absolu (cf. infra, 1ère partie, titre II, chap. I), ou bien encore la prohibition de la gestation pour autrui.

61

En vertu de l’art. 320 c. civ., dont l’objet est d’éviter les conflits de filiation, c’est la première possession d’état constatée qui l’emporte sur la seconde en date, du moins jusqu’à ce qu’une action en contestation, engagée dans les conditions de l’art. 335, fasse tomber la filiation ainsi établie.

62

A. COLIN, « De la protection de la descendance illégitime au point de vue de la preuve de la filiation », op. cit. note 6, p.p. 257-300.

63

Ibid., p. 269.

64

Pierre MURAT (« L’enfant de mère porteuse, tentative d’établissement de la filiation par possession d’état », note TGI Lille, 22 mars 2007, Dr. fam., 2007, comm. 122, p. 29) parle à son égard de

« présomption simple du lien biologique : le comportement apparent laise simplement présumer l’engendrement ».

d’un enfant et la manière de le considérer traduisent de façon générale des liens génétiques.

Cette double facette de la possession d’état est le signe d’une conception volontariste de la présomption de paternité limitée par un souci de réalisme. En ce sens, la thèse défendue au siècle dernier par Ambroise COLIN ne doit pas être totalement repoussée : elle doit seulement être relativisée dans ce qu’elle a d’excessif au regard de la théorie de l’autonomie de la volonté. Les dispositions qui subordonnent l’application ou le rétablissement de la présomption « Pater is est… » à l’existence de la possession d’état d’enfant du mari reposent, sinon sur un aveu anticipé de ce dernier, du moins, dans une certaine mesure, sur son acceptation de l’enfant, sur sa volonté de l’accueillir comme sien.

Si la règle « Pater is est.. » héritée du droit romain ne doit plus servir à fabriquer des filiations mensongères, il convient toutefois de protéger des situations de fait dignes d’intérêt et socialement respectables en prenant en compte la possession d’état. Celle-ci ne saurait d’ailleurs entrer en totale contradiction avec la vérité génétique, au risque de voir le lien établi judiciairement remis en cause.

Par les textes qui la régissent, la présomption de paternité est passée du rang de véritable règle de fond à celui de présomption simple, de règle de preuve dont le maintien au profit du seul époux se justifie tant d’un point de vue objectif que d’un point de vue subjectif.

§ II La justification d’une présomption réservée à la

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