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LA MATERNITE DISTINCTE DE LA PATERNITE DANS LES MODES D’ETABLISSEMENT VOLONTAIRE

La paternité souffre d’un manque d’évidence physiologique que la maternité ne connaît pas, l’accouchement étant visible, contrairement à la conception. Or en France, comme dans la plupart des autres Etats1, c’est l’accouchement qui désigne la mère2. Bien que la maternité ne soit pas expressément définie dans notre législation3, « il est

patent que […] la mère est celle qui porte l’enfant et donc donne la vie en le mettant au monde »4 ; d’où l’interdit frappant la gestation comme la procréation pour autrui5.

La règle a été clairement affirmée par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 31 mai 19916. Confirmée par le législateur en 19947, elle a été maintes fois rappelée par les magistrats8. Les faits sont invariablement les mêmes : une femme ne pouvant porter un enfant décide avec son mari ou concubin de se rendre à l’étranger9 afin de

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Les conventions de mère porteuse sont nulles not. en Allemagne, en Autriche, en Espagne, aux Pays-Bas et en Suisse. V. F. GRANET-LAMBRECHTS, « Convergences et divergences des droits européens de la famille », Perspectives de réformes en droit de la famille, coll. Centre de Droit de la famille, Fac. Grenoble, 26-27 nov. 1999, Dr. fam., déc. 2000, hors-série, chron. 1.

2

V. G. CORNU, « Droit civil : La famille », 8ème éd., Montchrestien, 2003, coll. Domat : droit privé, spéc. n°298. V. aussi les arrêts relatifs à la gestation pour autrui, cités infra.

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Le droit allemand fait ici figure d’exception, puisqu’il définit expressément la maternité à l’art. 1591 du BGB : « La mère de l’enfant est la femme qui lui a donné naissance ».

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CA Rennes, 4 juil. 2002, D., 2002, p. 2902, note F. GRANET-LAMBRECHTS ; Dr. fam., 2002, comm. 142, note P. MURAT ; JCP G, 2003, I-101, n°4, obs. J. RUBELLIN-DEVICHI

5

Dans le rapp. « L’enfant d’abord » (V. PECRESSE, rapp. fait au nom de la mission d’information sur la famille et les droits des enfants, AN, n°2832, 25 janv. 2006), la Mission expose la définition des termes : l’expression « gestation pour autrui » vise le cas où l’ovule fécondé n’est pas celui de la femme qui porte l’enfant ; l’expression « procréation pour autrui » désigne l’hypothèse où la gestatrice est aussi la génitrice ; enfin l’expression « mère porteuse » peut s’appliquer indifféremment aux deux hypothèses.

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Defrénois, 1991, p. 1267, obs. J-L AUBERT ; JCP G, 1991, II-21752, comm. J. BERNARD, concl. H. DONTENWILLE et note F. TERRE ; D., 1991, jurisp., p.p. 417 et suiv., rapp. Y. CHARTIER et note D. THOUVENIN ; RTDciv., 1991, p. 517, obs. D. HUET-WEILLER ; RTDciv., 1992, p. 489, chron. M. GOBERT. Attendu de principe : « La convention par laquelle une femme s’engage, fût-ce à titre gratuit,

à concevoir et à porter un enfant pour l’abandonner à sa naissance contrevient tant au principe d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain qu’à celui de l’indisponibilité de l’état des personnes ».

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C. civ., art. 16-7 (L. n°94-653 du 29 juil. 1994) : « Toute convention portant sur la procréation ou la

gestation pour le compte d’autrui est nulle ».

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Not. CA Rennes, 4 juil. 2002, préc. note 4 et cass., civ. 1ère, 9 déc. 2003, RJPF, 2004, 3/35, analyse Th. GARE ; Dr. fam., 2004, comm. 17, note P. MURAT.

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La gestation pour autrui est autorisée not. au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Grande-Bretagne, dans certains Etats des Etats-Unis, aux Pays-Bas, au Danemark, en Hongrie, en Finlande, en Grèce, en Roumanie, en Belgique.

conclure une convention de mère porteuse. Lorsque l’enfant naît, l’épouse ou concubine tente d’établir en France le lien de filiation soit par reconnaissance, soit par adoption. Dans le premier cas, le ministère public obtient la nullité de l’acte portant atteinte à l’ordre public10, dans le second, les juges rejettent la requête en ce que le processus constitue un détournement de l’institution de l’adoption qui a pour objet de donner une famille à un enfant qui en est dépourvu11. Le résultat d’une telle position jurisprudentielle est que l’enfant n’a pas de lien établi avec celle qui s’occupe quotidiennement de lui depuis sa naissance et qui est parfois sa génitrice12. C’est une impasse juridique puisque même la possession d’état ne peut y remédier, la fama ne pouvant être invoquée utilement. Pour autant, on ne saurait admettre « la tyrannie du

fait accompli »13, sous prétexte des conséquences excessives de la situation créée au regard de l’intérêt de l’enfant, car alors la prohibition d’ordre public inscrite à l’article 16-7 du Code civil perdrait tout son sens14.

Quant au risque d’une condamnation de la France par la Cour européenne, rien n’est moins sûr. Certes, l’article 8 de la convention semble applicable dès lors que la relation entre l’enfant et celle qui l’élève peut être qualifiée de vie familiale15. Mais il n’est pas dit, au regard du consensus existant actuellement dans les législations européennes, que l’instance strasbourgeoise déduise de l’article 8 l’obligation pour les Etats parties de permettre l’établissement d’un lien juridique entre les intéressés16.

L’arrêt confirmatif rendu par la Cour d’appel de Paris, le 25 octobre 200717, renouvelle la question de la gestation pour autrui. En l’espèce, un couple s’est rendu en Californie où le procédé est admis par la loi. Quelques mois après que la mère porteuse soit tombée enceinte, la Cour suprême de Californie a prononcé une décision conférant la qualité de père et mère aux membres du couple. Les certificats et les actes de naissance des enfants ont été établis conformément à ce jugement. Au moment de les puis transcrire sur les registres de l’état civil français, le consulat général de France a alerté le procureur de la République, qui a demandé l’annulation de la transcription comme contraire à l’ordre public. Les magistrats parisiens ont déclaré sa requête irrecevable « au regard de l’ordre public international », au motif que « les

10

CA Rennes, 4 juil. 2002, préc.

11

Pour l’adoption plénière, v. cass., Ass. plén., 31 mai 1991 et 1ère civ., 9 déc. 2003, préc.

Pour l’adoption simple, v. cass., civ. 1ère, 29 juin 1994 D., 1994, jurisp., p. 581, note Y. CHARTIER ; GP, 1995, 2, somm. 422, obs. J. MASSIP ; JCP G, 1995, II-22362, note J. RUBELLIN-DEVICHI

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L’époux ou le concubin est quant à lui le géniteur de l’enfant.

13

P. MURAT, note CA Rennes, 4 juil. 2002, préc. note 4, p. 17.

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Pour la Mission (rapp. « L’enfant d’abord », op. cit. note 5), qui est opposée à l’abolition de l’interdiction, la solution doit être recherchée dans une « délégation de responsabilité parentale » au

profit de la « mère intentionnelle ».

15

Ibid., p. 18.

16

Le consensus justifie généralement le maintien par la Cour du statu quo. V. F. SUDRE, « La construction par le juge européen du droit au respect de la vie familiale », rapp. introductif in Le droit au

respect de la vie familiale au sens de la CEDH, coll. IDEDH, Montpellier, 22-23 mars 2002 (dir. F.

SUDRE), Némésis/Bruylant, 2002, p.p. 40 et suiv.

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énonciations des actes » de naissance « sont exactes au regard des termes du jugement étranger du 14 juillet 2000 » ; or l’appelant « ne conteste ni l’opposabilité en France »

de cette décision « ni la foi à accorder aux actes dressés en Californie dans les formes

usitées dans cet Etat ». Ils ajoutent que « au demeurant, la non transcription des actes de naissance aurait des conséquences contraires à l’intérêt supérieur des enfants qui, au regard du droit français, se verraient priver d’actes d’état civil indiquant leur lien de filiation, y compris à l’égard de leur père biologique ».

Doit-on voir, dans cette solution, un assouplissement de la jurisprudence française ? Il est encore trop tôt pour le dire. D’une part, l’objet de la contestation était différent dans les affaires visées plus haut et il ne soulevait pas un problème de droit international privé. D’autre part, un pourvoi en cassation a été formé et rien ne nous permet d’affirmer avec certitude que la haute juridiction rendra un arrêt de rejet.

A l’heure actuelle, c’est encore l’accouchement qui désigne la mère. Dès lors, et contrairement à la filiation paternelle, la preuve du lien maternel, par son objet, peut difficilement être dissociée de la preuve de la naissance. C’est la raison pour laquelle l’acte de naissance inscrit sur les registres de l’état civil joue un rôle important pour l’établissement de la maternité, que celle-ci se situe en ou hors mariage.

Le Droit romain et l’ancien Droit avaient adopté l’adage « mater semper certa est », indépendamment de l’existence ou non d’une union officialisée entre les parents. Il fut ensuite affirmé que la simple indication, dans l’acte de naissance, du nom de la femme ayant accouché, ne permettait que l’établissement de la maternité s’inscrivant dans une union conjugale. Sans qu’elle se suffise à elle-même, cette indication a toutefois connu un rôle croissant dans l’établissement du lien maternel hors mariage, surtout depuis la loi du 3 janvier 1972. C’est finalement l’ordonnance du 4 juillet 2005 qui a consacré la désignation dans l’acte de naissance comme principe commun d’établissement volontaire de la maternité, tout en conservant la possibilité, à titre subsidiaire, d’une reconnaissance de l’enfant par celle, mariée ou non, qui l’a mis au monde.

Comme dans un phénomène de bascule, à mesure que l’on a étendu le rôle de l’acte de naissance, évolution qui s’avérait inévitable (section I), la reconnaissance a vu son importance décroître (section II).

Section I : Le rôle inévitable de l’acte de naissance dans l’établissement

de la filiation maternelle

Plus d’un siècle avant l’adoption de l’ordonnance du 4 juillet 2005, Ambroise COLIN se prononçait déjà en faveur de l’établissement de la maternité au moyen de l’acte de naissance, indépendamment de l’existence d’un lien conjugal entre les parents

de l’enfant18. Il accusait l’inégalité que le droit instaurait entre l’épouse et la femme non mariée, cette dernière devant effectuer une reconnaissance.

Ce n’est qu’à partir des années 1970 que le souci de considérer de manière égale le lien qui a pu se constituer entre une mère et son enfant, même si celle-ci n’est pas engagée dans un mariage, a pris une valeur nouvelle (§ I).

Cependant, trois décennies devront encore s’écouler avant que le droit français institue la désignation de la mère dans l’acte de naissance comme mode d’établissement de principe de la filiation maternelle, indépendamment de l’existence d’une union matrimoniale (§ II).

§ I L’égalité dans la considération du lien entre une mère

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