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Le mari distinct du concubin dans la procréation artificielle

§ I Une manifestation de volonté encadrée par la probabilité du lien reconnu

B) Le mari distinct du concubin dans la procréation artificielle

La conception d’un enfant nécessite parfois de recourir à une assistance médicale. Une telle procréation ne suscite aucune difficulté en droit de la filiation quand elle est endogène, c’est-à-dire qu’elle n’implique aucun élément génétique extérieur au couple. L’utilisation d’ovocytes appartenant à une personne autre que l’épouse ou la concubine ne devrait pas non plus poser de difficultés dès lors que le droit français, comme la majorité des droits étrangers, affirme que la mère est celle qui accouche et non pas celle qui donne ses gènes à l’enfant159.

En revanche, la procréation médicalement assistée avec tiers donneur masculin est source de difficultés, la paternité ne pouvant découler d’un fait apparent à l’image de la maternité. Ici, la femme, membre du couple receveur, est inséminée de manière artificielle avec le sperme d’un tiers, qui aura préalablement et anonymement fait don de

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Nous utilisons volontairement ce terme, l’art. 2141-2 al. 3 CSP exigeant, à l’égard des couples non mariés, la justification « d’une vie commune d’au moins deux ans », autrement dit la preuve de l’existence d’une certaine stabilité du couple. Or il s’agit là d’un élément que l’on retrouve parmi ceux caractérisant le concubinage, tel qu’il est défini à l’art. 515-8 c. civ. (cf. supra).

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ses gamètes. Ce processus implique que le second membre du couple, à savoir le concubin ou l’époux, n’aura pas de lien génétique avec l’enfant qui naîtra.

C’est la raison pour laquelle, lorsque la procréation médicalement assistée nécessite l’intervention d’un tiers donneur, le législateur a instauré, dans le Code civil, le Code de la santé publique et le nouveau Code de procédure civile, de nombreuses précautions afin d’assurer la validité du consentement donné par ceux qui désirent bénéficier d’une telle technique.

Tout d’abord, les prétendants à l’assistance médicale sont dûment informés, notamment quant aux « conséquences de leur acte au regard de la filiation »160, particulièrement « de l’impossibilité d’établir un lien de filiation entre l’enfant issu de

la procréation et l’auteur du don, ou d’agir à l’encontre de celui-ci »161, ainsi que « de

l’interdiction d’exercer une action en contestation de filiation ou en réclamation d’état au nom de l’enfant »162 – sauf l’un des deux cas expressément prévus par la loi163 – et

« de la possibilité de faire déclarer judiciairement la paternité de celui qui, après avoir consenti à l’assistance médicale à la procréation, ne reconnaît pas l’enfant qui en est issu […] »164.

Ils reçoivent également des informations intéressant l’adoption et les procédés d’assistance à la procréation165.

Ensuite, le consentement doit être donné avant l’intervention166 et dans des conditions garantissant le secret167, « hors la présence de tiers »168, de telle sorte que le risque d’influences externes soit minime. Il nécessite de faire une « déclaration

conjointe »169, laquelle « est recueillie par acte authentique »170, « devant le président

du tribunal de grande instance […] ou son délégué, ou devant notaire »171. Et il doit être maintenu jusqu’à la réalisation du projet, la loi prévoyant la possibilité, avant que l’opération ait lieu, de le révoquer par écrit auprès du médecin chargé de la mettre en œuvre172.

160

C. civ., art. 311-20, al. 1er, in fine.

161

NCPC, art. 1157-3, al. 1er.

162

Ibid.

163

A savoir que l’enfant « n’est pas issu de la procréation médicalement assistée ou que le consentement

a été privé d’effet ». Ibid.

164

Ibid.

165

CSP, art. L 2141-10, al. 2.

166

CSP, art. L 2141-10, dernier al. et c. civ., art. 311-20, al. 1.

167

C. civ., art. 311-20, al. 1.

168 NCPC, art. 1157-2, al. 2. 169 NCPC, art. 1157-2, al. 1er. 170 NCPC, art. 1157-2, al. 2. 171

NCPC, art. 1157-2, al. 1er ; c. civ., art. 311-20, al. 1 et CSP, art. L 2141-10, dernier al., in fine.

172

C. civ., art. 311-20, al. 3 : le consentement est « privé d’effet lorsque l’homme et la femme le révoque,

par écrit et avant la réalisation de la procréation médicalement assistée, auprès du médecin chargé de mettre en oeuvre cette assistance ».

Enfin, le Code de la santé publique oblige à respecter un délai de réflexion pour pouvoir confirmer sa demande d’assistance médicale à la procréation173, laquelle confirmation doit être faite par écrit174.

Au regard de ces multiples précautions, destinées à garantir le consentement éclairé des membres du couple receveur, il aurait été permis d’en déduire que celui-ci suffit à l’établissement du lien de filiation. Pourtant, ce n’est pas la solution retenue par la loi, puisqu’il est énoncé à l’article 311-20 du Code civil que « celui qui, après avoir

consenti à l’assistance médicale à la procréation, ne reconnaît pas l’enfant qui en est issu engage sa responsabilité envers la mère et envers l’enfant. En outre, sa paternité est judiciairement déclarée. […] »175. Ces dispositions ne visent que la paternité hors mariage. Plusieurs arguments plaident en faveur de cette affirmation.

Premièrement, ne sont visées que la reconnaissance et l’action en recherche de paternité, lesquelles ne s’appliquent qu’à l’établissement du lien paternel en dehors de l’union conjugale.

Deuxièmement, le dernier alinéa de l’article 311-20, in fine, renvoie à l’article 328 relatif à l’action en recherche de paternité (et de maternité) exercée durant la minorité de l’enfant.

Enfin, l’expression « en outre », figurant à l’article 311-20 dernier alinéa in limine, signifie que ce qui suit – « sa paternité est judiciairement déclarée » – est en rapport avec ce qui précède – « celui qui, après avoir consenti à l’assistance médicale à la

procréation, ne reconnaît pas l’enfant qui en est issu engage sa responsabilité envers la mère et envers l’enfant » –. Ce qui confirme que c’est bien le concubin, et non l’époux,

qui se trouve concerné par les deux derniers alinéas de l’article 311-20 du Code civil. En réalité, le législateur a soumis l’établissement de la filiation des enfants, procréés à l’aide d’une technique médicale, aux règles du droit commun de la filiation. En mariage, c’est donc la présomption de paternité, régie aux articles 312 et suivants du Code civil, qui s’applique. Hors mariage, on a recours à la reconnaissance ou, à défaut, l’action en recherche.

S’ajoute l’engagement de la responsabilité du concubin qui n’aurait pas reconnu l’enfant alors qu’il aurait donné son plein accord à la venue au monde de celui-ci, solution qui est juridiquement contestable. En effet, cela revient à faire du consentement à l’insémination artificielle « une promesse de reconnaissance »176, dont l’inexécution donnerait lieu à condamnation à des dommages et intérêts. Or, comme le remarque à juste titre Daniel GUTMANN, « soit il existe une véritable liberté de reconnaissance,

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CSP, art. L 2141-10, al. 3 : « La demande ne peut être confirmée qu’à l’expiration d’un délai de

réflexion d’un mois à l’issue du dernier entretien ».

174

CSP, art. L 2141-10, al. 4 : « La confirmation de la demande est faite par écrit ».

175

C. civ., art. 311-20, al. 4 et 5.

176

D. GUTMANN, « Le sentiment d’identité : Etude de droit des personnes et de la famille », op. cit. note 33, p.p. 153-154.

auquel cas il est contraire à l’ordre public d’y porter atteinte, soit l’on admet une obligation d’établissement de la filiation, auquel cas le détour par une pseudo-liberté sous réserve de responsabilité et/ou d’établissement judiciaire de la filiation paraît singulièrement complexe »177.

Il est également contestable de transposer à l’établissement d’un lien ne reposant pas sur le critère génétique les dispositions de l’action en recherche de paternité, dont l’objectif est précisément de favoriser la recherche de l’identité biologique du géniteur.

Dans le même ordre d’idées, il est illogique, pour l’établissement du lien paternel, d’exiger une reconnaissance du concubin et de prévoir implicitement178 l’application de la présomption de paternité à l’égard du mari.

S’agissant de la reconnaissance, il n’est nullement question ici d’une quelconque confession, puisqu’on ne saurait confesser un lien biologique qui n’existe pas. La reconnaissance effectuée après une procréation médicalement assistée exogène ne peut avoir qu’une fonction d’admission, c’est-à-dire d’acceptation pour sien de l’enfant conçu à partir de gamètes provenant d’un autre homme. Autrement dit, elle n’a d’autre vocation que celle déjà assumée en amont par le consentement donné à l’assistance médicale, ce qui en fait une exigence redondante.

L’application à l’époux de la présomption de paternité n’apporte rien non plus à partir du moment où celui-ci a donné son plein accord à la procréation artificielle.

Autre critique que l’on peut formuler : les règles consacrées à l’article 311-20, derniers alinéas, du Code civil, ont pour effet de créer une double distinction.

D’abord, entre l’épouse et la concubine, puisque la seconde pourra choisir d’élever son enfant toute seule dans l’hypothèse où le concubin n’aurait pas reconnu celui-ci. En effet, l’article 311-20 dernier alinéa in fine prévoit que l’action en recherche de paternité

« obéit aux dispositions de l’article 328 », c’est-à-dire l’action exercée par la mère au

nom de son enfant mineur, et non de l’article 327 qui vise l’action exercée par l’enfant majeur. Cela implique que, dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation, seule la mère (non mariée avec celui qui a consenti) peut agir, pas l’enfant. L’engagement de l’action, et donc l’établissement du lien paternel, dépend entièrement de la volonté de la mère. Celle-ci peut préférer le versement d’indemnités par le concubin (ou ex-concubin) pour ne pas avoir respecté ce à quoi il s’était engagé en consentant à la procréation assistée. Notons que ce dernier sera déclaré responsable tant à l’égard de sa concubine (ou ex-concubine) que de l’enfant.

L’autre aspect de la distinction est que, contrairement au mari, dont le lien est automatiquement établi par application de la présomption de paternité, le concubin encourt le risque de voir sa responsabilité engagée s’il n’établit pas de lui-même la filiation avec l’enfant. Il peut également, ce qui n’est pas le cas du mari, échapper à sa

177

Ibid., p. 154.

178

paternité : il suffit pour cela qu’il ne reconnaisse pas l’enfant et que la mère de celui-ci n’intente pas l’action en recherche.

Si les rédacteurs avaient retenu que le consentement suffisait à l’établissement de la filiation, ils auraient évité de nombreuses incohérences et auraient par la même unifié les paternités en et hors union matrimoniale. Il n’y aurait rien eu de choquant. Bien au contraire, car il est assez déconcertant de prévoir qu’un consentement soit indispensable à la mise en œuvre d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, d’encadrer strictement ce consentement, de l’entourer de multiples précautions, pour finalement lui octroyer si peu d’effets juridiques.

Il existe une disproportion manifeste entre les conditions du consentement et les effets de ce dernier.

Il aurait été beaucoup plus simple et beaucoup plus logique de tirer du consentement à la procréation une conséquence directe et uniforme, que le couple d’accueil soit ou non uni maritalement, à savoir qu’il établit le lien de filiation ; d’autant que lorsqu’une action en recherche de paternité est engagée à l’encontre du concubin (qui, par hypothèse, n’a pas reconnu l’enfant), le lien est judiciairement prononcé sur le seul fondement du consentement donné à l’assistance médicale.

Certains font valoir qu’en consacrant des règles d’établissement de la filiation différentes de celles applicables aux enfants conçus sans recours à une assistance médicale, on aurait marginalisé socialement et humainement les enfants nés d’une telle assistance, et le principe d’égalité n’aurait pas été respecté. Or, « c’est précisément en

ne créant pas de statut particulier pour les enfants nés par une voie particulière »179

que l’on instaure une inégalité, en ne permettant pas à ces enfants de bénéficier des mêmes garanties que les autres quant à l’établissement de leur filiation.

Sans compter que les textes en vigueur entraînent des distinctions entre l’épouse et la concubine d’une part, entre le mari et le concubin d’autre part.

Lorsqu’il y a recours à une technique médicale de procréation, la distinction dans l’établissement de la paternité, entre l’époux et le concubin, ne se justifie donc pas, contrairement à celle qui existe lorsqu’un enfant a été conçu sans assistance médicale.

Ce qui est surprenant, c’est que les règles applicables en matière de procréation assistée ont pour effet d’instaurer une différence de traitement entre la concubine et l’épouse, alors que l’établissement de la maternité en et hors mariage a été unifié. Ce constat renforce l’idée selon laquelle une réforme s’impose en matière de procréation médicalement assistée.

En prévoyant que le consentement établit la filiation paternelle, le législateur abolirait toute distinction : d’abord entre le mari et le concubin, mais également, par ricochet, entre la femme et la concubine.

179

D. GUTMANN, « Le sentiment d’identité : Etude de droit des personnes et de la famille », op. cit. note 33, p. 154.

Depuis l’ordonnance du 4 juillet 2005, ces dernières voient leur lien maternel établi par des modes identiques. Ces moyens sont très proches de ceux applicables à la paternité mais s’en distinguent, d’une part, en ce qu’il n’est nullement nécessaire d’instituer une présomption à l’égard de la mère contrairement au conjoint de celle-ci, d’autre part, en ce que la reconnaissance n’est qu’un mode subsidiaire d’établissement de la maternité contrairement à la paternité hors mariage, et qu’elle concerne aussi bien la mère non mariée que l’épouse tandis qu’elle est fermée au mari.

Ces différences s’expliquent aisément par le fait que porter un enfant et le mettre au monde sont réservés, par nature, au sexe féminin ; que la gestation comme l’accouchement sont des événements visibles ; enfin, que l’on a toujours considéré180 que c’était l’accouchement qui importait pour désigner la mère, pas les gènes – autrement dit, si la génitrice et la gestatrice sont deux personnes différentes, c’est la seconde qui sera reconnue comme étant la mère de l’enfant.

180

CHAPITRE II :

LA MATERNITE DISTINCTE DE LA PATERNITE

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