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La méfiance envers les couples non mariés

Dans le document Les distinctions dans le droit de la filiation (Page 174-177)

§ I Des couples différemment traités

B) La méfiance envers les couples non mariés

Un couple non marié n’est pas admis, aux termes de l’article 346 alinéa 1er du Code civil55 et de l’article 361 par renvoi56, à déposer sa candidature. L’adoption n’est envisageable qu’au profit de l’un seulement de ses membres, conformément à l’article 343-1 alinéa 1 du Code civil qui énonce que « l’adoption peut être aussi demandée par

toute personne âgée de plus de vingt-huit ans ». L’enfant n’est alors juridiquement lié

qu’à celui qui l’a adopté. Des concubins peuvent aussi décider d’adopter chacun, séparément, un enfant. Chaque enfant se trouve rattaché à celui qui l’a adopté, sans qu’il existe de lien de droit avec l’autre membre du couple.

En dehors de l’union conjugale, il est impossible d’adopter à deux le même enfant. Observons que l’adoption de l’enfant de l’autre n’est pas non plus ouverte en France, en Suisse, en Italie, en Grèce, en Hongrie et au Luxembourg, aux couples non mariés, qu’ils soient concubins ou unis par un partenariat enregistré57. Elle est en revanche

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C°EDH, art. 14 : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être

assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ».

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C. civ., art. 346, al. 1er, concernant l’adoption plénière : « Nul ne peut être adopté par plusieurs

personnes si ce n’est par deux époux ».

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C. civ., art. 361, concernant l’adoption simple : « Les dispositions des articles […] 346 […] sont

applicables à l’adoption simple ».

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Le TGI de Paris, dans un jugement du 27 juin 2001 (Dr. fam., 2001, comm. 116, note P. MURAT), a admis l’adoption simple au profit de la partenaire pacsée à la mère biologique des enfants. La CA (Riom, 27 juin 2006) et la Cour de cassation (civ. 1ère, 19 déc. 2007, http://www.courdecassation.fr) rejettent de telles requêtes aux motifs que « la mère perdrait [alors] son autorité parentale […] alors qu’elle présente

toute aptitude à exercer cette autorité et ne manifeste aucun rejet à son l’égard » de l’enfant, « que l’article 365 du Code civil ne prévoit le partage de l’autorité parentale que dans le cas de l’adoption de l’enfant du conjoint et qu’en l’état de la législation française, les conjoints sont des personnes unies par les liens du mariage ». Dans l’affaire de 2001, les partenaires avaient paré à la difficulté, grâce à la loi du

ouverte à ces derniers au Québec, en Espagne, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Suède, en Belgique, en Angleterre, au Pays de Galles et au Danemark58.

Le salut des couples non mariés ne saurait venir des textes supranationaux ayant trait à l’adoption, puisque l’article 6 de la Convention européenne de 1967 en matière d’adoption ne permet l’accès à cette institution à un couple que si celui-ci est uni par les liens du mariage59. La Convention de la Haye du 29 mai 199360, quant à elle, renvoie aux législations internes.

De son côté, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ne contient aucun article garantissant expressément le droit d’adopter. De fait, les juges de Strasbourg n’ont jusqu’à présent condamné aucun Etat partie au motif qu’il réserve l’adoption conjointe aux couples mariés. Une telle condamnation semble d’ailleurs peu envisageable tant que la majorité des législations européennes partagera cette position61, le consensus justifiant généralement le statu

quo62.

Si l’adoption conjointe demeure fermée aux couples non mariés, c’est généralement parce que ces couples ont suscité, et suscitent encore parfois, la suspicion.

4 mars 2002, en demandant une délégation d’autorité parentale au profit de la mère biologique, ce que le TGI de Paris a également accordée le 2 juil. 2004 (AJFam., 2004, p. 361 obs. F. CHENEDE ; Dr. fam., 2005, comm. 4, note P. MURAT).

Notons que, en Angleterre, l’Adoption and Children Act de 2002, entré en vigueur le 30 déc. 2005, prévoit expressément que la responsabilité parentale peut être partagée entre plusieurs personnes, et notamment entre deux partenaires enregistrés, à l’égard de l’enfant de l’un d’eux (F. GRANET-LAMBRECHTS, « Parenté commune ou parentalité partagée dans les couples de même sexe… », op. cit. note 42).

58

Ibid.

59

L’art. 6 de cette convention autorise aussi, comme l’art. 343-1 al. 1er c. civ. français, l’adoption individuelle.

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Convention de la Haye du 29 mai 1993 relative à l’adoption internationale, ratifiée par la France par la L. n°98-147 du 9 mars 1998.

61

L’adoption conjointe est réservée aux époux not. en Suisse, en Italie, Allemagne, au Luxembourg, en Hongrie et en Grèce. Observons que la Belgique, les Pays-Bas et l’Espagne, qui ont ouvert le mariage aux couples homosexuels, autorisent l’adoption conjointe par de tels époux. On note une évolution au profit des partenaires enregistrés, alors même qu’ils seraient du même sexe, en Angleterre et aux Pays de Galles, aux Pays-Bas et en Suède (F. GRANET-LAMBRECHTS, « Parenté commune ou parentalité partagée dans les couples de même sexe… », op. cit. note 42). La question pourrait un jour être soulevée devant les juges strasbourgeois au sujet du PACS mis en place en France depuis la loi du 15 novembre 1999.

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En ce sens, v. F. SUDRE, « La construction par le juge européen du droit au respect de la vie familiale », rapp. introductif in Le droit au respect de la vie familiale au sens de la CEDH, coll. IDEDH, Montpellier, 22-23 mars 2002 (dir. F. SUDRE), Némésis/Bruylant, 2002, p.p. 40 et suiv.

De nature très diversifiée, puisque pouvant aller de l’aventure d’un soir à une union jusqu’à la mort, les relations hors mariage ne permettent pas de les assimiler, de manière générale, à la vie maritale63.

Pendant très longtemps, elles ont été l’objet de réprobation sociale. Quand bien même il s’agissait d’une véritable cohabitation installée dans la durée, celle-ci demeurait mal perçue. Considérée par le Droit romain comme inférieure à la vie commune engagée dans les liens matrimoniaux, elle a été ignorée par les rédacteurs du Code civil, qui se sont conformés à la pensée de Napoléon BONAPARTE : « Les

concubins se passent de la loi, la loi se désintéresse d’eux ». Par conséquent libres de

tout engagement réciproque, les membres du couple peuvent reprendre à tout moment leur liberté, sans aucune condition ni de forme ni de fond, contrairement aux époux64. C’est d’ailleurs ce qui fait dire à certains que « l’une des plus grandes forces du mariage, c’est, paradoxalement, le divorce […] parce qu’il n’est pas la répudiation. Il y a en effet des obligations des deux parents – envers l’enfant, mais aussi l’un envers l’autre le cas échéant – qui survivent au divorce, ce qui, du point de vue de l’intérêt de l’enfant, fonde la supériorité du mariage sur les autres formules65 »66.

Or, auparavant, rien n’était prévu pour régler la situation de l’enfant en cas d’éclatement du couple : les textes ne s’intéressaient qu’au cas où les parents divorçaient (ou se séparaient de corps). D’où le risque pour l’enfant, dans l’hypothèse où on aurait autorisé son adoption par des gens non mariés, de ne plus avoir aucun contact avec l’un de ses parents légaux.

Le mariage suppose la formation d’un foyer stable et uni (surtout à une époque où le divorce était restrictivement admis, voire interdit67), constitué d’un père et d’une mère, contrairement aux relations hors mariage dont la grande variété n’offre pas l’assurance de l’hétérosexualité ni les mêmes garanties de développement et d’épanouissement pour l’enfant68. On ne saurait pour autant ignorer le phénomène de banalisation du

63

Ainsi que l’écrit Gérard CORNU (« Droit-civil : La famille », Montchrestien, 2006, p. 85), la

« diversité est la marque essentielle de l’union libre, phénomène irréductiblement polymorphe. Le mariage est un, les unions libres multiples. D’un côté une institution, de l’autre une multitude de situations ».

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Cf. c. civ., art. 228 et suiv. relatifs au divorce.

65

Y compris le pacte civil de solidarité, dont la procédure de rupture se réduit à un enregistrement auprès du greffe du tribunal d’instance (c. civ., art. 515-7) et dont les conséquences sont moindres par rapport au divorce (comp. les dispositions du chap. III du Titre VI du Livre Ier aux deux derniers al. de l’art. 515-7).

66

Philippe BAS, rapp. « L’enfant d’abord », op. cit. note 4.

67

Disparu au début du XIXème siècle, le divorce fut rétabli par la loi du 27 juil. 1884, mais seulement pour faute. Il faudra attendre la L. n°75-617 du 11 juil. 1975 pour que soient légalisées d’autres formes de divorce.

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Ce sont des arguments que partagent plusieurs des personnes entendues par la Mission (Frédérique GRANET-LAMBRECHTS pense « qu’il serait préférable de réserver l’adoption plénière aux époux », lorsque l’enfant n’est pas celui de l’un des membres du couple, aux motifs que « le mariage présente un

certain nombre de garanties, en particulier en cas de séparation du couple, puisqu’un juge est nécessairement amené à intervenir pour prononcer le divorce, et que l’un des aspects des conséquences

concubinage, lequel se caractérise par sa durée et sa stabilité, ce qui le distingue de relations seulement épisodiques, voire passagères. On ne saurait non plus ignorer les progrès accomplis par le droit pour favoriser la parentalité conjointe, même en cas de crise.

Si les unions de fait pouvaient, jusqu’à une époque assez récente, être légitimement suspectées au regard de l’intérêt de l’enfant, et donc exclues de l’adoption conjointe, cette vision paraît aujourd’hui dépassée, particulièrement lorsqu’il y a concubinage hétérosexuel.

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