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Les arrêts de la Cour européenne : une autorité non négligeable

Dans le document Les distinctions dans le droit de la filiation (Page 162-166)

L’ETABLISSEMENT INTERDIT DU DOUBLE LIEN DE FILIATION

B) Le sort de la distinction au regard du droit européen des droits de l’Homme

2 Les arrêts de la Cour européenne : une autorité non négligeable

Certes, les arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme sont seulement déclaratoires et non exécutoires. Autrement dit, l’instance juridictionnelle ne peut que constater l’existence d’une violation des dispositions conventionnelles, non agir sur les origines de cette violation.

Toutefois, les arrêts ont l’autorité de chose jugée, les hautes parties contractantes s’étant engagées, en vertu de l’article 46 du protocole n°11 portant restructuration du mécanisme de contrôle établi par la Convention, « à se conformer aux arrêts définitifs

de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties ».

En cas de condamnation, la France devrait donc mettre fin à la discrimination que subit le requérant. A cette fin, et comme il a été maintes fois précisé, elle a en principe

« le choix des moyens à utiliser dans son ordre juridique interne pour s’acquitter de l’obligation qui découle pour »168 elle de l’article 46 précité, « il n’appartient pas à la

Cour d’indiquer les mesures à prendre »169.

Cependant, si la plainte porte sur la règle de l’article 310-2 du Code civil, et non sur une mesure individuelle prise en exécution de ce texte, cela signifie que les juges européens se seront prononcés au sujet d’une disposition nationale générale. La chose jugée aura alors inévitablement un champ d’application plus étendu, ce que reconnaît elle-même la juridiction supranationale dans l’arrêt « Marckx »170.

Au-delà de son aspect subjectif au regard de la victime, l’autorité de chose jugée comporte donc un aspect objectif, appelé « autorité de chose jugée renforcée »171 ou

168

Cour EDH, 29 avr. 1988, « Belilos contre Suisse », série A, n°132, § 78. F. SUDRE, « Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme », op. cit. note 158, p. 62-64.

Et Cour EDH, 31 oct. 1995, « Papamichalopoulos et autres contre Grèce », série A, n°330-B, § 34 :

« Les Etats contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt constatant une violation ». J. ANDRIANTSIMBAZOVINA, A.

GOUTTENOIRE, M. LEVINET, J-P MARGUENAUD, F. SUDRE, « Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme », PUF, 2007, p. 757.

169

Cour EDH, 18 déc. 1986, « Johnston contre Irlande », série A, n°112, § 77. F. SUDRE, « Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme », op. cit. note 158, p.p. 56-57.

Même arrêt, § 34 : « Ce pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’exécution […] traduit la liberté de

choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux Etats contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1) ».

170

Cour EDH, 13 juin 1979, « Marckx contre Belgique », Cour plénière, série A, n°31, § 58.

171

E. LAMBERT, « Les effets des arrêts de la Cour EDH : Contribution à une approche pluraliste du droit européen des droits de l’Homme », Bruylant, 1999, p. 81.

« force obligatoire de l’arrêt »172, au regard de l’Etat impliqué et de la violation relevée, aspect grâce auquel il y aura cessation de la violation et non répétition de l’illicite. Si les magistrats concluent à l’incompatibilité, il doit être mis fin au manquement, « c’est-à-dire faire en sorte que la norme litigieuse, considérée in

abstracto, cesse de déployer ceux de ses effets qui sont incompatibles avec la Con

oute disposition susceptible de rovoquer une nouvelle violation de la convention »175.

arier en vertu de l’article 161 pour cause de arenté ou de l’article 162 du Code civil.

torité morale de la jurisprudence européenne, de sa

« v

ng international et d’être en harmonie avec les opinions publiques interne et externe.

d’une violation de la Convention en raison de sa législation sur les enfants incestueux.

vention »173.

Pour de nombreux auteurs, cette obligation découle de l’article 46 du protocole n°11174. Elle « serait également le corollaire du principe de l’exécution de bonne foi qui

ferait obligation de faire disparaître du droit interne t p

Si la France était condamnée dans une affaire concernant l’article 310-2 du Code civil, elle n’aurait plus d’autre choix, afin de trouver une solution satisfaisante au regard de ses engagements conventionnels, que de revenir sur le traitement réservé à l’enfant dont les parents sont empêchés de se m

p

Si c’était un autre Etat partie, dont la législation interne sur l’enfant incestueux serait similaire à la notre, qui était condamné, une réforme s’imposerait également dans notre droit national au regard de l’au

aleur persuasive »176.

La décision prononcée contre ce tiers est certes, d’un point de vue juridique, totalement dépourvue de force obligatoire à l’égard du législateur français. Mais elle n’en possède pas moins un fort « effet incitatif »177, tant les parties contractantes ont tout intérêt à posséder et à préserver « le label de démocratie respectueuse des droits de

l’Homme »178 si elles ne veulent pas perdre leur crédit national, source de stabilité, et international, lequel leur permet d’être en position de force pour imposer leurs choix économiques, militaires, sociaux. Il est important pour un Etat souverain de tenir un ra

Pour l’instant, aucun pays membre n’a été accusé, devant l’instance européenne,

172

O. de SCHUTTER, « La coopération entre la Cour européenne des droits de l’Homme et le juge national », Revue belge de droit international, 1997, vol. I, p.p. 49-50. Expression reprise par J-P MARGUENAUD, « CEDH et droit privé : L’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme sur le droit privé français », La Documentation française, 2001, p.p. 15-16.

173

G. COHEN-JONATHAN, « Quelques considérations sur l’autorité des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme », Liber Amicorum Marc-André EISSEN, Bruylant/LGDJ, 1995, p.p. 48 et suiv.

174

J-P MARGUENAUD, « CEDH et droit privé… », op. cit. note 172, p. 15.

175

E. LAMBERT, « Les effets des arrêts de la Cour EDH… », op. cit. note 171, p. 111.

176

J-P MARGUENAUD, préc., p. 119.

177

F. SUDRE, « Droit européen et international des droits de l’Homme », PUF, 2003, p. 343.

178

Par conséquent, on ignore si le sort réservé à ces enfants doit être considéré incompatible avec le droit européen des droits de l’Homme.

Il est certain qu’il s’agit là d’un sujet délicat et pour lequel la prudence s’impose. D’autant qu’il y a une grande disparité entre les systèmes juridiques des hautes parties contractantes, ce qui, généralement, leur ouvre un large pouvoir : elles peuvent davantage restreindre le droit garanti au niveau supranational et ne pas instituer une totale égalité entre les enfants issus d’un inceste absolu et les autres.

La condamnation européenne de la législation française intéressant la filiation incestueuse n’est pas pour tout de suite.

L’interdiction édictée à l’article 310-2 du Code civil est sévère pour l’enfant. Mais elle s’explique par le souci de ne pas révéler au grand jour les situations d’inceste, surtout si ceux-ci sont considérés comme graves179. Car la prohibition de l’inceste demeure une donnée essentielle permettant de structurer les liens familiaux et la psychologie de l’individu. Et la disposition légale relative à la filiation a une forte connotation symbolique qui relaie les interdictions à mariage.

C’est la raison pour laquelle la commission présidée par Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ conclut qu’« il est préférable de conserver une solution plus feutrée pour

1’enfant et de ne pas sacrifier son intérêt à l’énoncé de grands principes »180. Elle n’envisage pas, dans son rapport remis au Garde des Sceaux, de supprimer l'interdiction d’établir la filiation dans les deux lignées parentales.

Jean HAUSER voyait alors dans l’adoption simple « une porte de sortie »181, cette forme d’adoption présentant un caractère « relativement neutre »182, de nos jours, quant à sa signification biologique. Mais nous savons que la Cour de cassation a rejeté cette solution et que l’ordonnance de 2005 est venue confirmer cette position183.

D’où l’opportunité de conserver l’action à fins de subsides, laquelle permet, lorsque le lien maternel est établi, de réclamer des subsides à l’homme ayant eu des relations sexuelles avec la mère durant la période légale de conception afin d’assurer des ressources financières pour élever et éduquer l’enfant.

Le traitement réservé à l’enfant issu d’un inceste absolu peut sembler contestable aux yeux de certains. Mais aucune solution idéale n’existe. Le législateur a pris le parti de dissimuler les conditions dans lesquelles l’enfant a été conçu, bien que l’on ne se

179

Cf. c. civ., art. 310-2, qui renvoie aux cas visés à l’art. 161 « pour cause de parenté » et à ceux visés à l’art. 162.

180

F. DEKEUWER-DEFOSSEZ, « Rénover le droit de la famille : propositions pour un droit adapté aux réalités et aux aspirations de notre temps », rapp., op. cit. note 136, p. 45.

181

J. HAUSER, « Adoption simple et père incestueux », op. cit. note 155, p.77.

182

Ibid., p. 77.

183

Cf. cass., civ. 1ère, 6 janv. 2004, préc. note 114 et c. civ., art. 310-2 : « par quelque moyen que ce

fasse pas trop d’illusion sur la pérennité d’un tel secret. A défaut de demeurer cachée dans les faits, la situation n’apparaîtra pas officiellement.

Cependant, il ne s’agit pas de léser par trop un enfant « innocent ». Aussi est-il prévu une solution offrant à ce dernier, à défaut d’un père, les moyens financiers de son entretien (sous réserve toutefois que ce soit la maternité qui ait été établie en premier, ce qui sera bien souvent le cas).

De manière plus contestable en revanche, le droit se montre plus exigeant à l’égard des couples non mariés qu’envers les époux dès lors qu’il est question d’accéder à la filiation en dehors du processus naturel de procréation d’un enfant.

CHAPITRE II :

L’ACCES CONDITIONNE

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