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La présomption de paternité, commodité de preuve nécessitant une reconnaissance officielle de l’union entre les père et mère

§ II La justification d’une présomption réservée à la paternité en mariage

A) La présomption de paternité, commodité de preuve nécessitant une reconnaissance officielle de l’union entre les père et mère

Jusqu’à la loi du 3 janvier 1972, la présomption de paternité, applicable sans restriction dès que l’enfant était conçu (ou né) pendant le mariage (et même plus curieusement après), était aussi dotée d’une très grande autorité : la faculté de la combattre était réservée au mari et les textes limitaient les preuves admissibles en n’autorisant le désaveu que dans des cas strictement déterminés. Sa force était telle qu’elle s’appliquait même quand les circonstances lui ôtaient toute vraisemblance. C’est ainsi que l’époux était admis, par la jurisprudence, à revendiquer comme siens les enfants nés de sa femme, fûssent-ils déclarés sous le nom de jeune fille de la mère et reconnus par un tiers. Instrument de la paix des familles et, par delà, de la paix sociale, la « présomption » de paternité n’avait que faire dans cette hypothèse de la réalité des liens du sang.

Conséquence de la primauté reconnue à la famille « légitime », comme on la désignait alors, la présomption apparaissait à la fois comme une faveur pour l’enfant et comme une prérogative de nature patriarcale découlant impérativement de l’union conjugale. Traditionnellement analysée comme une règle de fond, elle était destinée à renforcer la solidité de la famille et, au-delà, celle de la société.

A présent que l’on a réduit son domaine d’application et affaibli sa force65, la présomption de paternité ne constitue plus une fiction au service d’une certaine politique familiale. Pour la majorité de la doctrine, il s’agit d’une commodité de preuve assise sur la probabilité.

Lui assignant un fondement empirique, il est permis d’expliquer la règle par le fait que la plupart des enfants conçus ou nés pendant le mariage sont issus des œuvres du mari. Pour les rares fois où ce n’est pas le cas, le régime de la présomption de paternité permet de recadrer situation juridique et situation de fait, en écartant a priori l’application de la présomption66 et en autorisant sa contestation en justice67.

C’est pourquoi, si le droit supprimait la présomption de paternité, ce qui obligerait l’époux à effectuer des démarches, il compliquerait sans raison essentielle l’établissement du lien paternel en mariage. L’application de l’adage « Pater is est… » apporte de la simplicité là où il serait inutile de compliquer les choses.

On pourrait aussi voir dans cette présomption le meilleur moyen (et le plus simple) pour satisfaire l’impératif maintenant bien admis, tant en droit national que supranational, de donner à l’enfant une mère et un père. La présomption de paternité

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En ouvrant largement l’action en contestation (cf. c. civ., art. 333, al. 1 et surtout art. 334) et en autorisant que soit rapportée par tous moyens la preuve contraire, c’est-à-dire que « le mari […] n’est par

le père » (art. 332, al. 2).

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Cf. c. civ., art. 313 et 314.

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consisterait donc à profiter de la situation matrimoniale pour remplir cette obligation légale par une règle adaptée, « adaptée » en ce qu’il semblerait que son extension à d’autres que le conjoint de la mère soit difficilement envisageable.

Pourtant, une telle réforme serait en harmonie avec le souhait clairement exprimé par le législateur, surtout depuis 1972, de consacrer une égalité entre les enfants. Afin d’analyser au mieux la question de savoir pourquoi le droit n’instaure-t-il pas une présomption de paternité qui s’appliquerait à l’égard de l’homme qui aurait fréquenté la mère d’un enfant durant la période légale de la conception, il convient de distinguer les situations.

Dans l’hypothèse d’une femme qui a eu plusieurs amants de passage dans un laps de temps assez rapproché, il est délicat de présumer que tel de ces amants est le père et d’exclure les autres. En effet, sur quel élément se fondrait-on pour avancer la solution ?

Le concubinage et la conclusion d’un pacte civil de solidarité sont des cas de figure plus intéressants à étudier.

Le premier, défini à l’article 515-8 du Code civil, « est une union de fait,

caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple ».

Autrefois, la jurisprudence n’envisageait le concubinage qu’entre un homme et une femme, au motif que celui-ci avait « l’apparence du mariage »68. Le fait qu’une vie stable et continue entre gens de même sexe puisse désormais être qualifiée de

« concubinage » forme un premier obstacle, que l’on retrouve dans le pacte civil de

solidarité69, à la prise en compte de cette union pour établir la filiation paternelle.

On pourrait toutefois surmonter la difficulté en instituant une présomption de paternité qui ne s’appliquerait qu’en présence d’un couple hétérosexuel. Cette présomption serait fondée sur l’existence d’une réelle communauté de vie entre le présumé père et la mère de l’enfant, communauté de vie qui rend très probable la paternité du concubin et qui fait déjà partie de la définition même du concubinage – la stabilité et la continuité des rapports en sont la caractéristique essentielle –. Ce dernier constitue d’ailleurs, bien souvent, une étape vers le mariage. Et la vie quotidienne des concubins notoires est finalement très proche de celle des conjoints.

Mais se pose alors un autre problème : celui de la preuve de l’union des parents. Lorsque ceux-ci sont mariés, ils sont légalement liés, ce qui permet à l’Etat d’exercer un contrôle sur la réalité de ce lien, et ce même en l’absence d’enfant. Hors mariage, si les rapports entre l’enfant et ses parents sont encadrés, aucune instance ne se

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Cass., sociale, 11 juil. 1989, JCP G, 1990, II-21553, note MEUNIER ; Cass., civ. 3ème, 17 déc. 1997,

JCP G, 1998, II-10093, note DJIGO. La jurisprudence administrative était également en ce sens : CE, 4

mai 2001, Dr. fam., 2001, comm. 68, note H. LECUYER.

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Cf. c. civ., art. 515-1, définissant le PACS comme « un contrat conclu par deux personnes physiques

préoccupe de savoir si les concubins sont toujours ensemble ou s’ils sont séparés. Le Code civil n’instaure aucune modalité particulière pour prouver le concubinage ni aucune réglementation propre à y mettre un terme. Il en résulte qu’aucun contrôle n’existe quant à la réalité des liens avancés par ceux qui se prétendent concubins. La seule hypothèse d’un constat de séparation par une autorité (juridictionnelle) sera celle de la présence d’enfants communs posant le problème de l’exercice de l’autorité parentale lorsque les parents ne vivent plus ensemble70. C’est donc seulement par l’intermédiaire des enfants, et seulement pour résoudre des cas particuliers, qu’une autorité s’intéressera au mode de vie des concubins.

L’absence de preuve préconstituée, à l’image de l’acte de mariage, rend nécessairement plus difficile l’établissement de la paternité. C’est sur ce fondement que la Commission européenne des droits de l’Homme, dans l’affaire « De Mot »71, a refusé de qualifier de discriminatoire la différence de traitement existant entre l’homme marié à la mère d’un enfant et celui qui ne l’est pas, quant à l’établissement de leur paternité. Elle a considéré que « l’absence de liens de mariage entre la mère célibataire et le père [prétendu] nécessite une procédure formelle pour établir la paternité ». A ce titre, « la

démarche formelle de la reconnaissance volontaire […] ou, à défaut d’une telle reconnaissance, la constatation judiciaire de la paternité constituent des exigences normales et raisonnables ».

L’exception à l’égalité de tous les enfants, que constitue l’application d’une présomption de paternité au seul mari de la mère, ne met pas tellement en cause les rapports de l’enfant avec ses parents, mais les rapports de ces derniers l’un à l’égard de l’autre : c’est l’absence de lien officiellement reconnu entre les père et mère non mariés qui impose, en matière de filiation, une organisation différente de l’établissement du lien paternel.

Pour pouvoir établir une présomption de paternité en dehors de l’union conjugale, il faudrait pouvoir présumer l’identité du père non marié par un acte juridique officiel, ce qui signifie organiser légalement une preuve efficace et préalable du concubinage. Techniquement, une telle construction ne serait pas impossible. En effet, il existe déjà un contrat enregistrant la vie commune en dehors de l’institution matrimoniale : il s’agit du pacte civil de solidarité. Mais si celui-ci fait l’objet d’une déclaration inscrite sur un registre officiel72, il ne saurait être assimilé à l’union conjugale, puisqu’il a seulement pour objet l’organisation matérielle73 d’une « vie commune »74.

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Cf. c. civ., art. 373-2 et suiv., art. 373-2-6 et suiv.

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Comm. EDH, 13 mai 1986, « Lucie Marie De Mot et autres contre Belgique », requête n°10961/84,

Décisions et rapports, n°47, sept. 1986, p. 214.

72

Cf. c. civ., art. 515-3.

73

Cf. c. civ., art. 515-4 à 515-6. L’art. 515-4, al. 1er, modifié par la L. n°2006-728 du 23 juin 2006, énonce que « les partenaires […] s’engagent à une vie commune, ainsi qu’à une aide matérielle et une

assistance réciproques ». A aucun moment il est fait référence à des enfants.

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C. civ., art. 515-1. C’est d’ailleurs la raison majeure pour laquelle il peut y être mis fin selon une procédure peu contraignante et beaucoup moins encadrée que celle s’appliquant au divorce (cf.art. 515-7).

S’agissant du concubinage, on pourrait imaginer un acte officiel d’enregistrement dès lors que seraient remplies les conditions énoncées à l’article 515-8 du Code civil. Mais on créerait alors un doublon au mariage, dont la preuve serait juridiquement imposée et les effets sur la filiation seraient identiques, ce qui aurait pour conséquence de réduire l’éventail de choix des formes de vie à deux, et par là même la liberté individuelle, ainsi que de priver de sens cette pluralité qu’autorise et reconnaît actuellement le droit. Comme l’écrit à juste titre Irène THERY, « une exigence d’égalité

abstraite des filiations ne respecterait pas les significations respectives du mariage et du concubinage »75.

« Ce qui est possible n’est […] pas toujours souhaitable »76, observait Pierre

MURAT à l’occasion d’un colloque organisé en novembre 1999. Le législateur doit opérer des choix, lesquels « doivent s’inscrire dans une tradition, une histoire »77, si nous ne voulons pas que le droit se trouve réduit « à n’être qu’un instrument de gestion

des populations imposé sommairement d’en haut »78.

Le droit de la famille s’est construit autour de la singularité du mariage et sur son opposition au concubinage. Instaurer une égalité abstraite des paternités en et hors union matrimoniale aboutirait à une véritable révolution du droit de la famille, qui ne tiendrait plus compte du sens des institutions civiles.

Ainsi que l’exprime la commission présidée par Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ, qui était chargée d’un rapport sur la rénovation du droit de la famille aux fins d’une adaptation de celui-ci « aux réalités et aux aspirations de notre temps », « le

mariage [doit] continuer à pouvoir se démarquer d’autres formes de conjugalité […], sous peine d’affaiblir la signification du lien matrimonial »79, laquelle réside notamment dans la venue d’enfants.

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