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Les effets étendus des décisions de la Cour

§ I L’égalité dans la considération du lien entre une mère et son enfant

A) Une égalité exigée par le droit européen des droits de l’Homme

2 Les effets étendus des décisions de la Cour

S’agissant du pays condamné, ici la Belgique, il convient de se référer à l’article 46 du protocole n°11 portant restructuration du mécanisme de contrôle établi par la Convention européenne des droits de l’Homme, en vertu duquel les Hautes parties contractantes se sont engagées « à se conformer aux décisions de la Cour dans les

litiges auxquels elles sont parties ». Le dispositif est revêtu de l’autorité de chose jugée.

Quant aux motifs, bien souvent utiles à l’interprétation de la solution, on peut considérer qu’ils bénéficient indirectement d’une telle autorité34.

Pour respecter leurs engagements, les Etats disposent d’une marge d’appréciation, c’est-à-dire qu’ils sont « libres de choisir les mesures qu’[ils] estiment appropriées dans

les domaines régis par la Convention »35, la seule condition étant que ces mesures soient en « conformité avec les exigences de la Convention »36.

Maintes fois les juges supranationaux ont déclaré que l’arrêt qu’ils prononçaient

« laiss[ait] à l’Etat le choix des moyens à utiliser dans son ordre juridique interne pour s’acquitter de l’obligation qui découle pour lui de l’article »37 46, précisant que « ce

pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux Etats contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1) »38. Aussi l’exécution peut-elle résulter aussi bien des autorités exécutives que des autorités législatives ou judiciaires.

34

Cf. E. LAMBERT, « Les effets des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme : Contribution à une approche pluraliste du droit européen des droits de l’Homme », Bruylant, 1999, p. 73.

35

Extrait des affaires linguistiques belges, cité par G. RESS, « Effets des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme en droit interne et pour les tribunaux nationaux », rapp., 5ème coll. international sur la Convention européenne des droits de l’Homme, Francfort, 9-12 avril 1980, Ed. A. Pédone, 1982, p. 250.

36

Ibid., p. 250.

37

Cour EDH, 29 avr. 1988, « Belilos contre Suisse », série A, n° 132, § 78. F. SUDRE, « Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme », op. cit. note 19, p. 62-64.

Une évolution de la jurisprudence européenne doit néanmoins être dès à présent notée. Dans un arrêt plus récent (Cour EDH, 31 oct. 1995, « Papamichalopoulos et autres contre Grèce », série A, n° 330-B. J. ANDRIANTSIMBAZOVINA, A. GOUTTENOIRE, M. LEVINET, J-P MARGUENAUD, F. SUDRE, « Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme », PUF, 2007, p.p. 757-759), elle affirme ainsi que « les Etats contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les

moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt constatant une violation » (§ 34).

38

Cour EDH, 18 déc. 1986, « Johnston et autres contre Irlande », série A, n°112, § 34. F. SUDRE, « Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme », op. cit. note 19, p.p. 56-57.

L’autorité de chose jugée est qualifiée par Elisabeth LAMBERT d’autorité

« renforcée »39, dans la mesure où elle déborde le cas d’espèce en faisant obligation à l’Etat de s’assurer que la violation a cessé et ne se reproduira pas, que ce soit à l’égard du requérant ou de tout autre individu soumis à son autorité. Aussi l’Etat devra-t-il éventuellement adopter des mesures d’ordre général.

C’est ainsi que l’on doit comprendre la formule de la Cour européenne des droits de l’Homme, selon laquelle elle « n’a pas à se livrer à un examen abstrait des textes

législatifs incriminés : elle recherche si leur application aux requérantes cadre ou non avec la Convention. Sans doute sa décision produira-t-elle fatalement des effets débordant les limites du cas d’espèce, d’autant que les violations relevées ont leur source immédiate dans lesdits textes et non dans des mesures individuelles d’exécution »40.

Plutôt que de parler d’« autorité de chose jugée renforcée », certains auteurs, comme Olivier De SCHUTTER, ont une préférence pour l’expression « force

obligatoire de l’arrêt »41 : « La Cour n’ayant aucun pouvoir d’annulation de la loi

interne, il convient de définir comme relevant de la force obligatoire de son arrêt, plutôt que comme inclus dans l’autorité de chose jugée dont il est revêtu, les effets qui résultent de ses affirmations »42.

Cette force découlerait de l’esprit de la Convention, de l’intention de ses auteurs qui a été d’instaurer « un ordre public européen des droits de l’Homme », « but qui n’est

pas véritablement atteint si la mise en cause de la responsabilité internationale n’aboutit qu’à l’allocation d’une indemnité à la victime »43.

Elle trouverait également sa source dans le principe de l’exécution de bonne foi. Il existerait aussi une « autorité de chose interprétée »44 qui, à la différence de l’autorité de chose jugée qui ne s’impose qu’à l’Etat partie au litige, concernerait également les autres Etats membres. Toutefois, il ne s’agirait que d’une autorité jurisprudentielle atténuée, nullement contraignante, dont l’ignorance par une autorité étatique ne constituerait pas à proprement parler une violation du droit conventionnel. Les décisions de la Cour de Strasbourg constitueraient une référence potentielle, inspiratrice ou incitative pour le droit interne en raison de leur caractère supranational et de leur dignité.

39

E. LAMBERT, « Les effets des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme… », op. cit. note 34, p. 81.

40

Cour EDH, 13 juin 1979, « Marckx contre Belgique », série A, n°31, § 58.

41

Cette expression emporte également l’adhésion de Jean-Pierre MARGUENAUD, « CEDH et droit privé : L’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme sur le droit privé français », La Documentation française, 2001, p.p. 15-16.

42

O. de SCHUTTER, « La coopération entre la Cour européenne des droits de l’Homme et le juge national », Revue belge de droit international, 1997, I, p.p. 49-50.

43

G. COHEN-JONATHAN, cité par E. LAMBERT, op. cit. note 34, p. 112.

44

Il est vrai que l’on observe ce phénomène tant en France45 qu’à l’étranger46, bien qu’il ne faille pas non plus voir dans la convention et son interprétation jurisprudentielle la source unique des réformes et solutions juridictionnelles.

Ainsi « le droit européen des droits de l’Homme puise à deux sources : la source

conventionnelle et la source jurisprudentielle »47. Et l’on assiste à une

« banalisation »48 de l’usage de la convention, désormais inscrite dans le paysage juridique.

L’autorité de chose interprétée possède un poids politique non négligeable. Bien que non contraignante juridiquement, elle s’impose aux organes internes pour des raisons politiques qui tiennent à la volonté du respect de l’opinion publique nationale et supranationale, comme à la nécessité de tenir un rang international.

En effet, « un Etat qui se singularise par sa mauvaise application de la Convention

en ne respectant pas l’autorité de chose interprétée des arrêts de la Cour et en engageant sa responsabilité internationale perd évidemment de son crédit international. Il n’est plus alors en position de force pour imposer ses choix politiques, militaires, sociaux, économiques : peu d’Etats sont indifférents à la détérioration de leur image internationale »49.

Sur le plan national, les gouvernants risquent tout autant d’être contestés ou déstabilisés. Ils peuvent perdre une partie de la confiance que le peuple avait investie en eux et l’exercice de la souveraineté peut s’en trouver momentanément affecté. « La

matière des droits de l’Homme est un domaine primordial de la mise en œuvre des règles démocratiques »50.

Le risque permanent de sanction politique conforte l’autorité de chose interprétée des arrêts de la Cour de Strasbourg, l’Etat devant appliquer au mieux le droit conventionnel écrit ou jurisprudentiel.

Dans ces conditions, il était légitime, au lendemain de l’arrêt « Marckx », de s’interroger sur la conformité de notre droit interne avec le droit européen.

45

La jurisprudence européenne sur la détention provisoire a influencé la loi française n°70-643 du 17 juil. 1970. La révision du CPP français a été en partie impulsée par les décisions strasbourgeoises, comme en atteste la circulaire relative à la présentation de l’ensemble des dispositions de la L. n°93-2 du 4 janv. 1993 : « les droits des personnes poursuivies et ceux des victimes […] ne sont pas suffisamment garantis

et ne satisfont pas pleinement à nos engagements internationaux ».

46

Les Pays-Bas, suite à l’arrêt « Marckx », ont réformé leur Code civil par une loi du 27 oct. 1982.

47

F. SUDRE, « L’influence de la Convention européenne des droits de l’Homme sur l’ordre juridique interne », RUDH, 1991, p. 271 ; « Droit européen et international des droits de l’Homme », PUF, 2003, p. 347.

48

Ibid., p. 271 et p. 347.

49

J-P MARGUENAUD, « CEDH et droit privé… », op. cit. note 41, p. 38.

50

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