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Un géniteur réduit à la qualité de débiteur

Dans le document Les distinctions dans le droit de la filiation (Page 152-156)

L’ETABLISSEMENT INTERDIT DU DOUBLE LIEN DE FILIATION

B) Un géniteur réduit à la qualité de débiteur

Les articles 342 et suivants du Code civil régissent l’action à fins de subsides qui permet à « l’enfant117 dont la filiation paternelle n’est pas légalement établie », ou sa

mère s’il est mineur118, de « réclamer des subsides à celui qui a eu des relations avec sa

mère pendant la période légale de la conception »119.

L’« action est recevable même […] s’il existait entre [le père et la mère] un des

empêchements à mariage réglés par les articles 161 à 164 du présent code »120, ce qui rejoint, de manière plus large121, les hypothèses pour lesquelles l’établissement du double lien de filiation est interdit.

Or l’enfant de l’article 310-2 du Code civil, dont la maternité a été établie en premier, est obligatoirement un enfant « dont la filiation paternelle n’est pas légalement

114

Cass., civ. 1ère, 6 janv. 2004, Dr. fam., 2004, comm. 16, note D. FENOUILLET ; RJPF, 2004, 3/34, analyse Th. GARE ; RTDciv., 2004, p.p. 76-77, J. HAUSER.

115

C. civ., art. 310-2.

116

Ou sa mère s’il est mineur : cf. c. civ., art. 328, al. 1 : « Le parent, même mineur, à l’égard duquel la

filiation est établie a, pendant la minorité de l’enfant, seul qualité pour exercer l’action en recherche de

[…] paternité ».

117

C. civ., art. 327, al. 2 : « L’action en recherche de paternité est réservée à l’enfant », par renvoi de l’art. 342-6 : « Les articles 327, alinéa 2, […] ci-dessus sont applicables à l’action à fins de subsides ».

118

C. civ., art. 328, al. 1er, par renvoi de l’art. 342-6 : « Les articles […] 328 ci-dessus sont applicables à

l’action à fins de subsides ».

119

C. civ., art. 342, al. 1. Le droit belge prévoit une action similaire, appelée « action en réclamation

d’une pension pour l’entretien, l’éducation et la formation adéquate », aux art. 336 et suiv. c. civ.

120

C. civ., art. 342, dernier al.

121

Puisque l’art. 342 al. 3 c. civ. englobe, en plus des prohibitions de l’art. 161 pour cause de parenté et de l’art. 162 – auxquelles renvoie l’art. 310-2 c. civ. –, celles du premier de ces textes pour cause d’alliance et celles de l’art. 163.

étabie ». Il peut donc bénéficier de l’application des dispositions relatives à l’action à

fins de subsides, laquelle ne vise que l’homme.

En revanche, si c’est la paternité – hypothèse peu probable – qui se trouve d’abord établie, il n’est pas possible d’engager une action à fins de subsides à l’encontre de la mère. Une telle action n’est en effet consacrée nulle part, tout simplement parce qu’elle ne coïnciderait pas avec la logique de l’action à fins de subsides, telle que l’a conçue le législateur, lorsqu’il l’a créée en 1972.

Il a toujours été admis que l’action à fins de subsides n’est pas fondée sur la preuve d’un lien génétique, mais sur une simple possibilité de paternité, « et sur cette

considération que l’homme est tenu de participer à l’entretien des enfants dont il peut être le père »122.

Son introduction dans le Code civil se justifiait particulièrement à une époque123 où la science, malgré les progrès accomplis dans le domaine des expertises, ne permettait pas encore d’établir des certitudes relativement à la paternité d’un individu, et où, de par ce fait (mais aussi par tradition124), les conditions qui entouraient l’établissement en justice de la filiation paternelle étaient très restrictives : il fallait rapporter la preuve que l’on se trouvait bien dans l’un des cas d’ouverture limitativement énumérés par la loi125, ne pas se heurter à l’une des fins de non-recevoir expressément mentionnées126 et agir rapidement127.

122

J. MASSIP, « Le nouveau droit de la filiation (suite) », Defrénois, 2006, doctrine, art. 38312, p. 122.

123

Rappelons qu’elle a été créée par la loi du 3 janv. 1972.

124

La France s’est toujours démarquée de certains pays, tels l’Allemagne, par sa réticence face aux preuves biologiques, dont l’accueil n’a été que très progressif, particulièrement en droit de la filiation. En ce sens, v. M-Th. MEULDERS-KLEIN, « La personne, la famille et le droit… », op. cit. note 21, spéc. p.p. 181 et suiv. : « L’indifférence au moins apparente des tribunaux français pour le degré de

fiabilité et les critères de certitude exigés de la part des méthodes d’expertise pour leur admissibilité comme moyen de preuve et de la part des résultats d’expertise pour la décision de paternité ou de non paternité, contraste étrangement avec le caractère obsédant que ces questions de précision scientifiques ont pris dans la jurisprudence et la doctrine allemandes ».

125

C. civ., art. 340 (L. n°72-3 du 3 janv. 1972) : « La paternité hors mariage peut être judiciairement

déclarée :

1° Dans le cas d’enlèvement ou de viol, lorsque l’époque des faits se rapportera à celle de la conception ; 2° Dans le cas de séduction, accomplie à l’aide de manœuvres dolosives, abus d’autorité, promesse de mariage ou fiançailles ;

3° Dans le cas où il existe des lettres ou quelque autre écrit émanant du père prétendu, propres à établir la paternité d’une manière non équivoque ;

4° Dans le cas où le père prétendu et la mère ont vécu pendant la période légale de la conception en état de concubinage, impliquant, à défaut de communauté de vie, des relations stables et continues ;

5° Dans le cas où le père prétendu a pourvu ou participé à l’entretien, à l’éducation ou à l’établissement de l’enfant en qualité de père ».

126

C. civ., art. 340-1 (L. n°72-3 du 3 janv. 1972) : « L’action en recherche de paternité ne sera pas

Bien que la loi du 8 janvier 1993, en supprimant les cas d’ouverture et les fins de non-recevoir128, ouvrît plus largement l’action en recherche, celle-ci demeurait soumise à de très brefs délais129 et n’était recevable que s’il existait des « présomptions ou

indices graves »130 ; encore que cette dernière condition tomba jurisprudentiellement en désuétude face aux progrès réalisées dans le domaine des expertises génétiques131.

A présent que l’ordonnance du 4 juillet 2005 permet d’exercer librement l’action en recherche de paternité pendant un laps temps non négligeable132 et que les empreintes génétiques sont en mesure d’indiquer, avec une très forte certitude, qui est le géniteur d’un enfant, il est permis de s’interroger sur l’opportunité de conserver une action fondée sur une simple possibilité de paternité et soumise à un délai moindre133.

Il est en effet beaucoup plus simple de former directement l’action édictée aux articles 327 et suivants du Code civil, à moins que la mère de l’enfant préfère avoir l’argent sans le père, ce qui peut, dans certaines situations, se justifier.

1° S’il est établi que, pendant la période légale de la conception, la mère était d’une inconduite notoire ou qu’elle a eu commerce avec un autre individu, à moins qu’il ne résulte d’un examen des sangs ou de toute autre méthode médicale certaine que cet individu ne peut être le père ;

2° Si le père prétendu était, pendant la même période, soit par suite d’éloignement, soit par l’effet de quelque accident, dans l’impossibilité physique d’être le père ;

3° Si le père prétendu établit par un examen des sangs ou par toute autre méthode médicale certaine qu’il ne peut être le père de l’enfant ».

127

C. civ., art. 340-4 (L. n°72-3 du 3 janv. 1972) : « L’action doit, à peine de déchéance, être exercée

dans les deux années qui suivent la naissance. Toutefois, dans les quatrième et cinquième cas de l’article 340, elle peut être exercée jusqu’à l’expiration des deux années qui suivent la cessation, soit du concubinage, soit des actes de participation à l’entretien et à l’éducation de l’enfant. Si elle n’a pas été exercée pendant la minorité de l’enfant, celui-ci peut encore l’exercer pendant les deux années qui suivent sa majorité ».

128

C. civ., art. 340 (L. n°93-22 du 8 janv. 1993) : « La paternité hors mariage peut être judiciairement

déclarée. La preuve ne peut en être rapportée que s’il existe des présomptions ou indices graves ».

129

Les al. 1 et 3 de l’art. 340-4 n’ont pas été modifiés par la loi du 8 janv. 1993. Seul le 2nd al. a été rédigé autrement, la suppression des cas d’ouverture à l’action en recherche ayant nécessité de préciser les hypothèses que visaient auparavant les 4° et 5° de l’art. 340 : « Toutefois, si le père prétendu et la mère

ont vécu pendant la période légale de la conception en état de concubinage impliquant, à défaut de communauté de vie, des relations stables ou continues, l’action peut être exercée jusqu’à l’expiration des deux années qui suivent la cessation du concubinage. Si le père prétendu a participé à l’entretien, à l’éducation ou à l’établissement de l’enfant en qualité de père, l’action peut être exercée jusqu’à l’expiration des deux années qui suivent la cessation de cette contribution ».

130

C. civ., art. 340, al. 2 (L. n°93-22 du 8 janv. 1993).

131

V. infra, 2ème partie, titre I, chap. I, section II, § I, A), 1.

132

L’action en recherche de paternité peut être exercée pendant toute la minorité de l’enfant et dans les dix années qui suivent la majorité de celui-ci.

133

Cf. c. civ., art. 342, al. 2 : « L’action [à fins de subsides] peut être exercée pendant toute la minorité de

l’enfant ; celui-ci peut encore l’exercer dans les deux années qui suivent sa majorité si elle ne l’a pas été pendant sa minorité ». Le projet de loi de ratification de l’ord. du 4 juil. 2005 (www.legifrance.gouv.fr.) propose de remplacer le délai biennal par un délai décennal. En Belgique, l’action doit être intentée dans les trois ans suivant la naissance de l’enfant ou la cessation des secours fournis par le défendeur.

Il se peut, en effet, que celui qui a conçu l’enfant s’en désintéresse totalement et ne souhaite pas y être légalement rattaché. Il est alors légitime pour la mère de ne pas désirer s’embarrasser d’un père avec qui elle devrait, sinon, partager l’autorité parentale134. Il est également envisageable que la mère préfère laisser à l’enfant le choix135 d’établir ou non son lien paternel, ce qu’il pourra faire une fois devenu majeur. On peut ensuite évoquer le viol136, au cours duquel il y aurait eu conception. Enfin, le principe des subsides conserve un sens dès lors qu’il demeure des situations dans lesquelles la filiation paternelle ne peut pas être établie137, ce qui fait ici référence à l’article 310-2 du Code civil, lorsque le lien maternel a déjà été établi.

Il s’agit, dans tous ces cas, d’assurer un soutien financier à la mère et à son enfant pour pourvoir à l’entretien de ce dernier.

Dans le souci d’améliorer la situation de l’enfant incestueux, Daniel GUTMANN propose de bilatéraliser l’action à fins de subsides138 afin que, si c’est la paternité qui est établie en premier lieu, l’enfant puisse être élevé dans de meilleures conditions grâce à une aide d’ordre pécuniaire de la part de celle qui l’a mis au monde.

Le problème est qu’il faudrait revoir le concept de l’action, puisque la maternité ne saurait être seulement possible.

Actuellement, il n’existe que l’action de l’article 342 du Code civil qui, conformément à sa logique, ne peut être engagée qu’à l’égard d’un homme. En conséquence, la mère d’un enfant incestueux ne pourra jamais être simple débitrice à l’égard de ce dernier : soit elle sera juridiquement reconnue comme étant la mère de l’enfant – cas le plus fréquent – soit elle n’aura aucun lien légal avec lui139 – hypothèse rarissime –, même pas celui existant entre un débiteur et son créancier.

Et l’enfant ne subira pas le même traitement selon que ce sera sa filiation maternelle ou sa filiation paternelle qui aura été établie.

Plus directement, « le voile du secret jeté sur l’inceste n’aboutit […] pas à intégrer

l’enfant, mais bien à le marginaliser, à en faire un « paria »140.

134

J. MASSIP, « Le nouveau droit de la filiation (suite) », op. cit. note 122, p. 122.

135

A. GOUTTENOIRE, intervention orale au coll. La réforme de la filiation, Centre de droit de la famille, Univ. Jean Moulin Lyon III, 8 juin 2006 (inédit).

136

F. DEKEUWER-DEFOSSEZ, « Rénover le droit de la famille : propositions pour un droit adapté aux réalités et aux aspirations de notre temps », rapp. au Garde des Sceaux, La Documentation française, 1999, p. 45 ; J. MASSIP, « Le nouveau droit de la filiation (suite) », op. cit. note 122, p. 122.

137

A. GOUTTENOIRE, intervention orale au coll. préc.

138

D. GUTMANN, « Le sentiment d’identité… », op. cit. note 14, p. 59.

139

Ce qui n’empêche nullement l’existence de rapports affectifs.

140

§ II L’institution directe d’une distinction entre les enfants

Il découle des dispositions nationales une distinction entre enfants dont il convient de préciser le contenu (A) avant de s’interroger sur le risque pour l’Etat français de voir sa responsabilité engagée au regard de ses engagements conventionnels (B) ?

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