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Les garanties de l’expression de la volonté

§ I Une manifestation de volonté encadrée par la probabilité du lien reconnu

A) Les garanties de l’expression de la volonté

On a très tôt admis qu’un homme pouvait reconnaître un enfant qu’il aurait conçu sans être marié avec la mère de cet enfant, sous réserve de l’application de règles particulières. Notamment, avant 1972, il était interdit pour un homme marié de reconnaître un enfant qu’il aurait conçu durant l’union avec une autre femme que son épouse.

Aujourd’hui encore, il est interdit de reconnaître un enfant issu d’un inceste absolu lorsque le lien maternel a déjà été établi97, car alors la situation d’inceste apparaîtrait officiellement. Signe que pour pouvoir établir un lien de filiation, il y faut une acceptation sociale que la vérité biologique est incapable à surmonter. « Tout se passe

comme si, à la différence du verbe reconnaître, le substantif « reconnaissance » ne se ramenait pas ou ne se ramenait plus à de simples opérations cognitives ressortant du pur domaine des faits mais intégrait toujours un élément moral ou un jugement de valeur »98.

Bien avant que la possibilité en soit consacrée par l’ordonnance du 4 juillet 2005, à l’article 316 alinéa 1er du Code civil, on a permis que la reconnaissance intervienne avant la venue au monde de l’enfant, la seule condition étant que celui-ci soit conçu au moment de la reconnaissance99, ce qu’exige la construction elle-même du terme : «

re-connaissance ». « La rere-connaissance se tourne vers un élément du passé »100, la conception d’un enfant, « dont il s’agit d’admettre l’existence et d’assumer les

suites »101. Dans la même logique, l’article 1594 alinéa 4 du BGB allemand admet de telles reconnaissances, sous réserve que l’enfant existe.

Les magistrats comme la doctrine ont réservé un accueil favorable aux reconnaissances prénatales qui se sont spontanément et rapidement développées, en raison de la sûreté de statut qu’elles procurent à l’enfant. Trois facteurs ont contribué à leur apparition expresse dans les textes.

En premier lieu, l’augmentation de leur fréquence. En second lieu, leur utilité. En effet, « une reconnaissance prénatale établit la filiation de l’enfant, alors que l’auteur

de celui-ci ne sera peut-être plus en mesure de le faire à la date de la naissance. Plusieurs affaires récentes ont montré que l’hypothèse du décès d’un parent en cours de grossesse n’était pas une hypothèse d’école et que l’établissement ultérieur du lien de

97

C. civ., art. 310-2 : « S’il existe entre les père et mère de l’enfant un des empêchements à mariage

prévus par les articles 161 et 162 pour cause de parenté, la filiation étant déjà établie à l’égard de l’un, il est interdit d’établir la filiation à l’égard de l’autre par quelque moyen que ce soit ».

En droit belge, l’établissement du lien de filiation par voie de reconnaissance est également prohibé lorsqu’il a pour effet de faire apparaître entre la mère et le père de l’enfant un empêchement à mariage dont le Roi ne peut dispenser.

98

J-P LABORDE, « La reconnaissance », Mélanges Ch. LAPOYADE-DESCHAMPS, PUB, 2003, p. 422.

99

Cass., ch. des requêtes, 11 juil. 1993, GP, 1993, 2, p. 522.

100

J-P LABORDE, « La reconnaissance », op. cit. note 98, p. 425.

101

filiation pouvait être problématique face aux résistances de l’autre branche de la famille de l’enfant, ou même face aux résistances des services de l’Aide sociale à l’enfance »102. Enfin, ces reconnaissances présentent une force symbolique en ce qu’elles manifestent, de la part du père, un intérêt précoce pour l’enfant.

Toutefois une telle reconnaissance ne produira effet que si l’enfant naît vivant et viable et est identifié, c’est-à-dire que l’on peut rapprocher l’enfant visé dans l’acte de reconnaissance de l’enfant dont il est établi l’acte de naissance, ce qui est loin d’être évident lorsque la mère a accouché « sous X »103.

Les reconnaissances posthumes, quant à elles, sont considérées comme valables par la jurisprudence104, même en l’absence d’une descendance. Cette solution n’est pas sans soulever des critiques, la doctrine suspectant l’auteur de la reconnaissance de rechercher le plus souvent un bénéfice matériel, tel le recueil de la succession de l’enfant105. Mais les mobiles n’entrant pas en ligne de compte pour être admis à reconnaître un enfant, il n’existe aucune disposition légale condamnant la position des juges.

La reconnaissance peut être « faite dans l’acte de naissance »106. En déclarant la naissance de l’enfant, celui qui se considère comme le père peut, dans le même temps, le reconnaître en précisant que cet enfant est issu de lui.

L’établissement de la paternité résulte alors, non pas de l’acte de naissance qui a été dressé, cet acte venant seulement constater la naissance, mais de la reconnaissance qui s’y trouve incluse. La règle s’explique par le fait que pratiquement n’importe qui peut venir déclarer la naissance d’un enfant à l’état civil107. On pourrait imaginer la mère d’un enfant qui accomplirait cette démarche tout en désignant un tel comme étant le père : si le lien paternel était établi sur cette seule indication, on créerait alors une sorte de présomption de paternité dont l’application dépendrait entièrement de la mère et serait donc totalement injustifiée (contrairement à la présomption existant en mariage).

L’article 316 alinéa 3 du Code civil admet aussi la reconnaissance par acte séparé, mais à la condition que ce dernier présente un caractère « authentique », condition que l’on retrouve en droits belge et allemand108. Font notamment partie de cette catégorie : un acte de décès109, un acte notarié110, un aveu de paternité judiciairement constaté111. En sont en revanche exclus un testament olographe, même s’il y a eu dépôt de celui-ci

102

F. DEKEUWER-DEFOSSEZ, « Rénover le droit de la famille... », rapp., op. cit. note 79, p. 46.

103

V. infra, 2ème partie, titre I, chap. II, section II.

104

Ex. : CA Douai, 24 mai 1858, D. Sirey, 1858, 2, p. 535.

105

J. HAUSER et D. HUET-WEILLER, « Traité de droit civil : La famille : Fondation et vie de la famille » (dir. Jacques GHESTIN), LGDJ, 1993, n°734.

106

C. civ., art. 316, al. 3. C’est une possibilité que l’on retrouve en droit belge.

107

Cf. c. civ., art. 56, al. 1.

108

BGB, art. 1597, al. 1er.

109

Cass., civ. 1ère, 1er juil. 1981, D., 1982, jurisp., p. 105, note D. HUET-WEILLER.

110

Tel un testament authentique.

111

chez un notaire112, un acte sous-seing privé même s’il a été reproduit dans un jugement113, une simple lettre qui aurait été transmise à un avocat.

L’article 62114 indique que l’acte de reconnaissance doit mentionner « les prénoms,

nom, date de naissance ou, à défaut, âge, lieu de naissance et domicile de l’auteur de la reconnaissance », ainsi que « les date et lieu de naissance, le sexe et les prénoms de l’enfant ou, à défaut, tous renseignements utiles sur la naissance » (sous réserve que la

mère n’ait pas accouché dans l’anonymat). L’acte doit enfin être inscrit sur les registres de l’état civil115. La législation belge prévoit aussi une mention en marge de l’acte de naissance de l’enfant, objet de la reconnaissance.

Le formalisme donne une solennité à la reconnaissance, afin que son auteur ait conscience de la gravité de sa démarche. En effet, « comment […] ne pas craindre

qu’un excès de souplesse dans la forme de la reconnaissance compromette la liberté psychologique et l’engagement véritable de celui qui est supposé reconnaître ? »116.

Dans le même ordre d’idées, les textes exigent la remise de l’acte à une autorité officielle légalement déterminée. De manière générale, c’est l’officier d’état civil qui reçoit la reconnaissance117, règle que l’on retrouve à l’article 62 du Code civil belge. Le législateur allemand prévoit que sont également compétents un officier du Jugendant118, un juge ou un notaire. L’article 59 du Code civil français, par renvoi de l’article 62 alinéa 4 du même code, prévoit le cas particulier d’un voyage maritime : celui qui désire reconnaître un enfant devra s’adresser aux « officiers instrumentaires désignés » dans cet article119 « et dans les formes qui y sont indiquées ».

Enfin, dans le but de s’assurer que l’auteur de la reconnaissance a bien compris ce qu’il faisait, il est prévu une information, en particulier sur ce en quoi consiste l’autorité parentale par une lecture des articles 371-1120 et 371-2121 du Code civil122.

112

Cass., civ. 1ère, 2 fév. 1977, Bull. Civ., I, n°63.

113

Cass., civ. 1ère, 23 mars 1994, Bull. Civ., I, n°106.

114

C. civ., art. 62, al. 1 et 2.

115

Cf. c. civ., art. 62, al. 3.

116

J-P LABORDE, « La reconnaissance », op. cit. note 98, p. 432.

117

C. civ., art. 316, al. 3.

118

Office de protection de la jeunesse.

119

C. civ., art. 59, al. 3 : « Cet acte sera rédigé, savoir : sur les bâtiments de l’Etat, par l’officier du

commissariat de la marine ou, à son défaut, par le commandant ou celui qui en remplit les fonctions ; et sur les autres bâtiments, par le capitaine, maître ou patron, ou par celui qui en remplit les fonctions ».

120

C. civ., art. 371-1 : « L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité

l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux père et mère jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité ».

121

C. civ., art. 371-2 : « Chacun des parents contribue à l’entretien et à l’éducation des enfants à

proportion de ses ressources, de celles de l’autre parent, ainsi que des besoins de l’enfant. Cette obligation ne cesse pas de plein droit lorsque l’enfant est majeur ».

Pour autant cette solennité ne semble pas suffisante au regard de certains auteurs, pour qui il y aurait « un écart extrêmement grand, aujourd’hui, entre les attentes à

l’égard de ce que devrait être l’acte de reconnaissance d’un enfant, tel qu’il est pensé souvent par les individus qui le font, comme un acte symbolique, entraînant des droits et des devoirs, inscrivant l’enfant dans la chaîne des générations, et la réalité très « administrative » de cet acte »123. Il est notamment proposé de ritualiser l’acte de la reconnaissance124 ou, à tout le moins, d’imposer que les reconnaissances soient reçues par les officiers de l’état civil eux–mêmes et qu’aucune délégation de pouvoir ne soit possible.

« Pour symboliquement forte qu’elle soit, la proposition paraît cependant se heurter aux réalités de l’état civil. La recherche de sens symbolique ne doit surtout pas provoquer un effet opposé à celui qui est recherché : il ne faudrait pas que l'établissement d’une reconnaissance soit soumis à des contraintes telles (possibilités horaires limitées par exemple) que certains individus se trouvent en définitive dissuadés de reconnaître »125. Est ici évoquée la « tension entre deux vues différentes »126 dont parle Jean-Pierre LABORDE : « l’importance de la reconnaissance […] d’un lien

juridique nouveau dans le cas de la reconnaissance de paternité ou de maternité peut incliner à exiger la solennité mais à l’inverse l’utilité pratique d’une telle reconnaissance pousse au contraire à en faciliter la réalisation »127.

Afin de s’assurer que ce qui est déclaré est bien la volonté de celui à l’égard de qui le lien paternel sera établi, la reconnaissance n’est admise que si elle émane de cet homme128 : c’est un acte strictement personnel qui ne souffre pas la représentation, et elle ne produit effet qu’à son égard. C’est ce qui résulte de la lecture de l’article 316 alinéa 2 du Code civil129.

Communément avec la Suisse et le Luxembourg130, les textes français n’imposent pas l’autorisation de la mère ou de l’enfant, ni même une quelconque intervention de

122

C. civ., art. 62, dernier al. : « Lors de l’établissement de l’acte de reconnaissance, il sera fait lecture à

son auteur des articles 371-1 et 371-2 ».

123

I. THERY, « Spécificité du lien familial et processus démocratique, les raisons d’un impensé », La

famille, le lien et la norme, op. cit. note 31, p. 107.

124

Ibid., p. 107.

125

F. DEKEUWER-DEFOSSEZ, « Rénover le droit de la famille... », rapp., op. cit. note 79, p. 36.

126

J-P LABORDE, « La reconnaissance », op. cit. note 98, p. 431.

127

Ibid., p. 431.

128

Les lois belges et françaises ont sur ce point la même position, ce qui les distingue de la législation allemande. Cette dernière soumet l’efficacité de la reconnaissance à la pleine capacité d’exercice. Il en résulte que l’homme qui a une capacité restreinte doit être assisté de son représentant légal pour reconnaître valablement un enfant. Dans le cas où il est dépourvu de toute capacité d’exercice, c’est son représentant qui effectue la reconnaissance avec l’autorisation du tribunal des tutelles.

129

C. civ., art. 316, al. 2 : « La reconnaissance n’établit la filiation qu’à l’égard de son auteur ».

130

Le droit luxembourgeois réserve toutefois le cas où l’enfant a été conçu à l’occasion de violences commises sur la mère : le consentement de cette dernière est alors indispensable pour que l’auteur de puisse le reconnaître (c. civ. luxembourgeois, art. 335, al. 2).

leur part. La reconnaissance relève de la seule volonté de l’auteur de l’acte. Ce n’est pas la politique majoritairement adoptée en Europe. Aux Pays-Bas et en Italie, il est exigé le consentement de la mère lorsque l’enfant a moins de 16 ans, le consentement de ce dernier au-delà. En Espagne, celui qui désire reconnaître un enfant doit avoir obtenu l’autorisation de la mère ou d’une autorité judiciaire. En Grèce, c’est le consentement de la mère qui est requis, tandis que, au Portugal, c’est celui de l’enfant majeur ou émancipé. En Allemagne enfin, c’est la mère qui consent en son nom propre (éventuellement avec l’accord de son ou ses représentant(s) légal(aux) en cas de capacité restreinte ou de minorité), sauf si elle a été déchue de l’autorité parentale ou si l’enfant est majeur, en quels cas c’est lui qui doit consentir131. Il est généralement prévu une possibilité de recours face au refus opposé par la mère ou l’enfant. La France a failli consacrer une règle similaire lors de la rédaction du Code Napoléon.

La section de législation avait en effet proposé l’énoncé suivant : « Toute

reconnaissance du père seul, non avouée à la mère, sera de nul effet, tant à l’égard du père que de la mère ». Autrement dit, la reconnaissance effectuée par celui qui se

prétend le père de l’enfant était inefficace, tant à l’égard de la mère que de lui-même, dès lors qu’il y manquait l’aveu auprès de la mère. Par suite de la discussion qui eut lieu au Conseil d’Etat, au cours de la séance du 26 brumaire An X, la formulation de la règle fut remplacée par celle-ci : « La reconnaissance du père, si elle est désavouée par la

mère, sera de nul effet ». Mais par faveur pour la reconnaissance, un nouveau débat, lors

de la séance du 29 fructidor An X, eut pour conséquence de substituer à ce texte celui qui suit : « La reconnaissance d’un enfant naturel n’aura d’effet qu’à l’égard de celui

qui l’aura reconnu ».

Finalement, et sans que l’on trouve dans les travaux préparatoires le motif d’une telle modification, le contenu de la disposition fut remplacé par celui qui figurait, avant la réforme de juillet 2005, à l’article 336 du Code civil, à savoir : « La reconnaissance

du père, sans l’indication et l’aveu de la mère, n’a d’effet qu’à l’égard du père ».

Au-delà de l’incident de rédaction – qui donnera lieu à une interprétation jurisprudentielle pour le moins audacieux132 – l’objectif des rédacteurs était de préciser que, même non confirmée par l’aveu de la mère, la reconnaissance effectuée par un homme établit le lien de filiation entre lui et l’enfant.

Enfin, dans le but de s’assurer que l’auteur de la reconnaissance a bien compris ce qu’il faisait, il est prévu une information, en particulier sur ce en quoi consiste l’autorité parentale par une lecture des articles 371-1133 et 371-2134 du Code civil135.

131

BGB, art. 1595, al. 1 et 2.

132

Cf. cass., civ., 25 juin 1877, « Lambert contre Ferlet », H. CAPITANT, Y. LEQUETTE et F. TERRE, « Les grands arrêts de la jurisprudence civile : Tome 1 », op. cit. note 13, p. p. 239-245. Les juges ont déduit, d’une interprétation a contrario de l’art. 336, que la reconnaissance paternelle avec indication du nom et aveu de la mère établissait la maternité de celle-ci. V. infra, chap. suiv.

133

C. civ., art. 371-1 : « L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité

l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux père et mère jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son

Le caractère à la fois volontaire et personnel des reconnaissances est source d’insécurité, du fait des reconnaissances de complaisance qu’il autorise, en l’absence de contrôle a priori. Cependant, il ne faudrait pas en conclure que n’importe qui peut reconnaître un enfant. Le lien établi doit paraître vraisemblable, d’autant qu’un contrôle

a posteriori peut parfois être exercé.

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