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L’époux exclu du domaine de la reconnaissance

§ I Une manifestation de volonté encadrée par la probabilité du lien reconnu

A) L’époux exclu du domaine de la reconnaissance

Avant que ne soit adoptée l’ordonnance du 4 juillet 2005, il a été jugé que la reconnaissance ne constituait pas un mode d’établissement du lien paternel en mariage.

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Les magistrats précisaient que pour obtenir le rétablissement des effets de la présomption de paternité, laquelle avait été écartée en vertu de l’article 313-1 du Code civil, tel qu’il résultait de la loi de 1972152, l’époux ne disposait que de l’action instituée à l’article 313-2 alinéa 2 ancien du même code153.

Cette solution se justifiait d’autant plus que, à l’époque et hormis le premier chapitre relatif aux « dispositions communes », la filiation s’inscrivant dans l’union conjugale et celle existant en dehors étaient régies dans deux chapitres distincts, et que le contenu des textes les concernant était différent.

La question est de savoir si, aujourd’hui encore, la solution conserve toute sa valeur, bien que les dispositions relatives à « l’établissement de la filiation » aient été réunies dans un même chapitre et que le Code civil ne différencie plus, dans ses intitulés, selon que la filiation est en ou hors mariage154.

Un premier argument milite en faveur d’une réponse positive : l’action en rétablissement des effets de la présomption de paternité a été maintenue, comme en attestent l’article 315 du Code civil155, qui prévoit la possibilité d’un tel recours lorsque la présomption a été écartée aux termes de l’article 313 ou de l’article 314 du Code civil, ainsi que l’article 329 du Code civil156 qui en énonce les conditions. Or, une procédure judiciaire étant beaucoup plus lourde qu’une simple reconnaissance par acte authentique, il ne fait aucun doute que l’action en rétablissement serait délaissée au profit de la reconnaissance.

D’où la question de savoir pourquoi les rédacteurs de l’ordonnance de 2005 auraient conservé la possibilité pour le mari d’agir en rétablissement de la présomption de paternité. Qu’ils l’aient conservée au profit de l’épouse et de l’enfant, cela se conçoit

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C. civ., art. 313-1 (L. n°72-3 du 3 janv. 1972, implicitement abrogé par l’ord. n°2005-759 du 4 juil. 2005) : « La présomption de paternité est écartée quand l’enfant, inscrit sans l’indication du nom du

mari, n’a de possession d’état qu’à l’égard de la mère ».

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C. civ., art. 313-2, al. 2 (L. n°72-3 du 3 janv. 1972, implicitement abrogé par l’ord. n°2005-759 du 4 juil. 2005) : « Chacun des époux peut demander que les effets de la présomption de paternité soient

rétablis, en justifiant que, dans la période légale de la conception, une réunion de fait a eu lieu entre eux, qui rend vraisemblable la paternité du mari. […] ».

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La doctrine est loin d’être unanime, comme en attestent les diverses tendances qui ont été exprimées lors du coll. sur « La réforme de la filiation » (Centre de droit de la famille Univ. Jean Moulin Lyon III, 8 juin 2006, inédit). Adeline GOUTTENOIRE pense que l’époux de la mère peut reconnaître l’enfant. Pierre MURAT penche en faveur de cette solution, quoique son opinion soit assez partagée. Philippe MALAURIE a dû mal à imaginer un mari allant reconnaître son enfant. Quant à Frédérique GRANET-LAMBRECHTS, elle considère que la reconnaissance ne constitue pas un mode d’établissement de la filiation paternelle en mariage.

155

C. civ., art. 315 : « Lorsque la présomption de paternité est écartée dans les conditions prévues aux

articles 313 et 314, ses effets peuvent être rétablis en justice dans les conditions prévues à l’article 329 ».

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C. civ., art. 329 : « Lorsque la présomption de paternité est écartée en application des articles 313 ou

314, chacun des époux peut demander, durant la minorité de l’enfant, que ses effets soient rétablis en prouvant que le mari est le père. […] ».

puisque c’est pour eux le seul moyen d’établir le lien paternel lorsque la présomption de paternité a été écartée. Mais pour l’époux qui disposerait de la reconnaissance, l’action de l’article 329 du Code civil ne serait d’aucune opportunité.

Ajoutons qu’une telle action n’existe que pour l’établissement du lien paternel en mariage. En effet, la loi n’instaure aucune action en justice permettant à la mère, qu’elle soit mariée ou non au père, ou à l’homme non marié avec la mère, d’établir volontairement son lien avec l’enfant. Pour parvenir à ce résultat, la seule voie qui leur est offerte (hormis la possession d’état constatée par un acte de notoriété qui est un mode d’établissement commun à tous les liens de filiation) est la reconnaissance.

Comment justifier que l’époux, qui dispose déjà d’une action dans le cas où sa paternité n’aurait pas été établie pour les raisons relevant des articles 313 et 314, puisse également procéder à la reconnaissance ? Pourquoi le mari de la mère bénéficierait-il de deux possibilités, là où les autres personnes désirant faire reconnaître leur maternité ou leur paternité n’en auraient qu’une ? Pour quel motif raisonnable l’époux serait-il favorisé par le droit ?

Certes, on pourrait rétorquer que l’action en justice est plus lourde que la reconnaissance par acte authentique. Mais il est rare que le mari, s’il est bien le géniteur, ait besoin de recourir à la procédure judiciaire parce que la présomption de paternité aura été écartée. En effet, les hypothèses visées aux articles 313 et 314 du Code civil sont majoritairement celles dans lesquelles ce n’est pas l’époux qui a conçu l’enfant dont sa femme est enceinte.

Un autre argument doit être tiré de la lettre et de l’ordonnancement des textes157. Mais avant d’exposer l’argument dont il est question, il convient de rappeler cet ordonnancement, afin de mieux appréhender notre raisonnement.

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La circ. n°CIV/13/06 « de présentation de l’ordonnance n°759-2005 du 4 juillet 2005… » (op. cit. note 54), affirme que les reconnaissances maritales sont permises lorsqu’il est question de rétablir la présomption de paternité du mari qui aurait été écartée par application de l’art. 313 ou de l’art. 314 – elles seraient en revanche interdites dans les autres cas. On ne peut que relever la contradiction de cette interprétation « téméraire et périlleuse » (F. GRANET-LAMBRECHTS, « Entrée en vigueur du nouveau droit de la filiation le 1er juillet 2006 : les textes complémentaires de l’ordonnance du 4 juillet 2005 »,

AJFam., 2006, p. 284) de l’ordonnance avec les termes mêmes des art. 315 et 329 c. civ. Le projet de loi

de ratification de l’ordonnance (Rapp. n°770 fait au nom de la commission des lois, 2 avr. 2008,

www.legifrance.gouv.fr.) propose d’ajouter à l’art. 315 une phrase aux termes de laquelle : « Le mari a

également la possibilité de reconnaître l’enfant dans les conditions prévues aux articles 316 et 320 ». Le

fait que le projet prévoit d’instituer une telle précision confirme que la possibilité d’une reconnaissance par le mari ne semble pas découler des textes actuellement en vigueur. Ajoutons que si une telle possibilité était retenue, elle ne changerait rien à la circonstance qu’il existe une distinction entre la paternité en mariage et la paternité hors mariage. En effet, la présomption n’est applicable qu’à l’époux et demeure le mode principal d’établissement de sa paternité, tandis que la reconnaissance, si elle était admise, ne serait qu’un mode subsidiaire d’établissement qui n’aurait vocation à s’appliquer que lorsque la présomption aurait été écartée. En dehors de l’union matrimoniale, la reconnaissance continuera de constituer le mode principal d’établissement paisible du lien paternel.

Les dispositions relatives à « l’établissement de la filiation » sont englobées dans le même chapitre, lequel se divise en trois sections intéressant « l’établissement de la

filiation par l’effet de la loi » (section I), « par la reconnaissance » (section II) et « par la possession d’état » (section III). La « présomption de paternité » est inscrite dans la

section I (au même titre que la « désignation de la mère dans l’acte de naissance »). La reconnaissance fait l’objet de la deuxième section, laquelle débute par l’article 316.

Cet article indique, en son premier alinéa, que la filiation peut être établie « par une

reconnaissance de paternité ou de maternité », lorsqu’elle ne l’a pas été « dans les conditions prévues à la section I du présent chapitre ». Or, dans la section visée, il est

prévu que le lien paternel, à l’égard du mari, est établi au moyen de la présomption de paternité ou, si celle-ci a été écartée, grâce à l’action en rétablissement de ses effets. Donc, quoi qu’il arrive, si l’époux est bien le géniteur, sa paternité sera établie, ce qui exclut, aux termes de l’article 316 alinéa 1 du Code civil, la possibilité d’une reconnaissance par le mari.

Il n’existe qu’une seule hypothèse dans laquelle le mari ne verra aucun lien établi entre lui et l’enfant « dans les conditions prévues à la section I » : c’est celle où il aura été prouvé qu’il n’y a pas de lien génétique entre les intéressés. En effet, les cas où ce lien fait défaut recoupent bien souvent les situations pour lesquelles la présomption de paternité est écartée, ce qui oblige l’époux, s’il désire que les effets de celle-ci soient rétablis, à engager l’action en rétablissement de l’article 329 du Code civil. Or, pour que les magistrats reconnaissent le bien-fondé de l’action, il faut prouver « que le mari est le

père ». S’il ne l’est pas, les effets de la présomption ne sont pas rétablis, autrement dit,

la paternité n’est pas établie. Par contre, si l’époux est le géniteur, les effets de la présomption sont rétablis : il sera juridiquement reconnu comme étant le père de l’enfant.

Enfin, si l’on admettait que le mari de la mère puisse reconnaître l’enfant, on s’exposerait à ouvrir très largement la porte aux fraudes. Imaginons que des conjoints recourent aux services d’une « mère-porteuse », c’est-à-dire d’une femme qui s’engage à porter l’enfant à la place de l’épouse et à remettre celui-ci au couple juste après l’accouchement. Une fois l’enfant né, les époux, ensemble ou séparément, n’auraient plus qu’à reconnaître l’enfant pour que le lien de filiation soit établi. Ils pourraient faire de même avec un enfant qui leur serait totalement étranger d’un point de vue génétique, détournant ainsi les règles de l’adoption. Considérant que la reconnaissance est admise, l’officier d’état civil qui recevrait l’acte ne s’interrogerait pas trop sur la raison pour laquelle il n’y a pas eu application de la présomption de paternité.

Certes, de telles fraudes étaient possibles sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance. En effet, il suffisait qu’un homme marié reconnaisse un enfant non mis au monde par sa femme (autrement dit un enfant né en dehors du mariage, à l’égard duquel la présomption de paternité ne peut donc pas jouer) et abandonné par la mère (qu’il y ait eu ou non convention de « maternité pour autrui »), et que son épouse présente une

requête en adoption, les conditions étant plus souples lorsque l’on adopte les enfants de son conjoint. Seulement, une procédure judiciaire demeurant nécessaire, la fraude était souvent décelée.

Si, désormais, on acceptait qu’un homme puisse procéder à la reconnaissance de l’enfant de son épouse, un couple marié pourrait plus facilement recourir à de telles pratiques frauduleuses sans encourir par trop le risque d’être découverts, l’officier d’état civil ne disposant pas des mêmes pouvoirs ni des mêmes moyens d’investigation qu’un magistrat pour s’assurer de la conformité aux dispositions légales. Ce n’est là qu’un argument d’opportunité, mais qui a son poids dès lors que l’on souhaite élever des obstacles aux pratiques qui sont contraires au droit de la filiation dans son ensemble, qui constituent un détournement de la législation sur l’adoption en particulier.

La reconnaissance n’est donc pas un mode d’établissement de la paternité en mariage. Etonnement, le droit applique les mêmes distinctions dans les modes d’établissement du lien paternel, lorsque la procréation de l’enfant a été médicalement assistée et a nécessité l’intervention d’un tiers donneur masculin, alors que la volonté s’exprime déjà à travers le consentement donné au procédé artificiel et que le souci de vérité génétique n’intervient pas.

Il en résulte un établissement de la paternité totalement soumis au bon-vouloir du concubin158 ou, si celui-ci n’a pas agi, de la mère de l’enfant, soumission que l’on ne retrouve pas lorsque le couple qui recourt à une procréation articifielle est uni maritalement.

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