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La nécessité d’une acceptation sociale

Dans le document Les distinctions dans le droit de la filiation (Page 135-138)

L’ETABLISSEMENT INTERDIT DU DOUBLE LIEN DE FILIATION

B) La nécessité d’une acceptation sociale

La filiation ne se réduit pas à l’engendrement. De multiples facteurs sont pris en compte par la loi pour qu’un lien, qui n’est pas obligatoirement d’ordre génétique20, entre un enfant et un individu, accède au statut de lien légal, de lien de filiation.

Ces facteurs sont intégrés dans le cadre conceptuel du système politique global dont le souci est moins de consacrer un lien de droit qui serait en parfaite adéquation avec les rapports de consanguinité que de déterminer les liens « qui méritent ou non d’être

socialement reconnus »21 conformément à des intérêts et des valeurs jugées essentielles. Toute règle de droit, y compris celles intéressant la filiation, « procède d’un jugement

de valeur sur ce que la société doit accepter ou refuser »22.

C’est ce qui explique « la variété des règles de filiation et leur inadéquation

délibérée au fait généalogique, même connu, car elles se fondent non sur un recrutement de fait – fait qui est universellement le même – mais sur une investiture de droit, inspirée tout à la fois de croyances mythiques et religieuses, et d’intérêt démographiques, économiques, politiques, tous plus ou moins étroitement liés à des impératifs de survie »23.

On en veut pour preuve le sort autrefois réservé aux enfants issus d’un adultère (1) et, plus généralement, aux enfants hors mariage (2).

1 L’acceptation progressive de l’enfant dit adultérin

Pendant des siècles, l’établissement de la filiation adultérine a été interdit non pas tellement en raison de l’ignorance relative de la réalité biologique – laquelle offrait d’ailleurs « une plasticité commode au modelage du donné naturel par des règles

sociales délibérément inspirées d’autres objectifs, d’ordre économique, politique,

19

A. BRETON, « L’enfant incestueux », op. cit. note 13, p. 320.

20

Cf. l’établissement de la filiation au moyen de la possession d’état constatée dans un acte de notoriété ou un jugement (respectivement art. 310-1 et 330 c. civ.).

21

M-Th. MEULDERS-KLEIN, « La personne, la famille et le droit : 1968-1998 : Trois décennies de mutations en Occident », Bruylant/LGDJ, 1999, p. 210.

22

D. FENOUILLET, « L’adoption de l’enfant incestueux par le demi-frère de sa mère… », op. cit. note 4, p. 7.

23

religieux ou moral, y compris dans les sociétés laïques occidentales »24 – mais davantage dans un but de protection de la famille fondée sur le mariage : il s’agissait de ne pas faire apparaître au grand jour que la foi conjugale, et donc l’institution du mariage, pilier de la société, n’avait pas été respectée.

Ce silence était conforté par l’étendue du domaine d’application de la présomption de paternité du mari qui permettait de parer au cas où l’épouse affichait des enfants dont, en réalité, l’époux n’était pas le géniteur : ces enfants étaient rattachés au mari, même si les circonstances révélaient qu’ils avaient été conçus par un autre homme25. Et pour les cas où les dispositions légales ne permettaient pas de se retrancher derrière un mensonge, autrement dit de rattacher les enfants à l’union bafouée, le législateur n’autorisait pas l’établissement du lien juridique envers l’auteur adultère. Ainsi, la morale était sauve.

Le regard porté sur l’adultère et surtout sur le fruit de ces relations a par la suite évolué, de telle sorte qu’aujourd’hui la société accepte de reconnaître ce phénomène : la filiation peut être établie sans limite26, l’enfant ne subit plus de restrictions successorales27, et même « la cause de la libéralité dont l’auteur entend maintenir la

relation adultère qu’il entretient avec le bénéficiaire […] n’est pas contraire aux bonnes mœurs »28.

C’est aussi la réprobation morale et sociale, dont la procréation en dehors de l’engagement conjugal a longtemps été l’objet, qui explique que la preuve de la filiation hors mariage était autrefois soumise à une réglementation restrictive, tandis que la preuve de la filiation en mariage était largement ouverte.

A partir du moment où la conception d’un enfant en dehors du lien matrimonial a été progressivement mieux perçue, la loi a progressivement autorisé la recherche en justice du géniteur, ou du moins de celui qui était vraisemblablement le géniteur.

2 L’acceptation progressive de l’enfant dit naturel

Encore au début du XXème siècle, les relations charnelles sans le support de l’engagement conjugal étaient blâmées. Et rien n’était pire, pour une femme non mariée, que de tomber enceinte. Nombre d’unions ont été célébrées dans la précipitation dans le seul but de parer au scandale. Et combien d’enfants nés à terme sont passés pour des prématurés aux yeux des tiers, parfois même de la famille, afin d’éviter la réprobation ?

24

Ibid., p. 210.

25

Cf. supra titre I, chap. I, section I, § I, A), 2.

26

L. n°72-3 du 3 janv. 1972.

27

L. n°2001-1135 du 3 déc. 2001.

28

A mesure que les relations hors mariage ont été mieux acceptées par la société et qu’elles ont pu se développer avec plus de sérénité, le législateur a admis l’établissement forcé de la paternité.

Au départ, seule la reconnaissance était admise. Quelques exceptions sont ensuite apparues : les cas d’enlèvement et de viol. Puis ce fût la loi de 1912 qui marqua le début de réformes législatives au terme desquelles l’action en recherche de paternité est devenue par principe autorisée, et non plus exceptionnellement.

Parallèlement, les enfants nés hors mariage se sont vus reconnaître plus de droits, au point que, aujourd’hui, ils sont identiques à ceux des enfants issus d’une union matrimoniale. Mais à condition, bien sûr, que leur filiation soit établie. Or, pour qu’une filiation puisse être établie, il faut que la société l’admette : c’est justement là que réside le problème des enfants conçus grâce à la commission d’un inceste absolu.

Ce problème n’est pas près d’être résorbé car, en ce qui concerne l’inceste, les considérations sont différentes : l’inceste est « un des tabous fondateurs de notre

société »29, sa prohibition « est au fondement même de notre civilisation »30, c’est « un

commandement fondateur de toute vie sociale »31, qu’« il ne paraît ni opportun ni

souhaitable », aux yeux du Conseil d’état, « de remettre en cause […] pour un nombre de situations finalement très retreint »32.

§ II L’interdit en tant qu’élément du tabou de l’inceste

« Tabou » vient du mot polynésien « tapu », que l’on traduit par « interdit », « sacré ». En tant que nom commun, il désigne un « système d’interdictions de caractère relatif appliquées à ce qui est considéré comme sacré (et interdit) ou impur »33. Il est aussi utilisé comme adjectif : ce qui est marqué d’un tabou est frappé d’interdit, « social et moral »34, et présente un caractère sacré. Le terme désigne enfin

« ce sur quoi on fait silence par crainte, pudeur »35, « ce dont on ne doit pas parler »36.

Il ne fait aucun doute que les relations incestueuses, particulièrement lorsqu’il s’agit d’un inceste absolu, constituent un tabou. Tout est orchestré, dans les faits comme dans la loi, pour que le silence soit conservé à leur sujet. On a l’impression de quelque chose

29

Conseil d’Etat, « Statut et Protection de l’Enfant », rapp. au Premier Ministre, La Documentation française, 1991, p. 85.

30

D. GUTMANN, « Le sentiment d’identité… », op. cit. note 14, p. 54.

31

A. BATTEUR, « L’interdit de l’inceste… », op. cit. note 8, p. 773.

32

Conseil d’Etat, rapp. préc., p. 85.

33

Le Robert : Dictionnaire d’aujourd’hui.

34

Petit Larousse illustré.

35

Le Robert : Dictionnaire d’aujourd’hui.

36

de malsain, d’« impur ». Dès lors qu’il est question de rapports incestueux, un malaise se ressent, une certaine pudeur s’installe. Enfin, ces rapports sont frappés d’interdit : leur officialisation est prohibée.

L’interdiction inscrite à l’article 310-2 du Code civil participe du tabou de l’inceste en ce qu’elle permet à la commission de ce dernier de demeurer secrète, de ne pas être révélée au grand jour. Surtout, elle empêche que l’inceste soit reconnu par la société par le biais d’une institution légale, à savoir la filiation. Aussi est-elle une composante essentielle du tabou de l’inceste.

Le tabou de l’inceste emporte réprobation des rapports intimes entre proches, parents ou alliés (A), qui, lorsqu’ils existent, doivent demeurer cachés et ne sont jamais directement visés (B).

Dans le document Les distinctions dans le droit de la filiation (Page 135-138)

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