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Le contenu de la distinction au niveau interne

Dans le document Les distinctions dans le droit de la filiation (Page 156-159)

L’ETABLISSEMENT INTERDIT DU DOUBLE LIEN DE FILIATION

A) Le contenu de la distinction au niveau interne

Ne visant que les empêchements à mariage édictés « aux articles 161 et 162 pour

cause de parenté »141, c’est-à-dire ceux qui ne pourront en aucun cas être levés par le président de la République142, l’article 310-2 du Code civil ne peut concerner que des enfants ne s’inscrivant pas dans l’union conjugale (1).

Et bien que le législateur ne désire pas stigmatiser ces enfants, il est à craindre que cela ne demeure qu’un vœu pieux (2).

1 Des enfants nécessairement hors mariage

L’ordonnance du 4 juillet 2005 avait notamment pour objet d’achever l’évolution vers l’égalité de tous les enfants, quelles que soient les conditions de leur naissance ou conception143. Mais les rédacteurs de la réforme n’y sont pas totalement parvenus, puisqu’il demeure l’interdiction d’établir le double lien de filiation lorsqu’« il existe

entre les père et mère de l’enfant un des empêchements à mariage prévus par les articles 161 et 162 pour cause de parenté »144.

L’article 310-2 du Code civil ne mentionne que les « empêchements à mariage

prévus par les articles 161 et 162 pour cause de parenté ». Ce qui signifie qu’il est

interdit d’établir la filiation dans son double lien, maternel et paternel, si les auteurs sont frère et sœur, père et fille, mère et fils, grand-parent et petit-enfant…, sans limite dans la ligne descendante ou ascendante.

Dans les autres situations d’inceste, la filiation pourra être légalement reconnue à l’égard des deux parents145, même si ces derniers n’ont pas été admis à se marier grâce à une dispense accordée par le chef de l’Etat146.

Il en résulte une distinction entre les enfants issus de relations incestueuses, selon le type d’inceste dont il s’agit. La règle implique également une distinction entre les enfants s’inscrivant dans une union matrimoniale et ceux qui ne s’y inscrivent pas. 141 C. civ., art. 310-2. 142 Cf. c. civ., art. 164. 143

L. d’habilitation n°2004-1343 du 9 déc. 2004, art. 4, JORF, 10 déc. 2004, p. 20857.

144

C. civ., art. 310-2.

145

C. civ., art. 310-2, a contrario.

146

En effet, l’enfant auquel s’applique l’article 310-2 est celui dont les père et mère ne pourront obtenir aucune dispense147. Autrement dit, il a été conçu par des personnes qui ne sont pas mariées ensemble, qui ne l’ont jamais été et qui ne pourront jamais l’être. Fruit de ces relations charnelles, l’enfant de l’article 310-2 est nécessairement un enfant hors mariage. Il est impossible que ce texte trouve application à l’égard d’un enfant dont les parents ont, conformément à la législation sur l’union conjugale, contracté ensemble. Considérant l’évidence écrite par André BRETON148, selon laquelle nier un fait ne le fait pas disparaître, Daniel GUTMANN envisage d’éliminer toute distinction en libérant totalement l’établissement de la filiation incestueuse.

D’autant que la conservation du secret n’est qu’apparente et hypocrite, surtout lorsqu’il y a allocation de subsides. En effet, le débiteur est, dans la très large majorité des cas, le géniteur, ce que personne n’ignore. Et l’on sait que si la paternité n’est pas déclarée, c’est parce que la morale, relayée par la loi, ne le permet pas.

2 Des enfants stigmatisés

Il est assez dérangeant de penser que la loi puisse cautionner le comportement d’une mère qui, agissant au nom de son enfant, réclame des subsides à celui avec qui elle l’a conçu pour profiter de ressources sans avoir à partager l’autorité parentale. C’est pourquoi certains ont formulé la proposition de réserver l’action à fins de subsides aux enfants concernés par l’article 310-2 du Code civil (ou issus d’un viol).

Il a alors été répondu que cela aurait été « davantage regrettable […] car c’eût été

afficher les circonstances de [la] conception de ces enfants »149.

Mais si la théorie se refuse à stigmatiser, il est à craindre que la réalité soit tout autre depuis que la 1ère Chambre civile a décidé que « l’expertise biologique est de droit en

matière de filiation, sauf s’il existe un motif légitime de ne pas y procéder »150, et qu’elle a étendu la solution à l’action à fins de subsides151.

147

C. civ., art. 164, a contrario.

148

A. BRETON, « L’enfant incestueux », op. cit. note 13, p. 320 : « s’il existe un fait, si déplaisant ou

même si abominable qu’il soit, on ne le fait pas disparaître en le niant ».

149

F. GRANET-LAMBRECHTS et J. HAUSER, « Le nouveau droit de la filiation », D., 2006, chron., p. 18.

150

Cass., civ. 1ère, 28 mars 2000, D., 2000, jurisp., p.p. 731-732, note Th. GARE ; JCP G, 2000, II-10409, concl. C. PETIT et note M-Ch. MONSALLIER-SAINT MLEUX.

151

Pour des exemples récents, voir cass., civ. 1ère, 14 juin 2005 (2 arrêts), RTDciv., 2005, p. 584, J. HAUSER ; RJPF, 2005, 11/36, analyse Th. GARE.

Dans chacun des arrêts, l’expertise était sollicitée par la mère. L’une des espèces concernait une femme qui avait engagé l’action à l’encontre d’un homme avec lequel elle prétendait avoir eu des relations sexuelles pendant la période de conception. Elle demandait, subsidiairement, la réalisation d’une expertise biologique. Pour rejeter ses demandes, les juges du fond avaient relevé que « les pièces produites [par la demanderesse] ne permettaient pas d’établir l’existence de relations intimes pendant la période légale de

Il résulte de cette jurisprudence constante que, dès lors qu’une partie au procès sollicite un examen scientifique, le juge est tenu d’y faire droit, à moins bien sûr qu’il ne soit justifié d’un motif légitime. Or, grâce à la technique des empreintes génétiques, il est désormais possible d’obtenir une quasi-certitude quant à la paternité ou la non paternité du défendeur. Par conséquent, et hormis le cas d’un refus opposé par ce dernier (lequel refus peut éventuellement être interprété contre lui et le conduire à devoir verser des subsides) il n’y a que deux solutions possibles.

Soit les experts, au vu des résultats, concluent à la non paternité et les juges ne prononcent aucune condamnation aux subsides152.

Soit l’examen révèle une paternité quasi-certaine et dans ce cas il y a de très fortes chances pour que le défendeur soit déclaré père par les magistrats, sauf si, bien évidemment, la loi ne l’autorise pas, ce qui est le cas lorsque cela aura pour effet d’établir une filiation incestueuse153. Dès lors, la solution est d’obliger le géniteur au versement de subsides.

Dans l’action à fins de subsides, il n’est plus question de père possible, mais de père véritable dont la paternité ne peut être moralement reconnue par la loi.

Et qu’on le veuille ou non, la société sera en mesure de deviner, dans la très grande majorité des cas, les circonstances de la conception de l’enfant.

Comme l’énonce le professeur Jean HAUSER, au moment d’instaurer l’interdit figurant à l’article 310-2 du Code civil, on présupposait « que les mœurs auraient, en

amont, maintenu le secret et qu’il convenait que le droit, en aval, y encourageât. Le montage est apparemment mort dans plusieurs hypothèses et il n’en subsiste plus que

l’action en recherche de paternité ». La mère avait, en effet, engagé l’action plus de deux ans après la

naissance de l’enfant, de sorte que l’action en recherche de paternité se trouvait, en l’état, prescrite pour elle. Mais cet arrêt de la CA de Toulouse a été censuré par la 1ère Chambre civile qui, au visa de l’art. 342 c. civ., a déclaré : « Attendu que l’expertise biologique est de droit en matière d’action à fins de subsides,

sauf s’il existe un motif légitime de ne pas y procéder ».

Les 6 (D., 2006, info. rapides, p. 14 ; Bull. Civ., I, n°478) et 16 déc. 2005, ainsi que le 31 janv. 2006, la juridiction suprême a adopté la même solution, mais cette fois-ci au visa de l’art. 342-4 c. civ. (« Le

défendeur peut écarter la demande en faisant la preuve par tous moyens qu’il ne peut être le père de l’enfant »), en faveur d’un homme qui avait été assigné et qui entendait être mis hors de cause par la

preuve de son impossibilité d’avoir engendré l’enfant. Dans la première affaire notamment, les hauts magistrats ont reproché à la CA de Saint Denis de la Réunion (1er juin 2004) d’avoir condamné cet homme en retenant, « sans se prononcer sur la demande d’expertise, que le seul aveu de sa cohabitation

suffit à établir l’existence de relations intimes et rend recevable » la prétention aux subsides. Les juges du

fond auraient dû, en effet, « donner un motif légitime légitime propre à justifier leur refus d’ordonner

l’expertise sollicitée ».

152

Cf. c. civ., art. 342-4, qui permet au défendeur d’« écarter la demande en faisant la preuve par tous

moyens qu’il ne peut être le père [entendu au sens de géniteur] de l’enfant ». Notons ici encore la

similitude avec la législation belge, qui prévoit le rejet de l’action lorsque le défendeur établit « par toutes

voies de droit » qu’il n’est pas le géniteur.

153

Cf. c. civ., art. 310-2. On peut aussi considérer que, si l’enfant est issu d’un viol, les tribunaux seront peu enclins à imposer à la mère ce père criminel.

des inconvénients pour l’enfant154 et un profit bien hypothétique pour la société qui, en tout état de cause, est bien obligée d’ouvrir les yeux sur cette triste réalité »155.

Il se pourrait d’ailleurs qu’un jour ce soit la jurisprudence européenne qui y invite le législateur français.

B) Le sort de la distinction au regard du droit européen des droits de

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