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L’idéalisation périmée de la famille fondée sur le mariage

Dans le document Les distinctions dans le droit de la filiation (Page 177-182)

§ II Une différence de traitement injustifiée

A) L’idéalisation périmée de la famille fondée sur le mariage

On ne saurait nier l’augmentation continue, en particulier depuis 1965, des naissances en dehors de l’union matrimoniale. Ne représentant alors que 5,9 % du total des naissances, elles ont dépassé les 10 % en 1979, puis les 20 % en 1986 et les 30 % en

du divorce que le juge vérifie en premier lieu, et qui n’est pas librement négociable comme le sont les questions d’argent, est précisément les modalités d’exercice de l’autorité parentale » ; le garde des

Sceaux déclare qu’« il faut s’en tenir à la vocation fondamentale de l’adoption, qui est de donner un

enfant sans famille à une famille qui ne peut elle-même en avoir. Or les concubins forment un couple, ils ne forment pas une famille. Ils peuvent mettre fin à leur vie commune à tout moment, sans que jamais ne s’exerce un quelconque contrôle de l’autorité judiciaire. Ce risque important d’instabilité familiale peut s’avérer particulièrement préjudiciable pour un enfant adopté, qui, du fait de son histoire personnelle, exprime souvent un plus grand besoin de sécurité affective ») et que celle-ci reprend à son compte : « compte tenu du traumatisme originel que comporte son histoire, un enfant adopté requiert une sécurité juridique et affective que seuls des parents mariés peuvent offrir » (rapp. « L’enfant d’abord », op. cit.

1990. Effleurant les 40 % en 199669, elles atteignaient en l’an 2000 les 43 %70 et en 2005 les 45 %71. Dans le même temps, la part des enfants hors mariage naissant dans un foyer monoparental a diminué72, tandis que de plus en plus de pères non mariés avec la mère reconnaissent leurs enfants73 et, après séparation, continuent à entretenir des liens avec eux74.

On ne saurait non plus ignorer la stabilité des couples non mariés75, qui offrent désormais autant de garanties pour l’enfant, notamment quant aux conditions d’accueil

« sur les plans familial, éducatif et psychologique »76, que les couples unis par un lien matrimonial77 : « Aujourd’hui, toutes choses égales par ailleurs, on estime que les

modes de vie familiaux, les modes de consommation, les modes d’éducation des enfants ne présentent pas de différences significatives selon que les parents sont ou non mariés. Au sein d’une même parentèle, il est désormais fréquent que coexistent des familles naturelles et légitimes, que rien ne distingue dans leur vie quotidienne. Les différences d’appartenance sociale sont beaucoup plus significatives que les statuts juridiques »78.

La stabilité fait d’ailleurs partie des critères qui ont été, dans un premier temps, dégagés par la jurisprudence79 pour conclure à l’existence d’un concubinage. Elle

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Sur tous ces chiffres, v. B. BONIFACE, S. JULIEN-SAINT-AMAND-HASSANI et B. RENAUD, « Demain la famille, quel concept ? », 1ère comm. in Demain la famille, 95ème Congrès des Notaires de France, Marseille, 9-12 mai 1999, Création Edition Exposition, 1999, p. 23 ; H. LERIDON, « Statut de l’enfant : dossier démographique », annexe I : Statistiques, Tableau n°1 in Conseil d’Etat, « Statut et

Protection de l’enfant », rapp. au Premier Ministre, La Documentation française, 1991, p. 115.

70

Cf. Ph. CHAILLOU, « Guide du droit de la famille et de l’enfant », Dunod, 2003, p. 50.

71

G. CORNU, « Droit-civil : La famille », op. cit. note 63, p. 8. En Suède, le taux des enfants nés hors mariage atteignait 56 % en 2002.

72

V. H. LERIDON, « Statut de l’enfant : dossier démographique », annexe I : Statistiques, Tableau n°9, op. cit. note 69, p. 124.

73

En 1999, l’INED a relevé que 95 % des enfants nés hors mariage avaient été reconnus par leur père.

74

Ils étaient plus de 40 % en 1999 à voir leurs enfants au moins une fois par mois.

75

Bien qu’ils n’atteignent pas encore le degré de stabilité de l’union matrimoniale : selon Xavier LACROIX, les couples de concubins seraient en moyenne deux fois plus instables que les couples mariés (rapp. « L’enfant d’abord », op. cit. note 4).

76

Le D. n°98-771 du 1er sept. 1998, relatif à l’agrément des personnes qui souhaitent adopter un pupille de l’Etat ou un enfant étranger (règle valant également, en vertu de la L. n°2002-93 du 22 janv. 2002, pour un enfant remis à un organisme autorisé pour l’adoption), prévoit en son art. 4 que, « avant de

délivrer l’agrément » visé à l’art. 353-1 al. 1 c. civ. ainsi qu’aux art. L 225-2 et suiv. CASF, « le président du conseil général » du département de résidence des candidats à l’adoption « doit s’assurer que les conditions d’accueil offertes par le demandeur sur les plans familial, éducatif et psychologique correspondent aux besoins et à l’intérêt d’un enfant adopté ».

77

« La naissance hors mariage n’entraîne pas réellement de différence dans l’éducation et la vie des

enfants » (rapp. « L’enfant d’abord », op. cit. note 4).

78

I. THERY, « Couple, filiation et parenté aujourd’hui: Le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée », rapp. à la ministre de l’Emploi et de la Solidarité et au Garde des Sceaux, Ed. Odile Jacob/La Documentation française, 1998, p. 44.

79

constitue aujourd’hui un des éléments de la définition légale de celui-ci, introduite dans le Code civil par la loi du 15 novembre 1999, à l’article 515-8 : « Le concubinage est

une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple ».

Dès lors qu’il est question de concubinage, il s’agit donc, nécessairement, d’une relation de couple s’inscrivant dans la durée. La famille fondée sur le mariage ne saurait, en conséquence, être présentée comme la seule qui soit stable. Elle n’est d’ailleurs plus, à l’heure où une union conjugale sur trois se conclut par un divorce, un gage de stabilité80.

On invoque alors l’absence d’organisation légale de la dissolution des couples non mariés pour justifier l’impossibilité pour eux d’adopter un enfant en commun. Or, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de dispositions spécifiques régissant la séparation de ces couples, à l’image de celles qui existent en matière de divorce ou de séparation de corps, que les enfants de concubins ne bénéficient pas de garanties légales dans leurs relations avec leurs parents.

Bien au contraire, la loi du 4 mars 2002, qui a fait de l’exercice conjoint de l’autorité parentale le principe, indépendamment de la situation matrimoniale des père et mère81, a instauré les mêmes règles pour tous les enfants. Dans tous les cas, qu’il ait ou non existé un lien conjugal entre les parents, la séparation de ces derniers « est sans

incidence sur les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité parentale »82.

La condition d’un engagement conjugal entre les membres du couple requérant ne serait-elle pas davantage un moyen de mettre en échec toute tentative d’adoption par un couple homosexuel ?

Contrairement à la jurisprudence, qui n’envisageait le concubinage qu’entre un homme et une femme83, la loi a inclus dans sa définition le concubinage « entre deux

80

« Certes, les unions libres se rompent plus facilement et durent en moyenne moins longtemps que les mariages, mais la progression du divorce relativise cette différence » (rapp. « L’enfant d’abord », op. cit. note 4).

81

C. civ., art. 372, al. 1er : « Les père et mère exercent en commun l’autorité parentale ». Si l’al. 2 prévoit les cas particuliers d’établissement tardif ou judiciaire du second lien de filiation, pour lesquels l’autorité parentale continuera d’être exercée unilatéralement par le premier parent, le dernier alinéa offre immédiatement la solution d’une déclaration conjointe devant le greffier en chef du tribunal de grande instance ou d’une décision du juge aux affaires familiales afin que l’autorité soit exercée en commun.

82

C. civ., art. 373-2, al. 1er.

83

Cass., civ. 3ème, 17 déc. 1997 (Bull. Civ., III, n°225 ; JCP G, 1998, II-10093, note DJIGO) : « Le

concubinage ne [peut] résulter que d’une relation stable et continue ayant l’apparence du mariage, donc entre un homme et une femme ».

CE, 4 mai 2001, « Association Promouvoir » (Dr. fam., juil. 2001, p. 16, note H. LECUYER) :

« Antérieurement à l’entrée en vigueur de l’article 515-8 ajouté au Code civil par la Loi n°99-944 du 15 novembre 1999 relative au Pacte civil de solidarité, le concubinage s’analysait comme une relation

personnes […] de même sexe »84. En exigeant une union légitime, alors que le mariage n’est pas ouvert à des partenaires de même sexe, le droit sécuriserait ainsi l’adoption face aux revendications de la communauté homosexuelle, d’autant que la jurisprudence européenne vient de subir un revirement à ce sujet.

Les juges strasbourgeois, dans l’affaire « Fretté contre France »85, avaient rejeté l’allégation de violation des articles 886 et 1487 du traité pour refus d’agrément fondé sur l’homosexualité. La Cour avait certes conclu à l’applicabilité de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la convention. Mais elle avait considéré qu’en l’absence de consensus sur la question de l’adoption par un homosexuel et « compte tenu de la marge

d’appréciation à laisser en la matière aux autorités de chaque Etat, notamment pour veiller à la protection de l’intérêt des enfants pouvant être adoptés », la différence de

traitement litigieuse ne constituait pas une discrimination au sens de l’article 14.

Cette solution a été renversée88 par un arrêt vivement contestée89 du 22 janvier 200890 par lequel la Cour européenne a condamné la France, considérant que le refus d’agrément était fondé sur l’orientation sexuelle et constituait, à ce titre, une

stable et continue, ayant l’apparence du mariage, et ne pouvant concerner qu’un couple constitué d’un homme et d’une femme ».

84

C. civ., art. 515-8.

85

Cour EDH, 26 fév. 2002, « Fretté contre France », n°36515/97, Dr. fam., 2002, chron. 19, obs. A. DEBET ; JCP G, 2002, II-10074, note A. GOUTTENOIRE-CORNUT et F. SUDRE ; RTDciv., 2002, p.p. 280-281, J. HAUSER. 86 C°EDH, art. 8, préc. 87 C°EDH, art. 14, préc. 88

Rien ne permet d’affirmer que le revirement sera confirmé. En effet, la décision de condamnation n’a été adoptée que par dix voix contre sept et a fait l’objet d’opinions dissidentes assez vives (v. note suiv.).

89

La décision de la Cour européenne n’a pas reçu l’unanimité auprès de ses membres. Plusieurs juges ont, dans leur opinion dissidente, observé que les deux motifs retenus par les instances nationales pour refuser l’agrément étaient, non pas l’orientation sexuelle de la requérante (ce que les autorités française ont invariablement précisé dans leurs décisions), mais l’absence de référent masculin et le comportement indifférent, voire hostile, de la femme avec qui elle entretenait une relation stable à l’égard du projet d’adoption. Certes, la première raison semble peu convaincante dès lors que le législateur autorise l’adoption par une personne seule. Mais elle peut être opposée à tout candidat à l’adoption quelle que soit son orientation sexuelle. Le second argument soulevé par les autorités nationales était en revanche pertinent, comme le reconnaît d’ailleurs la Cour elle-même (§ 76 à 79). Mais celle-ci l’a déclaré

« contaminé » par « le caractère illégitime » du premier motif invoqué. Outre que cette « théorie de la contamination » soit contestable, s’agissant de raisons bien distinctes, le second motif retenu par les

instances françaises ne présentait aucun lien avec l’orientation sexuelle de la candidate : un tel motif aurait tout aussi bien pu être opposé à une personne installée dans une relation hétérosexuelle. Enfin, le refus d’agrément fondé sur l’orientation sexuelle d’un candidat doit-il forcément être qualifié de discriminatoire ? Ne pouvons-nous pas considérer qu’il existe un motif légitime à un tel refus ? Nombreux sont ceux qui reconnaissent que nous ne disposons pas encore d’assez de recul pour affirmer que le fait pour un enfant d’être élevé par une personne d’orientation homosexuelle n’a aucune répercussion sur son état psychologique. En la matière, les études divergent et certains préfèrent appliquer le principe de précaution (cf. rapp. « L’enfant d’abord », op. cit. note 4).

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discrimination. La portée de l’arrêt doit cependant être relativisée en ce que l’instance européenne n’a retenu une violation du traité qu’au sujet de l’agrément. Il n’est pas certain qu’un requérant homosexuel obtienne le prononcé de l’adoption. En effet, l’article 353 alinéa 1er du Code civil exige que l’adoption soit « conforme à l’intérêt de

l’enfant », notion qui est très subjective et qui relève de l’appréciation souveraine des

juges du fond91. Certes, un rejet de la requête qui serait expressément fondé sur l’orientation sexuelle du demandeur présenterait le risque que la France soit à nouveau condamnée par la Cour européenne. Mais les magistrats pourraient trouver d’autres motifs qui permettraient de contourner la difficulté. La théorie est une chose, la pratique en est une autre.

La portée de la décision européenne doit en outre être mesurée en ce qu’elle ne vise pas la règle selon laquelle l’adoption conjointe n’est ouverte qu’aux époux, alors même que, le mariage ne pouvant être célébré qu’entre personnes de sexe opposé, l’article 346 alinéa 1er du Code civil exclut nécessairement les homosexuels. La question se poserait sous un angle différent si le législateur décidait d’étendre la possibilité d’adopter conjointement aux concubins hétérosexuels. Mais même si la France était condamnée et qu’une réforme autorisait l’adoption conjointe au profit des couples homosexuels, il n’est pas certain que ces derniers obtiennent le prononcé de l’adoption, pour la même raison que celle évoquée plus haut, à savoir que l’adoption doit être jugée conforme à l’intérêt de l’enfant.

Quoiqu’il en soit, la règle selon laquelle l’adoption conjointe est réservée aux époux constitue un verrou bien fragile, sachant que l’adoption par une seule personne est permise et qu’il n’est pas impossible, pour celui qui se présente comme célibataire, de partager une vie commune avec quelqu’un du même sexe sans que cela ait été décelé lors des contrôles effectués pour accéder à l’adoption, particulièrement lors de l’évaluation de la situation familiale et des possibilités d’accueil de l’enfant. Certes, le ou la partenaire de l’adoptant(e) n’est pas légalement rattaché(e) à l’enfant, mais il n’empêche que ce dernier grandira dans un foyer homosexuel et sera finalement élevé par deux personnes du même sexe.

Aussi le législateur devrait-il, s’il aspire à refuser l’adoption seulement aux couples formés d’individus de même sexe, poser la condition d’hétérosexualité du couple adoptant, plutôt que d’exiger un lien matrimonial92.

Si l’intérêt de l’enfant réside dans son intégration au sein d’une cellule familiale stable et biparentale, la structure édifiée à partir du mariage ne doit plus être considérée comme la seule qui soit conforme à cet intérêt : le concubinage hétérosexuel est tout autant capable de répondre à ces exigences.

91

Cass., civ. 1ère, 11 juil. 2006, Bull. Civ., I, n°384 ; AJFam., 2006, p. 373 obs. F. CHENEDE ; RJPF, 2006, 11/35, obs. Th. GARE ; RTDciv., 2006, p. 750, obs. J. HAUSER ; Dr. fam., 2006, n°205, note P. MURAT.

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Ouvrir l’adoption conjointe aux concubins serait même parfois préférable au regard des intérêts de l’enfant adopté.

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