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Une solution opportune

Dans le document Les distinctions dans le droit de la filiation (Page 109-115)

§ I L’égalité dans la considération du lien entre une mère et son enfant

B) L’établissement de la filiation maternelle par l’indication de la mère dans l’acte de naissance : un vœu justifié

2 Une solution opportune

L’établissement du lien maternel à partir de la simple désignation de la mère dans l’acte de naissance est une règle qui, au-delà de sa simplicité et de son utilité (a), s’imposait logiquement si l’on considère la physiologie de la maternité (b) et l’évolution de la société (c).

a) Une règle pragmatique

Certains auteurs93 estiment que la solution de l’établissement de la maternité hors mariage (comme de la maternité en mariage), par la désignation dans l’acte de naissance, ne présente plus tellement d’intérêt depuis que la reconnaissance est un acte d’une grande simplicité qui peut, particulièrement dans les grands hôpitaux publics, se

89

V. D. CACHEUX, JO, AN, Q, 29 avr. 1992, p. 721 ; N. AMELINE, JO, AN, Q, 16 mai 1992, p. 1287.

90

C’est-à-dire l’art. 334-8 (L. n°82-536 du 25 juin 1982), implicitement abrogé par l’ord. n°2005-759 du 4 juil. 2005.

91

F. DEKEUWER-DEFOSSEZ, « Rénover le droit de la famille : propositions pour un droit adapté aux réalités et aux aspirations de notre temps », rapp. au Garde des Sceaux, La Documentation française, 1999.

92

Ibid., p. 210.

93

faire sans difficulté au moment de la déclaration de naissance, les services de l’état civil se déplaçant à la maternité. D’autant que la parturiente était informée, lors de son séjour hospitalier, de la nécessité de reconnaître son enfant afin d’établir le lien juridique à son égard, si elle n’était pas mariée. En outre, l’exigence par l’administration de la fourniture de documents divers, notamment pour recevoir des prestations sociales, conduisait rapidement la mère, qui n’avait pas encore effectué la démarche à l’état civil, à le faire.

Ajoutons que, depuis 1972, la simple indication de la mère dans l’acte de naissance de l’enfant, corroborée par la possession d’état, valait reconnaissance94 et que, depuis 1982, la possession d’état suffit à établir la filiation95.

Cependant, on ne saurait négliger l’hypothèse, certes rare, d’un décès prématuré de la mère, lors de l’accouchement ou très peu de temps après la naissance de l’enfant. Dans une telle situation, comment constater la possession d’état, sauf à considérer l’existence d’une possession d’état ante-natale, comme l’admettent parfois les juges et le prévoit implicitement l’article 317 alinéa 2 du Code civil96 ? La solution de l’établissement de la maternité par la simple désignation de la mère dans l’acte de naissance n’est donc pas dépourvue de toute utilité97.

Autre intérêt pratique : il est plus simple pour la mère d’être désignée dans l’acte de naissance que de devoir faire constater la possession d’état dans un acte de notoriété délivré par le juge d’instance98.

La solution serait aussi plus cohérente en ce qu’on ne saurait différencier, en fonction de l’existence d’un mariage, les effets (l’établissement de la maternité) de la constatation officielle d’un événement (telle femme a accouché de tel enfant) dont la visibilité ne dépend nullement de l’existence d’une union conjugale.

b) Une règle cohérente

Autrefois, la législation soumettait la preuve du lien maternel à des règles plus strictes lorsque la femme n’était pas mariée. Celle-ci ne pouvait en effet, dans le silence du Code civil, invoquer ni l’acte de naissance ni la possession d’état. Le seul moyen dont elle disposait était la reconnaissance.

94

C. civ., art. 337 (L. n°72-3 du 3 janv. 1972) : « L’acte de naissance portant l’indication de la mère vaut

reconnaissance, lorsqu’il est corroboré par la possession d’état ».

95

C. civ., art. 334-8, al. 2 (L. n°82-536 du 25 juin 1982) : « La filiation naturelle peut aussi se trouver

légalement établie par la possession d’état […] », solution figurant désormais à l’art. 317 c. civ.

96

C. civ., art. 317, al. 2 : « Quand le parent prétendu est décédé avant la déclaration de naissance de

l’enfant, l’acte de notoriété peut être délivré en prouvant une réunion suffisante de faits au sens de l’article 311-1 ».

97

En ce sens, A. DEBET, « L’influence de la Convention européenne des droits de l’Homme sur le droit civil », op. cit. note 20, p. 596.

98

La raison avancée était que l’« Etat n’a[vait] aucun intérêt à ce que la filiation des

enfants naturels soit constatée ! »99, ce que Ambroise COLIN qualifiait, dans un article publié en 1902 à la Revue trimestrielle de droit civil, de « paradoxale »100. Il y contestait la solution aboutissant « à ce résultat illogique et choquant de faire dépendre

la manifestation de la vérité de conditions différentes suivant la personnalité de ceux qui sont appelés à en bénéficier »101. Il défendait la thèse selon laquelle « la

circonstance que la femme désignée comme la mère de l’enfant était ou n’était pas, lors de son accouchement, engagée dans les liens du mariage, ne devrait entraîner aucune différence dans la théorie des preuves admissibles »102.

Il ne s’expliquait pas pourquoi les raisons avancées pour attacher foi, « jusqu’à

démonstration de sa fausseté, à la désignation de la mère faite par le déclarant »103 – à savoir l’absence d’intérêt à mentir et l’exposition à une sanction répressive en cas de fausse déclaration – cessaient d’être bonnes « lorsqu’il s’agi[ssai]t de la filiation

illégitime »104.

On justifiait la confiance accordée à la première déclaration par la considération que la naissance dans le mariage « est […] un fait honorable »105, que l’« on ne cherche pas

à cacher »106. A l’inverse, l’irrégularité de la situation de la femme qui accouchait en dehors du lien conjugal faisait présumer le souci de dissimuler ce fait et autorisait dès lors « à suspecter la déclaration émanée d’un tiers »107 : on pouvait en effet « redouter

les déclarations mensongères ou inexactes »108, rien n’étant plus aisé à altérer, selon d’AGUESSEAU, « qu’un acte de naissance » puisqu’« il se dresse par simple déclaration sans garantie de vérité ». « La preuve »109 de la maternité hors mariage « par l’acte de naissance [était donc] dangereuse »110 et devait être écartée.

A l’image d’Ambroise COLIN, nous ne pouvons que nous interroger sur l’avantage qu’aurait pu tirer une personne de sa fausse déclaration. « Nuire à la réputation de la

99

Séance du Conseil d’Etat du 26 Brumaire an X. Cité par A. COLIN, « De la protection de la descendance illégitime au point de vue de la preuve de la filiation », op. cit. note 18, p. 264.

100 Ibid., p. 263. 101 Ibid., p. 263. 102 Ibid., p. 263. 103 Ibid., p.p. 265-266. 104 Ibid., p. 266. 105 Ibid., p. 266. 106 Ibid., p. 266. 107

BEUDANT, LEREBOURS-PIGEONNIERE et BRETON, cités par A. PONSARD, « Sur quelques aspects de l’évolution du droit des actes de l’état civil », Mélanges R. SAVATIER, Dalloz, 1965, p. 792.

108 Ibid., p. 792. 109 Ibid., p. 792. 110 Ibid., p. 792.

mère ? »111. Ç’aurait été là « un résultat bien mince et qu’on n’[aurait guère cherché] à

atteindre en risquant la peine de la réclusion »112.

En fait, comme le dit si bien l’auteur, l’argumentation tenait du pur sophisme car,

« dire que la déclaration de l’accouchement d’une femme mariée doit être présumée exacte parce que cet accouchement est un fait honorable, c’est résoudre la question par la question, puisqu’il s’agit précisément de savoir si ce fait honorable a bien eu lieu »113.

Que la filiation s’inscrive ou non dans une union matrimoniale, la matérialité du fait à prouver est la même114. Il s’ensuit que, logiquement, le mode de preuve doit être identique. Quant au principe d’égalité entre l’homme et la femme, il ne saurait être pertinent ici : la paternité souffre d’un manque d’évidence physiologique que la maternité ne connaît pas, l’accouchement étant visible, contrairement à la conception.

Cependant, est-ce une raison pour n’offrir qu’une toute petite place à la volonté (qui s’exprimerait à travers l’absence d’objection de la mère à ce qu’elle soit mentionnée dans l’acte de naissance de l’enfant) dans l’établissement du lien maternel en dehors de l’engagement matrimonial, dont le consentement à ce dernier constitue un élément permettant de présumer de la volonté d’être mère ?

C’est que, au-delà d’une question d’équité entre celle qui a consenti à une union dont l’une des finalités est la venue d’enfants et celle qui n’a pas pris cet engagement, la règle énoncée à l’article 311-25 du Code civil semble parfaitement adaptée à notre société actuelle.

c) Une règle adaptée

Des auteurs ont fait valoir les risques, pour l’enfant dont la mère n’est pas mariée, de l’établissement de sa filiation maternelle par la simple désignation de celle-ci dans son acte de naissance.

Nous allons montrer en quoi ces arguments ne sont plus aussi pertinents de nos jours.

Dans sa chronique publiée en 1963, où il fustige la convention de Bruxelles de 1962 à propos de l’établissement de la maternité hors mariage par l’indication de la mère dans l’acte de naissance, René SAVATIER évoque « les résultats d’une première tentative

de suppression indirecte du droit des mères naturelles à garder, en fait, l’incognito, et à

111

A. COLIN, « De la protection de la descendance illégitime au point de vue de la preuve de la filiation », op. cit. note 18, p. 267.

112

Ibid., p. 267.

113

Ibid., p. 266.

114

A. DEBET, « L’influence de la Convention européenne des droits de l’Homme sur le droit civil », op. cit. note 20, p. 594.

se dispenser, par là, des charges normales de leur maternité civile »115 : une augmentation importante de la mortalité parmi ces enfants, dont par infanticides, et un accroissement des avortements.

Il souligne que si le droit français retenait la solution contenue dans le texte international, « tout déclarant de la naissance à l’état civil [pourrait] indiquer la mère

naturelle, sans son aveu, et faire ainsi, contre elle, la preuve de ses obligations maternelles »116. Ce déclarant pouvant être « un amant, un ancien amant, une personne

quelconque » de l’entourage de la femme ou bien encore « un fonctionnaire »117, il semble « extrêmement grave » à l’auteur que, « dans le simple désir d’imiter des pays

ayant d’autres réflexes sociaux que ceux qui se sont institués en France », on prenne « les risques auxquels l’administration française avait dû expérimentalement renoncer à la suite de l’enquête de 1834 »118, laquelle avait révélé l’accroissement des décès infantiles. Le professeur SAVATIER considère en effet, à l’époque où il écrit, que « ces

risques demeurent, encore qu’ils aient été atténués […] grâce aux allocations »119

versées à la mère après qu’elle ait volontairement reconnu son enfant, sans que cette aide pécuniaire soit toutefois suffisante à éviter les infanticides et les avortements.

« La règle […], transférant de la femme intéressée au déclarant de l’état civil la liberté de rendre ou non sa maternité publique et efficace », ne lui « parai[ssai]t [donc] pas opportune »120.

Mais René SAVATIER a écrit ces lignes au début des années 60, alors que les moyens contraceptifs n’étaient pas encore en plein essor (la pilule n’a été légalisée qu’en 1967) et que l’interruption volontaire de grossesse n’était pas légalisée (elle ne l’a été qu’en 1975). Les arguments qu’il avançait hier pour étayer sa thèse n’ont plus la même contenance aujourd’hui.

Premièrement, les hypothèses de maternité non voulue sont beaucoup plus rares que par le passé. Et pour la minorité qui ne désire pas assumer l’entretien et l’éducation de l’enfant, il existe, à côté de l’avortement, la possibilité d’accoucher dans l’anonymat ou de s’opposer à sa désignation dans l’acte de naissance.

Deuxièmement, même si la précarité touche davantage les femmes seules avec un ou plusieurs enfants à charge121, il en est qui, sans être mariées, vivent avec un homme, lequel est parfois le géniteur, de telle sorte que la venue de l’enfant est un projet parental partagé. En outre, et bien qu’il reste des progrès à faire en ce domaine, l’accès à l’emploi et à des fonctions importantes s’ouvre de plus en plus aux femmes.

115

R. SAVATIER, « Est-ce possible? », op. cit. note 85, p. 231.

116 Ibid., p. 231. 117 Ibid., p. 231. 118 Ibid., p. 232. 119 Ibid., p. 232. 120 Ibid., p. 232. 121

Quant aux infanticides, quelques précisions sur ce phénomène montreront en quoi l’adoption de l’article 311-25 n’engendrera pas une augmentation de leur nombre122.

Généralement, les femmes qui commettent un tel acte sont des femmes qui ont nié leur grossesse, à tel point que leur corps ne s’est pratiquement pas modifié ou très peu et que même les professionnels médicaux peuvent n’avoir rien décelé jusqu’à ce que la gestation parvienne à son terme. C’est ce qui explique qu’elles n’aient pas eu l’idée de recourir à une interruption volontaire de grossesse : pourquoi interrompre ce qui, pour elles, n’existe pas ? Niant être enceintes, elles n’ont pas préparé la venue de l’enfant, ni matériellement, ni surtout psychologiquement. Ces femmes n’ont pas imaginé l’enfant, elles n’ont fait aucune projection dans l’avenir à son sujet et elles ne l’ont pas inscrit dans l’histoire familiale, dans la généalogie. La naissance est par conséquent inattendue et la parturiente ne songe qu’à une seule chose : se débarrasser de ce qui l’embarrasse. Aussi agit-elle dans la précipitation, sans avoir réellement conscience de l’acte abominable, aux yeux de la société, qu’elle est en train d’accomplir.

Comment peut-on considérer que, dans de telles circonstances et dans un tel état d’esprit, la femme ait en tête les dispositions de l’article 311-25 du Code civil et qu’elle agisse dans le but d’échapper à leur application. Non seulement elle n’a pas pris le temps de réfléchir, étant dans une espèce d’état second, mais en plus elle n’a pas réalisé qu’elle venait d’accoucher et que ce qu’elle voyait était un enfant, son enfant.

Lorsqu’une femme a conscience de sa grossesse et qu’elle ne souhaite pas être mère, elle va plutôt opter soit pour un avortement, soit pour un accouchement sous X. L’infanticide n’est jamais prémédité.

Plus récemment, on a invoqué l’intérêt de l’enfant, par hypothèse non issu d’un couple marié, à ce que l’établissement de sa filiation maternelle ne résulte pas de la désignation de sa mère dans l’acte de naissance. Cet argument consistait à prétendre qu’en l’absence de lien juridiquement établi, un enfant est plus aisément adoptable. Il en résulte que faciliter cet établissement se révèlerait plus nuisible qu’utile.

La crainte d’empêcher des adoptions est illusoire, puisque les enfants dont la filiation est établie peuvent être adoptés dans les conditions édictées aux articles 347 et suivants du Code civil. En outre, « ce n’est pas sur un enlèvement d’enfant fait dans des

circonstances où la femme n’est guère en état de prendre des décisions éclairées que doit se construire un droit de l’adoption : il faut un vrai consentement, que celui-ci soit exprimé à travers le silence sur l’identité des parents ou à travers un consentement à l’adoption en bonne forme si la filiation a été établie »123,

L’établissement légal de la filiation maternelle par simple désignation de la mère, dans l’acte de naissance, est donc adapté « aux réalités de notre temps ». La solution

122

On recense une cinquantaine d’infanticides par an en France. Il existe cependant un chiffre noir.

123

P. MURAT, « L’égalité des filiations légitime et naturelle quant à leur mode d’établissement : jusqu’où aller ? », Dr. fam., 1998, chron. 14,p. 8.

s’est imposée progressivement, au terme d’un long cheminement durant lequel le rôle de la reconnaissance a subi une décroissance progressive.

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