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Une paternité vraisemblable au regard de la volonté de l’époux

§ I Une présomption fondée sur la forte probabilité

B) Une paternité vraisemblable au regard de la volonté de l’époux

La volonté du mari de la mère se manifeste en plusieurs lieux : d’abord par le consentement à l’union conjugale (1), ensuite à travers la règle légale permettant à celui qui découvre qu’il n’est pas le géniteur de l’enfant de contester la paternité établie au moyen de la présomption (2), enfin par l’admission de la désignation en qualité de père dans l’acte de naissance de l’enfant (3).

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Cass., civ., 28 juin 1869, D. Sirey, 1969, I, p. 445: « Si cet enfant naît légitime, quoique légalement

présumé conçu avant le mariage, ce n’est que par l’effet d’une fiction de la loi, qui suppose, de la part des parents, l’intention de lui conférer la légitimité par leur mariage postérieur à la conception, mais antérieur à la naissance ». La Cour de cassation en avait déduit que, s’agissant en quelque sorte d’une

légitimation implicite, les enfants conçus à une époque où l’un de leurs père et mère était engagé dans les liens d’un précédent mariage ne pouvaient invoquer la solution précédemment indiquée, compte tenu des règles qui, à l’époque, interdisaient la légitimation de ces enfants (art. 331, réd. 1804).

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C. civ., art. 314, al. 3.

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1 Le lien entre consentement au mariage et désir d’être père

A partir des textes existant à l’époque, Ambroise COLIN17 élabore, au début du XXème siècle, la théorie selon laquelle « le lien qui, dans le mariage, unit l’enfant au

mari de la mère, est créé par un acte de volonté »18. Il reconnaît lui-même qu’« il y a là

une idée qui, au premier abord, pourra heurter les données acquises. En effet, l’attribution des enfants au mari est traditionnellement considérée comme reposant sur une présomption ou plutôt sur une double présomption, celle de la cohabitation des époux et celle de la fidélité de la femme légitime, en d’autres termes sur la démonstration du fait de la procréation du père. Il nous semble cependant que cette analyse de la […] règle formulée par l’article 312 […] ne donne qu’insuffisamment raison d’un grand nombre des solutions consacrées par les textes ou par la jurisprudence, et qu’il y aurait avantage à chercher ailleurs le fondement de la paternité légitime »19.

Ambroise COLIN rejette l’idée que l’établissement automatique de la paternité à partir de la mère soit fondé sur une présomption de fidélité de la femme mariée ou bien encore sur le devoir de cohabitation entre époux. Et cela en raison du fait que, aujourd’hui20 comme hier21, non seulement l’enfant né dans les 179 premiers jours du mariage (donc certainement conçu avant, autrement dit à une époque où les devoirs matrimoniaux n’existaient pas encore) bénéficie de la présomption de paternité, mais également que l’adultère de l’épouse n’est pas légalement considéré comme une cause directe et suffisante du désaveu de paternité à l’époque, de la contestation de celle-ci de nos jours22.

L’auteur voit le fondement de la paternité « dans un acte de volonté, disons dans

une reconnaissance-admission anticipée que contient implicitement le mariage : par cet acte, le mari avoue, c’est-à-dire qu’il reçoit, qu’il admet d’avance, dans sa famille légitime, les enfants que sa femme mettra au monde par la suite, au moins quand cette procréation n’aura pas lieu dans certaines circonstances anormales, déterminées d’avance par la loi et donnant ouverture au désaveu »23.

Observons immédiatement que COLIN a élaboré sa théorie à une époque où, les expertises biologiques n’ayant pas encore connu leur essor, la conception masculine était recouverte d’un voile empêchant toute détermination certaine. Comme s’exclamait LAHARY devant le Tribunal en 1803, « la nature ayant couvert l’acte de la génération

17

A. COLIN, « De la protection de la descendance illégitime au point de vue de la preuve de la filiation », op. cit. note 6, p.p. 257-300.

18 Ibid., p. 283. 19 Ibid., p. 283. 20 Cf. c. civ., art. 312. 21 Cf. arrêt « Degas », préc. 22

Cf. c. civ., art. 332, al. 2.

23

A. COLIN, « De la protection de la descendance illégitime au point de vue de la preuve de la filiation », op. cit. note 6, p.p. 283-284.

des plus impénétrables mystères, la loi a été contrainte d’établir, à défaut de principe invariable, une présomption de droit qui devint la garantie d’un fait dont il était impossible d’acquérir autrement la certitude ». Au moment de la rédaction du Code

Napoléon, la paternité ne pouvait qu’être présumée. Celle-ci appartenant aux « secrets

d’alcôve », Ambroise COLIN a posé le postulat que seule la volonté de l’homme

pouvait créer le lien de filiation paternelle.

Il faut reconnaître que cette thèse pouvait se prévaloir de la réglementation de l’époque qui réservait la contestation, alors dénommée « désaveu de paternité », à l’époux. Or, le désaveu étant « un acte tout personnel »24, un « acte unilatéral de

rétractation de volonté »25, l’auteur en a conclu « que la volonté du mari [était] bien le

seul fondement juridique de la paternité légitime »26.

Mais dès lors que les textes prévoient que le lien paternel peut être contesté par d’autres personnes que le mari (personnes limitativement énumérées en présence d’une possession d’état27, tout intéressé en l’absence28), l’argument ne tient plus. En outre, il faut considérer les progrès réalisés dans le domaine scientifique, qui nous ont permis de passer de « l’impossibilité d’arriver à une démonstration objective du fait de la filiation

masculine » à la possibilité de rapporter la preuve, grâce à l’expertise biologique, qu’un

tel est le géniteur de l’enfant29.

On ne saurait donc invoquer, de manière exclusive, la volonté du mari pour justifier l’application à son endroit d’une présomption de paternité. Il ne s’agit pas de nier que celle-ci joue un rôle. En consentant au mariage, un homme s’engage non seulement auprès d’une femme, mais également envers les enfants qu’elle mettra au monde. Au cours de la cérémonie municipale, en effet, l’officier d’état civil donne lecture des articles 212 à 215 du Code civil. Parmi ces dispositions qui intéressent globalement les droits et devoirs respectifs des époux, il en est une qui concerne plus particulièrement les enfants : l’article 213 posant l’obligation légale de pourvoir à l’éducation des enfants et de préparer leur avenir30. Preuve que l’union conjugale est tournée vers la venue d’enfants. La plupart des couples qui contractent mariage projettent d’en avoir, et leur entourage s’attend à ce qu’ils en aient. « Le couple marié est […] par essence ouvert à

24 Ibid., p. 287. 25 Ibid., p. 290. 26 Ibid., p. 290. 27 Cf. c. civ., art. 333. 28 Cf. c. civ., art. 334. 29

Les résultats actuels des empreintes génétiques confèrent à la quasi-certitude avec des probabilités supérieures à 99,999 %.

30

la naissance des enfants »31. En cela le mariage pourrait être défini « comme attente

réfléchie de l’enfant »32.

Cependant, au-delà de cette idée de lien entre union conjugale et désir de procréation, il doit être tenu compte d’une certaine vérité dans la filiation. Si le législateur n’exige pas une certitude, il a toutefois adopté des règles destinées à ce que la filiation juridiquement établie par le biais de la présomption de paternité corresponde très probablement à la vérité des gènes.

2 Les liens génétiques en tant que cause objective d’engagement

Lorsque, avant 1972, la preuve contraire de la paternité du mari était administrée dans des conditions difficiles et relevait du monopole marital, la règle énoncée à l’article 312 était une véritable règle de fond. Il y était question de paix des familles. Le mariage, « pilier » de la structure sociale, impliquait la faveur de la loi pour la légitimité avec son corollaire : la hiérarchie des filiations.

Dès l’instant où l’on proclamait l’égalité de statut des enfants et que la paix des familles supportait mieux la vérité, la présomption de paternité pouvait être réduite aux situations où le lien biologique entre l’enfant et l’époux semble réel. C’est ainsi que de règle de fond, la vieille maxime est devenue une simple règle de preuve.

Partant du postulat selon lequel la plupart des femmes mariées conçoivent leurs enfants avec leur mari – d’autant que les couples adultères ne désirent point tellement avoir des enfants et que, de surcroît, les facilités nouvelles de la contraception et de l’avortement leur permettent de n’en point avoir ou presque – de nombreux auteurs confèrent un fondement empirique à la présomption de paternité, à savoir le cours ordinaire des choses. C’est ce qu’on appelle le « plerumque fit », qui signifie « la

plupart du temps », raccourci de l’expression latine « ex eo quod plerumque fit » : « à partir de ce qui se produit généralement ».

Allant plus loin dans cette réflexion, Daniel GUTMANN, dans sa thèse sur « Le

sentiment d’identité »33, considère que l’article 312 du Code civil relatif à la présomption de paternité légitime ne présume pas la vérité biologique, autrement dit, que le mari est le géniteur.

La règle selon laquelle « l’enfant d’une femme mariée a pour père le mari » présumerait qu’il existe une cause objective à l’engagement de l’époux, cette cause objective étant que ce dernier est bien le géniteur de l’enfant. La vérité biologique aurait ainsi pour rôle d’être la cause de l’engagement parental. Il est certain qu’elle est la toile

31

P. MOREAU, « Du couple à la famille ou la protection de l’enfant par la loi », La famille, le lien et la

norme (dir. G. EID), coll. ISF, Univ. cath. Lyon, 10 et 11 mai 1996, L’Harmattan, 1997, p. 92.

32

Ibid., p. 92.

33

D. GUTMANN, « Le sentiment d’identité : Etude de droit des personnes et de la famille », LGDJ, 2000.

de fond de l’ordonnancement relatif à la présomption de paternité. D’après Daniel GUTMANN, l’époux a entendu s’engager envers un enfant dont il serait le géniteur. S’il n’en est pas l’auteur biologique, il doit pouvoir faire valoir qu’il y a eu erreur sur la cause de son engagement. Le législateur prévoit une telle possibilité34.

Ainsi, lorsque l’on applique la présomption de paternité, il n’est nullement question du tout biologique, puisque d’autres considérations interviennent, notamment la volonté de l’époux de s’engager envers un enfant qu’il pense être le sien, les circonstances de la naissance35 de celui-ci n’admettant pas trop le doute.

Cette volonté, d’abord manifestée à travers le mariage avec la mère de l’enfant, trouve une confirmation dans la désignation dans l’acte de naissance en qualité de père.

3 La désignation dans l’acte de naissance en qualité de père

L’article 31436 du Code civil énonce que « La présomption de paternité est écartée

lorsque l’acte de naissance de l’enfant ne désigne pas le mari en qualité de père ».

La loi exige la désignation en qualité de père. Elle ne se contente plus de l’indication du nom du conjoint de la mère. Il s’agit là d’une consécration légale de la jurisprudence, selon laquelle l’inscription du nom du mari ne suffit pas : il faut que ce dernier soit désigné en qualité de père37.

La règle se justifiait déjà à l’époque par l’idée que, de manière générale, la mère prend soin d’indiquer le nom de son conjoint en tant que père de l’enfant lorsque celui-ci est bien issu de ses œuvres. La seule mention du nom de l’époux n’informe que sur l’existence d’un engagement matrimonial contracté par la mère, non sur la filiation de l’enfant. Elle ne peut donc faire preuve du lien paternel.

La condition de désignation en qualité de père s’impose encore plus aujourd’hui, au regard des textes adoptés en matière de dévolution du nom de famille38, qui ont pour effet que le nom n’est plus aussi significatif du lien de filiation.

Pour que la présomption s’applique, il faut donc, non seulement que l’enfant ait été conçu ou soit né au cours de l’union matrimoniale39, mais également que l’acte de naissance énonce explicitement que l’époux est le père.

34

C. civ., art. 332, al. 2.

35

C’est-à-dire en dehors des cas visés à l’art. 313 al. 1er c. civ.

36

Le projet de loi de ratification de l’ord. n°2005-759 du 4 juil. 2005 prévoit de réunir les hypothèses visées aux art. 313 et 314 dans l’art. 313 (v. Rapp. n°770 fait au nom de la commission des lois, 2 avr. 2008, www.legifrance.gouv.fr.).

37

Cass., civ. 1ère, 3 juin 1980 : « L’indication du nom du mari, au sens de l’article 313-1 du Code civil,

est l’indication du nom de celui-ci, dans l’acte de naissance, en qualité de père ». D., 1981, jurisp., p.p.

119-121, note J. MASSIP.

38

C. civ., art. 311-21 et suiv.

39

Or, il résulte de l’article 57 aliéna 1er du Code civil que la mention du nom des parents dans l’acte de naissance de l’enfant n’est nullement obligatoire. Si le mari n’est pas obligé d’y faire figurer son nom, il l’est encore moins quant à sa qualité de père. Ce qui signifie que s’il est désigné en qualité de père dans l’acte de naissance, c’est qu’il l’a bien voulu40. Il est en effet peu probable que la mention soit portée sans qu’il soit d’accord. Soit il aura tacitement exprimé son consentement en ne s’opposant pas à ce qu’il soit désigné dans l’acte en qualité de père, soit il aura expressément manifesté sa volonté en faisant même la déclaration de naissance à l’état civil et en procédant lui-même à la désignation.

En l’absence d’une telle désignation, la présomption de paternité ne sera pas pour autant écartée si l’enfant jouit de la possession d’état à l’égard du conjoint de sa mère. C’est ce qui résulte de la lecture a contrario de l’article 314 du Code civil, qui dispose :

« la présomption de paternité est écartée lorsque l’acte de naissance de l’enfant ne désigne pas le mari en qualité de père et que l’enfant n’a pas de possession d’état à son égard ». Pour que la présomption soit écartée, la loi exige deux conditions cumulatives :

à savoir l’absence de désignation dans l’acte de naissance et l’absence de possession d’état de l’enfant. Ce qui signifie que si l’un de ces éléments est présent, la présomption s’applique.

Il s’ensuit que le mari, en produisant un acte de notoriété établissant la possession d’état de l’enfant à son égard, pourra demander au président du tribunal de grande instance, par une simple action en rectification41, de compléter l’acte de naissance.

Le rôle important dévolu à la possession d’état, qui permet également le rétablissement de plein droit de la présomption42, s’explique par son lien étroit avec la vérité des gènes ainsi que par la considération du législateur pour les relations affectives. La possession d’état dépend en partie de la volonté du mari, surtout depuis qu’elle est davantage axée sur le traitement (que l’on pourra constater si l’époux a choisi de se comporter en père envers l’enfant) que sur le nom. Toutefois, elle ne s’y réduit pas. D’autres éléments entrent en ligne de compte, de telle sorte que le lien établi apparaît comme étant le vrai, qu’il le soit réellement ou non.

40

En ce sens, E. PAILLET, note TGI Nice, 30 juin 1976, GP, journal du 22 janv. 1977, p. 49 : « C’est

surtout au moment de la déclaration de l’enfant à l’état civil que la volonté des parents est déterminante,

[…] rien n’empêche le mari de demander à l’officier d’état civil de taire son nom dans l’acte de

naissance de l’enfant ».

41

Cf. c. civ., art. 99, al. 1er : « La rectification des actes de l’état civil est ordonnée par le président du

tribunal ». Et NCPC, art. 1047, al. 1er : « Le président du tribunal de grande instance a compétence pour

connaître de la rectification des actes de l’état civil […] ».

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