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Les garanties d’un aveu réaliste

§ I Une manifestation de volonté encadrée par la probabilité du lien reconnu

B) Les garanties d’un aveu réaliste

Dans son article publié en 1902136, Ambroise COLIN propose deux conceptions de la reconnaissance d’un lien de filiation en l’absence de mariage : la reconnaissance en tant que mode de preuve, la reconnaissance en tant qu’acte de volonté.

En tant que mode de preuve, la reconnaissance se rapprocherait de l’aveu. Elle constituerait la simple constatation d’un fait. Et c’est ce qui expliquerait pourquoi les effets de la filiation, une fois celle-ci établie, remontent au jour de la naissance.

En tant qu’acte de volonté, la reconnaissance serait en elle-même génératrice d’obligations.

e.

Cependant, l’auteur reconnaît que « l’aveu, lui aussi […], joue […], à beaucoup

d’égards, le rôle d’un acte de volonté »137. Il distingue alors entre : l’«

aveu-confession »138 qui intervient en matière répressive et qui est traité comme un mode de preuve ; et l’« aveu-admission »139 que l’on rencontre devant les juridictions civiles et qui a pour signification, non pas la reconnaissance d’un fait, mais la volonté de s’engager. Selon lui, c’est cette deuxième approche qui doit être retenue, car « il est

impossible de faire une démonstration directe » « du fait de la paternité »140. Reprenant une phrase du tribun LAHARY, il écrit : « La nature, sur ce point, n’a fait même à la

femme que des demi-confidences »141. Partant de ce constat, le législateur ne pouvait que parvenir à la conclusion suivante : entre le père et ses enfants, aucun lien ne peut être établi que par la volonté de l’homm

développement, dans le respect dû à sa personne. Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité ».

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C. civ., art. 371-2 : « Chacun des parents contribue à l’entretien et à l’éducation des enfants à

proportion de ses ressources, de celles de l’autre parent, ainsi que des besoins de l’enfant. Cette obligation ne cesse pas de plein droit lorsque l’enfant est majeur ».

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C. civ., art. 62, dernier al. : « Lors de l’établissement de l’acte de reconnaissance, il sera fait lecture à

son auteur des articles 371-1 et 371-2 ».

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A. COLIN, « De la protection de la descendance illégitime au point de vue de la preuve de la filiation », op. cit. note 6, p.p. 257-300.

137 Ibid., p. 274. 138 Ibid., p. 275. 139 Ibid., p. 275. 140 Ibid., p. 283. 141 Ibid., p. 283.

Et c’est bien ce qui semblait se dégager des règles instituées à une époque où la science ne permettait pas encore de se prononcer sur la paternité biologique.

Parmi celles-ci figurait la diminution de droits frappant les enfants hors mariage, lesquels ne pouvaient prétendre à une égalité avec les enfants issus de l’union conjugale de leur père. Or, comme l’énonce parfaitement Ambroise COLIN, si la reconnaissance effectuée au cours de l’union matrimoniale ne pouvait remettre en cause l’engagement précédemment et implicitement pris par l’auteur de la reconnaissance, en se mariant, de ne pas porter atteinte aux droits auxquels son épouse et leurs enfants communs pouvaient prétendre du fait de l’union conjugale, c’est que l’on était bien en présence d’un acte de volonté142.

Mais dès l’instant que l’on reconnaît, comme c’est le cas depuis 1972, les mêmes droits aux enfants hors mariage dont la filiation est établie qu’aux enfants inscrits dans cette union légale, droits qui, par conséquent, sont susceptibles de porter atteinte aux avantages résultant, pour le conjoint et les enfants anciennement dits « légitimes », du mariage, on ne peut qu’en déduire, si on suit le raisonnement de COLIN, qu’il ne s’agit plus d’une reconnaissance-admission, autrement dit d’un acte de volonté, puisque les droits de l’enfant non issu de l’union conjugale (sous réserve que cet enfant ait été reconnu) ne fléchissent plus devant l’engagement contracté après sa naissance par l’auteur de la reconnaissance envers une tierce personne.

Afin d’asseoir un peu plus sa théorie, le juriste tient aussi le raisonnement suivant :

« Si notre loi, lorsqu’il s’agit de la filiation naturelle, avait envisagé la reconnaissance volontaire du père comme un mode de démonstration, et qu’elle l’eût considérée comme le seul d’où résulte quelque certitude, elle se fût par trop mise en contradiction avec le bon sens et la vérité. Et, en effet, si la reconnaissance paternelle est un aveu […], une confession, il y a tant d’autres modes de preuve d’où résulte une confession de valeur égale ou même supérieure, les écrits privés par exemple, si on les suppose réitérés et formels, ou mieux encore la possession d’état !. Nous préférons croire que la loi, lorsqu’il s’agit de la paternité naturelle, a écarté toute preuve quelconque, qu’elle a abandonné complètement le système de la reconnaissance-confession pour s’en tenir à celui de la reconnaissance-admission ou de l’acte de volonté »143.

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L’auteur l’énonce lui-même en ces termes : « Si la reconnaissance [intervenue au cours du mariage]

n’est que la constatation d’un fait duquel découlent tous les droits de l’enfant naturel, comment faire fléchir ces droits devant un contrat passé, depuis, avec un tiers ? […] Dans le système de la reconnaissance-confession, […] c’est l’enfant naturel (qu’il faut nécessairement supposer conçu avant le mariage) qui […] se trouve posséder des droits acquis auxquels le mariage futur de son auteur ne saurait porter atteinte. […] Avec l’idée de la reconnaissance-admission […], on pourra considérer qu’en se mariant, chaque conjoint a contracté envers l’autre l’engagement implicite de ne point porter atteinte, par un acte ultérieur de sa volonté, aux avantages que lui ou ses enfants légitimes à naître attendent du mariage ». Ibid., p.p. 278-279.

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Le raisonnement valait d’autant plus que, auparavant, il était interdit d’agir en justice afin d’établir la paternité hors mariage. Cependant, la loi faisait exception lorsqu’il y avait eu enlèvement ou viol de la mère, ce qui, déjà, était quelque peu contradictoire avec la thèse défendue par Ambroise COLIN.

Et nous savons que, depuis la loi du 16 novembre 1912, cette action est rendue possible. Certes, elle était au début très encadrée. Mais il n’en reste pas moins qu’un homme non marié pouvait voir sa paternité établie contre son gré. En outre, parmi les cas d’ouverture limitativement énumérés dans la première version de l’article 340 du Code civil, celui « des lettres ou autre écrit émanant du père prétendu, propres à établir

la paternité d’une manière non équivoque » fait penser aux écrits privés réitérés et

formels dont parle Ambroise COLIN.

Quant à la possession d’état, elle pouvait non seulement être utile à l’engagement de l’action de l’article 340, mais elle est devenue un mode autonome d’établissement de la filiation paternelle. L’argument de l’auteur ne tient donc plus.

Par ailleurs, dès 1912, on commence à percevoir, à travers les cas d’ouverture de l’action en recherche de paternité, un souci de vraisemblance dans le droit de la filiation qui vient concurrencer l’idée de volonté. Si l’action était permise, c’est que dans de telles hypothèses la paternité était fortement probable. Et si elle n’existait pas en dehors de ces situations biens définies, c’est parce que le droit ne disposant pas des moyens scientifiques propres à établir avec certitude qu’un tel est ou n’est pas le géniteur, il était nécessaire de ne permettre l’établissement forcé de la paternité que lorsque celle-ci paraissait vraie.

Avec l’avancée de la génétique, une libéralisation de l’action en recherche s’imposait logiquement, ce que fit la loi du 8 janvier 1993. Cependant l’article 340, dans sa nouvelle rédaction, exigeait, pour la recevabilité de l’action, des présomptions ou indices graves144. Peu à peu abandonnée par la pratique jurisprudentielle, cette exigence a aujourd’hui disparu de nos textes, puisque l’article 327 du Code civil se contente d’énoncer en son alinéa 1er que « la paternité peut être judiciairement déclarée ». Il suffira au demandeur de rapporter la preuve que celui qu’il désigne comme étant son père est bien son géniteur.

On doit toutefois reconnaître que la volonté est présente dans l’acte de reconnaissance, puisque l’homme non marié peut décider de s’abstenir. Seulement, il s’exposera à l’exercice d’une action en recherche de paternité.

Autre preuve que l’établissement légal du lien de filiation paternelle ne résulte pas uniquement de la volonté mais dans une certaine mesure de la vraisemblance de la paternité : le fait que la simple dénégation, même formulée en accord avec la mère, est

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C. civ., art. 340 (L. n°93-22 du 8 janv. 1993) : « La paternité hors mariage peut être judiciairement

insuffisante à faire tomber la reconnaissance paternelle. Expressément énoncée par la Cour de cassation, dans un arrêt du 16 juin 1992145, la solution figure implicitement à l’article 332 alinéa 2 du Code civil, qui exige que soit rapportée « la preuve que l’auteur

de la reconnaissance n’est pas le père ».

Enfin la loi ouvre la possibilité, aux articles 332 alinéa 2 et 336 du Code civil, de contester la sincérité de la reconnaissance en rapportant la preuve du caractère mensonger de celle-ci.

Le premier de ces textes dispose : « la paternité peut être contestée en rapportant la

preuve que […] l’auteur de la reconnaissance n’est pas le père », le second : « la filiation légalement établie peut être contestée par le ministère public si des indices tirés des actes eux-mêmes la rendent invraisemblable […] »146. On peut par exemple envisager que les intéressés aient le même âge ou un âge trop proche pour que l’un ait pu concevoir l’autre147. Les juges ont même eu à se prononcer sur des cas où l’auteur de la reconnaissance était plus jeune que celui visé par l’acte148. La reconnaissance effectuée par une personne transsexuelle subira un sort identique149. Dans de telles hypothèses, le lien établi n’est pas réaliste. Il ne fait aucun doute que le père légal n’est pas le véritable géniteur150.

Nous ne prétendons pas que les règles exposées suffisent à endiguer le phénomène des reconnaissances mensongères. Celles-ci existent et ne sont pas près de disparaître.

D’ailleurs, elles n’ont pas que des effets négatifs car elles peuvent concerner un enfant dont le géniteur se désintéresse totalement tandis que l’auteur de la reconnaissance partage une vie commune avec la mère et une relation filiale avec l’enfant. L’acte permettra d’officialiser la situation et de simplifier l’organisation de la vie quotidienne, en particulier au regard de l’exercice de l’autorité parentale et des rapports avec les tiers.

145

Cass., civ. 1ère, 16 juin 1992, Bull. Civ., I, n°183.

146

Le projet de loi de ratification de l’ord. du 4 juil. 2005 (op. cit. note 36) prévoit d’introduire un art. 336-1 afin de préciser la procédure applicable devant l’officier d’état civil au cas où un conflit de paternité s’élèverait : « Lorsqu’il détient une reconnaissance paternelle prénatale dont les énonciations

relatives à son auteur sont contredites par les informations concernant le père que lui communique le déclarant, l’officier de l’état civil compétent en application de l’article 55 établit l’acte de naissance au vu des informations communiquées par le déclarant. Il en avise sans délai le procureur de la République qui élève le conflit de paternité sur le fondement de l’article 336 ».

147

L’Instruction générale sur l’état civil n°307 prescrit aux officiers de l’état civil de refuser d’enregistrer les reconnaissances s’il n’y a pas une différence d’âge d’au moins 12 ans entre l’enfant et l’auteur de la reconnaissance.

148

Cass., civ. 1ère, 16 mars 1999, D., 1999, jurisp., p. 651.

149

Cass., civ. 1ère, 18 mai 2005, Bull. Civ., I, n°218.

150

On peut aussi concevoir l’application de la disposition au cas de reconnaissances multiples souscrites par un même individu, dans le but de faire acquérir à des étrangers la nationalité française. Il s’agira ici, pour le procureur de la République, d’invoquer une fraude à la loi sur la nationalité.

Toutefois, les choses ne se déroulent pas toujours aussi bien et il n’est pas du rôle du droit d’encourager les reconnaissances de complaisance, seule l’adoption ayant vocation à créer légalement un lien non biologique.

Comme pour la paternité en mariage, Ambroise COLIN voyait dans l’établissement de la paternité hors mariage un acte de volonté.

Aujourd’hui encore, la reconnaissance manifeste l’acceptation de la création d’un lien juridique avec un enfant, cette création ouvrant un avenir et inscrivant l’enfant dans la généalogie de l’auteur de l’acte. Mais elle constitue dans le même temps l’aveu d’un lien biologique supposé. Elle a donc un effet de « certification » en ce que, par la reconnaissance, un homme « certifie l’existence d’une situation qui le concerne et

accepte officiellement qu’elle puisse avoir effet même contre lui »151.

L’objectif poursuivi par le législateur, en instituant les règles relatives à la reconnaissance, est de permettre au véritable géniteur, qui ne bénéficie pas de l’application d’une présomption de paternité, de faire reconnaître sa paternité. C’est ce qui justifie que l’époux, bénéficiant d’une telle présomption, ne soit pas légalement admis à reconnaître l’enfant qu’il aurait conçu avec sa femme.

En revanche, la nécessité d’une reconnaissance pour établir la filiation de l’enfant dont la conception résulte d’un procédé technique faisant intervenir un tiers donneur ne s’explique pas, puisqu’il ne s’agit plus ici de faire reconnaître un lien de sang fortement probable, mais d’établir un lien juridique que l’on sait faux d’un point de vue biologique.

§ II Des règles d’établissement de la paternité réservées à l’homme

non marié

L’analyse des textes et de leur organisation amène à conclure que la reconnaissance ne concerne pas l’établissement de la paternité s’inscrivant dans l’union conjugale (A).

Or le législateur prévoit, pour établir la filiation en cas de procréation médicalement assistée, l’application des mêmes règles que celles relatives à l’établissement de la filiation résultant d’une procréation sans assistance médicale. Il en résulte une différence de traitement entre le concubin et l’époux, qui ne saurait se justifier dès lors qu’il y a eu intervention d’un tiers donneur (B).

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