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Séduction, désir, un cinéma de l'être et non pas de l'avoir

Partie II : Oser faire un pas de côté

Chapitre 4 : Étude de la filmographie de Q Tarantino, mise en scène du Genre

3. Dynamique des interactions

3.1. Séduction, désir, un cinéma de l'être et non pas de l'avoir

3.1.1. L'hétérosexualité comme norme

La sexualité est le grand « non-vu » du cinéma de Tarantino mais les personnages féminins comme masculins parlent beaucoup de sexualité. Nous avons déjà évoqué la scène inaugurale de Reservoir Dogs dans laquelle les personnages débattent du sens de la chanson Like a Virgin mais il y également les filles dans Death Proof qui abordent à plusieurs reprises le sujet. Ainsi quand le premier groupe de filles est en voiture au début du film, il s'agit pour Julia et Shanna de faire dire à Arlène ce qui s'est passé entre elle et Nate, le garçon avec lequel elle avait rendez vous la veille. Et les questions de Julia et de Shanna portent clairement sur le plan de la sexualité : « Et qu'en est-il de ce que tu as pu faire avec lui ? « Habillé, à moitié habillé ou nu ? » « Donc tu étais allongée avec Nate, sur le canapé, c'est ça ? » « Qui était au-dessus ? » 553 Et quand elles parlent d'un autre homme, c'est pour dire : « Jessie a un énorme sexe ! »554. Quant au second groupe de filles, on les retrouve en voiture également et le sujet est à nouveau la sexualité, celle de Lee qui a eu une histoire avec un nommé Bruce : « Le prochain truc à faire après celui-là, c'est sûrement de le sucer ! »555 ou celle d'Abernathy à qui Kim demande crûment : « Où est-ce que vous baisez ? »556, celle de Kim est également évoquée : « Pas de coucherie pendant ce voyage! »557 dit-elle car elle a un petit ami et qu'elle veut lui rester fidèle. La sexualité est également évoquée dans Pulp Fiction. Quand Vincent se rend chez son dealer, Lance, il discute rapidement avec Jodie, la femme de celui- ci qui a des percieng sur tout le corps : « Cinq dans chaque oreille. Un dans le mamelon sur mon sein gauche. Un dans ma narine droite. Un à travers le sourcil gauche. Un dans mon clito. Et je porte un clou sur la langue. »558 Cela surprend beaucoup Vincent : « Je suis curieux mais à quoi ça

sert, le clou sur la langue ? »559. Jodie répond : « C'est un truc sexuel. C'est pour la fellation »560. La sexualité apparaît à chaque fois comme étant hétérosexuelle et un mode de domination masculine. Le piercieng de Jody dont nous venons de faire mention est là pour augmenter le plaisir de l'homme ; Abernathy dans Death Proof se dit trompée par son compagnon : « Il a couché avec elle le jour de mon anniversaire ! »561 et à la question « Pourquoi a-t-il couché avec Darryl

Hannah ? », Kim répond : « Parce que c'est un homme ! »562 Kim semble considérer qu'il est dans la nature de l'homme de tromper, ce qui correspond à l'idée que les hommes auraient plus de besoins sexuels à satisfaire que les femmes, d'où la multiplication de leurs conquêtes. La femme-objet sexuel aux mains des hommes est mise en scène à plusieurs reprises dans le cinéma de Tarantino. Beatrix est violée par l'infirmier Buck qui la vend également à d'autres hommes. Dans Kill Bill Volume 1, le viol est d'ailleurs mis en scène. Beatrix, dans ce début de film, est une femme soumise

553 « How 'bout enlightening us on what you did do? », « Dressed, half-dressed or naked? », «So you're making out with Nate on the couch, right? », « Who was on the top? «

554 « Jessie 's got a big dick »

555 « The next job after this is définitely gonna suck »

556 « Where you two fucking?»

557 « No dick this trip ! »

558 « Five in each ear. One though the nipple on my left breast. One through my right nostril. One through ly left eyebrow. One in my clit. And I wear a stud in my tongue. »

559 « I'm curious, why would you get a stud in your tongue ? »

560 « It's a sex thing. It helps fellation. »

561 « He fucked her, on my birthday!»

puisqu'elle est plongée dans le coma et un infirmier en profite. Peu après qu'elle se soit réveillée, celui-ci accompagné d'un autre homme pénètrent dans sa chambre. Comme elle n'a pas d'autre solution, Beatrix ne bouge pas. Les deux hommes ne se doutent donc pas qu'elle est réveillée mais nous, spectateurs et spectatrices, le savons très bien. Elle va entendre tout ce qui se dit. Les deux hommes se placent au pied de son lit. La soumission du personnage féminin est totale : elle est immobilisée, privée de parole et elle va être « consommée » par le regard des deux hommes avant de l'être physiquement. Ils sont tous deux barbus et paraissent particulièrement virils. Ils observent Beatrix. Puis l'infirmier prend la parole : « C'est 75 dollars le coup mon gars. Alors tu veux toujours la fourrer ? » 563 Il utilise Beatrix comme une prostituée. Il n'a aucune morale et profite de

l'immobilité de la malade pour la livrer à des hommes. Il ne voit en elle qu'une « tuyauterie »564 et

non plus une femme. Elle est réduite à un rôle de poupée gonflable, un objet sexuel que l'on peut prêter ou louer. On comprend que ce manège doit durer depuis que la jeune femme est là et qu'elle a donc été violée à maintes reprises. En réalité, la scène du viol ne sera pas montrée car Beatrix, qui est en fait réveillée, va se débarrasser violemment de l'homme. L’agression n'aura pas lieu cette fois mais il est sous-entendu qu'elle a eu lieu bien d'autres fois auparavant or « La vulnérabilité

physique se traduit facilement par la violence sexuelle du viol.»565 Cette femme a donc été abusée à

de multiples reprises par plusieurs hommes dont cet infirmier, caricature du macho. Quand il est filmé dans le couloir de l'hôpital revenant vers la chambre, il croise une infirmière et va se retourner pour regarder ses fesses. Plus tard, on verra qu'il a un tatouage sur les doigts d'une main, le mot « fuck » et sa voiture est surnommée le « Pussy Wagon ».

De même mais sans violence, les filles du premier groupe de Death Proof sont toutes fortement érotisées parce qu'elles sont des objets de désir pour le prédateur sexuel, Stuntman Mike. Les esclaves dans Django Unchained sont évidemment aussi des esclaves sexuelles. Ainsi on voit que Candie ne trouve rien à redire à l'idée d'offrir une de ses esclaves au docteur Schultz quand il le reçoit chez lui.

La filmographie tarantinienne met donc en scène majoritairement des relations sexuelles hétéronormées et qui reproduisent les schémas habituels de la domination masculine.

3.1.2. Autres sexualités

L'homosexualité si elle n'est pas majoritaire, est tout de même abodée par le cinéma tarantinien. L'épisode de la montre de Butch dans Pulp Fiction, en est un exemple. Lors qu'il s'apprête à quitter l'hôtel avec sa petite amie Fabienne, Butch s'aperçoit que celle-ci a oublié de prendre sa montre en or dans leur appartement. Or Butch tient particlièrement à cet objet, qui serait le seul héritage qu'il ait reçu de son père, la montre ayant aussi appartenue d'ailleurs à son grand-père. Et elle est parvenue jusqu'à Butch dans d'étranges circonstances. Alors qu'il avait cinq ans, ce qu'un flash-back du film nous montre, un lieutenant de l'armée américaine, le lieutenant Koons est venue la lui ramener en lui racontant que son grand-père pendant la guerre avait gardé cette montre cachée dans son anus et que bien des années plus tard, le père de Butch, prisonnier pendant la guerre du Vietnam, avait fait de même. Thomas Dutoit dans son article, « Homo-hetero-phony-graphy: on Quentin Tarantino’s Pulp Fiction» analyse donc cette montre comme « un symbole (d'une crainte macho de la stérilité, d'une forme de jalousie envers les femmes, d'une crainte masculine de l'homosexualité) surdéterminé et de type palimpseste »566. Dans ce même film, on voit Marcellus

563 « The price is seventy five dollars a fuck gentlement, you gittin your freak on or what?»

564 « her plummin »

565 Tasker Yvonne, « Criminelles : Thelma et Louise et autres délinquantes », Ibid., p.95.

566 « an over-determined, palimsested symbol (of a macho fear of sterility, of male jealousy of women, of male fear of homosexuality).», Dutoit Thomas, « Homo-hetero-phony-graphy: on Quentin Tarantino’s Pulp Fiction », Études anglaises, 2003/8, vol n°61, p.340-349.

Wallace se faire violer par un policier et dans The Hateful Eight, on assiste à une scène de soumission par la sexualité : le chasseur de prime Marquis Warren oblige un soldat de l'armée ennemie à lui faire une fellation. L'homosexualité est donc évoquée à plusieurs reprises même si elle est montrée comme une pratique visant plus à la soumission du partenaire que comme une véritable relation sexuelle à proprement parler. Elle reste marginale.

Tarantino met également en scène les marges de la sexualité hétéronormée. Il est effet question de voyeurisme dans Death Proof. Le prédateur possède ses proies par le regard avant de les aborder. On voit qu'il les suit, qu'il les observe et il les prend même en photo. L'importance du regard est soulignée par le fait que Stuntman Like dans une des scènes où il suit les filles, regarde ses propres yeux dans le miroir du pare-soleil et il se met des gouttes dans les yeux. Il est question aussi de sadisme dans Reservoir Dogs : dans une scène, un des gangsters, Mister Blonde va torturer un policier Marvin Nash qu'il a pris en otage. Mister Blonde commence par attacher le policier à une chaise puis il met la radio en marche et il dance avec nonchalance sur un titre qu'il dit particulièrement aimer, « Stuck in the middle with you »567. Puis, brusquement, il s'approche de sa victime et lui tranche une oreille. Il est question de fétichisme dans Death Proof où Stuntman Mike montre une prédilection pour les pieds des femmes. Une scène nous le montre rôdant autour de la voiture des filles, s'approchant et reniflant les pieds d'Abernathy puis les frôlant. Enfin, il est question aussi de sado-masochisme dans Pulp Fiction. Le personnage énigmatique du policier, Zed, celui qui va sodomiser Marcellus Wallace, est accompagné d'un autre personnage tout aussi étrange surnommé « The Gimp »568, entièrement habillé de latex noir, y compris sous forme de masque intégral sur son visage. Il est attaché par de grosses chaînes et est totalement soumis à Zed.

Voyeurisme, fétichisme, sadisme, sado-masochisme, relations hétérosexuelles (pour celles qui sont mises à l'écran : Butch et Fabienne dans Pulp Fiction, Goebbels et sa maîtresse dans Inglourious Basterds, Louis et Mélanie dans Jackie Brown) ou homosexuelles (pour celles qui sont mises à l'écran : la sodomie de Marcellus par Zed dans Pulp Fiction, la fellation du major Marquis Warren par le fils du vieux général Sudiste Smithers dans The Hateful Eight), la sexualité est vraiment abordée sous des formes multiples dans les films de Tarantino mais elle est finalement peu montrée, quelques courtes scènes seulement, équivalent à quelques minutes de film sur la totalité des huit longs-métrages.

3.1.3. Le désir

Si elle est beaucoup discutée et peu filmée, la sexualité est donc tout de même présente mais dans une moindre mesure parce que le cinéma de Tarantino est un cinéma qui fonctionne surtout sur l'idée du désir. « Le thème du désir est cinématographiquement l'un des plus riches »569 note Bérénice Reynaud. Les personnages se désirent mais se possèdent rarement chez Tarantino. Dans Jackie Brown par exemple, la relation entre Max et Jackie est en ce sens emblématique. La scène où Max et Jackie se retrouvent chez l'hôtesse afin que celle-ci lui rende le revolver qu'elle lui a volé pourrait ressembler à une scène où deux personnages se rencontrent et tombent amoureux. Max observe, fixe très souvent Jackie. Il la regarde car elle lui plaît. Et c'est un processus traditionnel car « Les signifiants cinématographiques s'organisent autour de la détermination phallique du regard : ce qu'un homme voit, il le veut, ce qu'il veut, il le prend. »570 comme le note B. Reynaud. Maladroitement, il la complimente : « Ils sont magnifiques !»571, en parlant de ses cheveux ou

567 Stuck in the middle with you, chanson de Stealers Wheel, sortie en 1972. 568 « Le soumis » que l'on pourrait également traduire par « La chose ».

569 Reynaud Bérénice, « Les nuits de pleine lune : comment représenter l'impasse sexuelle ? », Ibid., p.151. 570 Reynaud Bérénice, Ibid., p.151.

encore peu après : « Vous n'êtes pas vieille, vous êtes superbe ! »572. Il lui dit ouvertement qu'il la trouve belle et elle sourit, un peu gênée. Avant de s'asseoir avec lui à la table de la cuisine, Jackie propose à Max de mettre de la musique. Elle choisit un morceau des Delfonics, un groupe de soul de Philadelphia, très populaire à la fin des années 60 et au début des années 70. La chanson qu'elle met s'intitule Didn't I (Blow your mind this time), une chanson d'amour mais un amour qui se termine puisqu'un homme quitte une femme, un amour malheureux. Entre Jackie et Max, un amour aurait pu naître car on sent que ces deux personnages s'apprécient énormément mais c'est un amour impossible. Jackie et Max passent tout le film à se séparer et à se retrouver. Quand ils ne sont pas ensemble, ils se téléphonent, se joignent par leur bipeur, se laissent des messages sur le répondeur. Max va aller acheter une cassette des Delfonics et l'écouter en voiture. Donc même quand ils sont séparés, on voit qu'ils font tout pour rester en lien. Puis il y a les moments où ils se retrouvent : par hasard parfois, comme lorsque Jackie est au centre commercial avec Ordell et que Max la croise alors qu'il sort du cinéma; ou parce qu'ils se donnent rendez-vous. Mais ils ne parviennent pas à passer un certain cap. A aucun moment, ils ne se touchent sauf à la dernière minute du film où ils échangeront un baiser mais qui sera leur baiser d'adieu. C'est comme s'ils s'étaient rencontrés trop tard. Jackie et Max auraient pu vivre une histoire d'amour mais il n'en sera rien. Leur relation va rester au stade du désir réciproque. « Et quel est le meilleur moyen de représenter le désir ? Par son échec. »573 écrit encore B. Reynaud. Leur situation est emblématique de ce que le cinéma de Tarantino donne à voir du couple.

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