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Réception, du professionnel au profane en passant par la figure du cinéphile

Partie I : « Déplacer la focale des images vers leur réception »

Chapitre 1 : Le cinéma, média social communicationnel

1. Cinéma et études de réception, état de la question

1.4 Le dialogue du cinéma avec ses publics

1.4.5 Réception, du professionnel au profane en passant par la figure du cinéphile

Quant à la question du « Qui évalue les films ? », cela permet d'opérer un autre classement des publics, du professionnel au profane. Du côté des professionnels, différentes études ont été consacrées aux critiques de cinéma dont Jean-Pierre Esquenazy dit : « Le rôle des critiques est

souvent essentiel », ce qu'il précise ensuite : « Dans les arts majeurs, il est même décisif (…). Mais même dans le cas d'un art mineur comme le cinéma, l'influence des critiques a souvent été déterminante. James Agec et Andrew Sarris aux États-Unis ou Les Cahiers du Cinéma en France

132 Lahire Bernard, La culture des individus, Dissonances culturelles et distinction de soi, Ibid., p.603. 133 Scarpetta Guy, L’Impureté, Paris, Grasset Figures, 1985, p.76.

ont eu une influence très importante sur la production et sur une part du public. »134

On sait malgré tout que de nos jours l'information sur le web avec des sites comme AlloCiné est bien plus diverse et influente que les revues spécialisées comme Les Cahiers du Cinéma ou

Positif135.

Un autre type de public en lien avec le précédent et qui, sans être forcément professionnel au départ en tout cas, peut être considéré comme spécialiste, est constitué par les cinéphiles dont Christian- Marc Bosseno écrit : « Le spectateur historique le mieux connu aujourd'hui est sans nul doute le

cinéphile. »136 C'est une figure intéressante du spectateur de cinéma mais qui n'est pas sans poser

problème car elle demeure une figure originale : « L'amateur véritable n'entend pas être un

spectateur ordinaire, mais au contraire se démarquer du gros du public. »137 Pour autant, le

cinéphile est un spectateur qui a cela de particulier qu'il est facile de le circonscrire à un groupe, les cinéphiles, caractérisé par leur passion commune, la cinéphilie. Celle-ci est particulièrement bien décrite par Antoine de Baecque et Thierry Frémaux par exemple dans leur article : La cinéphilie ou

l'invention d'une culture138. Les deux auteurs prouvent que la cinéphilie, qu'ils définissent comme « cette vie qu'on organise autour des films »139 ou comme « une manière de voir les films, d'en parler puis de diffuser ce discours »140 est une représentation du monde social. Elle est héritière des Salons

de peinture de l'Ancien Régime avec lesquels elle partage « une sociabilité du regard et un esprit

critique »141 mais surtout, en France, la cinéphilie a eu cela de bien particulier qu'elle a donné

naissance à toute une génération de critiques de cinéma. Plus précisément c'est la cinéphilie parisienne des années 50 qui est devenu « un lieu original – le seul au monde à vrai dire - de

légitimation culturelle du cinéma. »142

Reste que le « spectateur-lambda » du film existe aussi et qu'il évalue également ce qu'il regarde, à sa manière : « Tout film donne lieu à une lecture, une interprétation et par conséquent à un

parcours personnalisé. »143. Ce spectateur existe bel et bien. Enfermé dans sa catégorie de

« public », que le terme soit au singulier ou au pluriel, il demeure comme un « être énigmatique » qui « n’est pas localisable dans un corps mystique, étatique ou civique. Son incarnation dans une

sorte d’ « hyper-organisme » aux milliers de têtes, d’ yeux et de mains, le fait pourtant parfois précipiter en un « sujet collectif ». On dit du public qu’il traverse des épreuves. Qu’il a une capacité de sentir et de ressentir. Qu’il s’émeut, expérimente, subit et agit. Le public est alors réifié comme le « support » de l’expérience publique, de l’esprit public, de l’opinion publique ou du jugement public. Cette entité n’est rien d’autre qu’un artifice symbolique »144 qu'il faut donc

s'attacher à approcher autrement.

Quoi qu'il en soit, il est cependant indéniable qu'il existe « un public » ou « des publics » de cinéma

134 Esquenazy Jean-Pierre, Sociologie des publics, Ibid., p.103.

135 Pour comparaison : AlloCiné, site spécialisé en cinéma, affiche 9 743 000 vues en février 2015 (Chiffres Médiamétrie/Netratings, 2015), Les Cahiers du Cinéma ont eu pour la période 2015/2016 une diffusion de 18 232 numéros vendus (Chiffres ACMP.fr).

136 Bosséno Christian-Marc, « La place du spectateur », Vingtième Siècle, Revue d'Histoire, n°446, avril-juin 1995, p.152.

137 Ibid., p.153.

138 De Baecque Antoine, Frémaux Thierry, « La cinéphilie ou l'invention d'une culture », Vingtième Siècle, revue d'Histoire, Ibid., p.133-142.

139 Ibid., p.133. 140 Ibid., p.134. 141 Ibid., p.135. 142 Ibid., p.142.

143 Guéneau Catherine, « Du spectateur à l'interacteur ? », MédiaMorphoses, n° 18, 2006, INA, p.72.

144 Céfaï Daniel, Pasquier Dominique, Les sens du public, publics politiques, publics médiatiques, Presses Universitaires de France, 2003, p.14.

comme « il existe bel et bien un public des médias qui répond à un certain nombre de critères145. ».

Nous l'avons démontré, le premier de ces critères est l'existence d'un lien social entre les individus d'un même public, lien social tissé par l'objet filmique lui-même. Le public « constitue d'abord un

milieu (il engage des relations de sociabilité) qui témoigne d'une capacité de délibération et qui procède à des présentations de soi »146. Il a également en commun un certain nombre de références

culturelles « en référence à un univers partagé »147, pour ce qui nous concerne un univers

cinématographique, références qu'il partage sous forme de discours divers, des plus élaborés et cultivés pour les critiques ou les cinéphiles, à des jugements de goûts personnels pour le reste du public. « Mais ce public n'est jamais une entité pure et parfaite »148 dit encore Rémy Rieffel. Il

poursuit : « Sa fragilité, sa fugacité relativisent sa substance et sa consistance, comme le fait

remarquer Daniel Dayan, c'est un « presque-public ». Ce public se présente donc sous de multiples facettes et demeure encore aujourd'hui partiellement mystérieux. »149

C'est pour percer un peu ce mystère que nous avons décidé de nous intéresser aux publics. Christian Marc Bosséno affirme que « les tentatives d'analyse de groupes donnés de spectateurs et surtout de

leurs réactions sont l'un des terrains récents les plus prometteurs, quoique méthodologiquement ardus, de la recherche. »150. Ces « poches de spectateurs déterminés » ou ces « segments du public global » comme il propose encore de les nommer sont ceux qui vont nous intéresser dans ce travail

de recherche. Plus exactement, nous avons décidé de restreindre nos travaux aux spectatrices et spectateurs des films d'un réalisateur, Quentin Tarantino et ce, entre autre, parce que ce-dernier nous a semblé présenter des caractéristiques suffisamment intéressantes pour provoquer notre questionnement. Une de ces caractéristiques étant justement le lien étroit qui unit le cinéma de Tarantino avec ses publics.

145 Rieffel Rémy, Sociologie des médias, 2ième édition, Ellipses, coll. Infocom, Paris, 2005, p.185.

146 Ibid., p.185. 147 Ibid., p.185. 148 Ibid., p.185. 149 Ibid.

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