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Partie II : Oser faire un pas de côté

Chapitre 1 : Le cinéma et la question du Genre

1. Cinéma et études de Genre, état de la question

1.2 Historique, en France

1.2.1 Rapide historique du cinéma en France

Dans un premier temps, les années 20, la cinéphilie se construit comme une approche cultivée sur le cinéma devenu le « 7ième art », terme qui apparaît, en 1919, sous la plume de l'écrivain Ricciotto Canudo. Il va être assimilé à une œuvre d'art comme la peinture ou la littérature. Sa critique, son

239 Mulvey Laura, Visual and other pleasures, London, Macmillan Press LtD, 1989.

240 Doane Mary-Ann, « Film and the masquerade : Theorising the female spectator », Screen, Oxford University, 1982, vol.23, p.74-88.

241 Penley Constance, Film, Feminism and Psychoanalysis, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1989. 242 Stacey Jackie, « Desperatly Seeking Difference », Screen, Oxford University, 1987, vol. 28, p.48-61. 243 Kuhn Annette, Women's Pictures: Feminism and Cinema , London and New York, Verso, 1994. 244 Brunsdon Charlotte, Film for Women, London, British Film Institut, 1986.

245 Hansen Myriam, Babel and Babylon, Spectatorship in American Silent Film, Cambridge, Harvard University Press, 1991.

246 Bobo Jacqueline, « The Color Purple : Black Women as Cultural Readers », Female Spectators, edited by E. Deidre Pribram, London and New York, Verso, 1988.

247 Tasker Yvonne, Spectacular Bodies : Gender, Genre and the Action cinema, London, Psychology Press, 1993.

248 Modleski Tania, The women who knew too much : Hitchcock and Feminism Theory, New York, Routledge, Chapman and Hall, 1988.

249 Fischer Lucy, Shot/contreshot : Film tradition and Women's cinema, Princeton, Princeton University Press, 1989. 250 Dyer Richard, Now you see it: studies on lesbian and gay film, London-New York, Routledge, 1990.

analyse naissent sous la plume d'intellectuels comme Aragon, Delluc ou Canudo qui méprisent tout réalisme artistique et privilégie le style sur le sens. L'approche dominante reste formaliste et esthétique. Plus tard, c'est la notion d'auteur (depuis les années 50 avec la naissance de la revue Les

cahiers du cinéma), héritière d'une très longue tradition littéraire associant créativité et masculinité

qui impose l'idée que le créateur est un universel masculin.

La création est radicalement du côté des hommes, distinction habituelle et fortement sexuée en art entre le beau et le sublime de Kant qui, dans son ouvrage La critique du jugement écrit : « Les

femmes ont un sentiment inné, et des plus puissants, pour ce qui est beau, élégant et décoré. »252 Il

poursuit en comparant les qualités des hommes et des femmes : « Le beau sexe a autant

d'entendement que le sexe masculin mais ce n'est qu'un bel entendement et le notre doit être un entendement profond, expression qui d'une façon signifie sublime. »253 Les femmes peuvent

atteindre le beau mais le sublime reste masculin.

Puis peu à peu l'art se démocratise et du coup, l’œuvre regagne en autorité : tout est de l'art mais pas par n'importe qui. On considère qu'il n'y a pas d'art sans génie pour l'incarner comme l'explique Michèle Coquillat : « La création dans notre tradition culturelle est pensée comme une prérogative

exclusivement masculine où l'écrivain s'exprime comme un dieu, à l'origine de son œuvre, dans une autonomie absolue par rapport au monde et aux autres, par opposition aux femmes qui sont assignées à la reproduction » 254

L'auteur du film est un créateur autonome, sans rapport au monde et aux autres. Il y a création d'un panthéon d’œuvres cinématographiques dignes d'intérêt et auxquelles on voue un culte arraché aux contingences socio-historiques et par là même se crée une cinéphilie individualiste, élitiste et masculine. Le cinéma, sacralisé comme œuvre d'art, ne se prêtera donc pas facilement à des études autres qu'esthétiques ou formalistes.

1.2.2 Du côté des universités françaises

De plus, en France, la répartition par discipline des universités n'a pas rendu facile l'approche genrée du cinéma. Geneviève Sellier faisait remarquer en 1999, dans un article intitulé « Cinema et

Genre en France : état des lieux », le « sous-développement de ces approches en France »255.

Madeleine Akrich, Danielle Chabaud-Rychter et Delphine Gardey parlent, elles, de « distance

incompréhension et rejet »256. Dix ans plus tard, G. Sellier précise avec quelles difficultés les

approches genrées s'imposent pour les études cinématographiques : « Dans ce découpage spécifiquement français, les approches genrées ont fait leur place, même si c’est avec difficulté, en histoire, en sociologie et plus récemment dans les sic. Mais dans les arts du spectacle, dont relève le cinéma, elles restent tabou et sont perçues comme un regard iconoclaste sur la création, alors que les commentaires des œuvres relèvent d’une exégèse destinée à mettre en évidence leur dimension esthétique plutôt qu’à les situer dans un contexte de production et de réception qui montrerait leur inscription dans les contradictions sociales et les rapports de domination (pour les

252 Kant Emmanuel, Observation sur le sentiment du beau et du sublime, Traduit de l'Allemand, par Hercule Peyer- Imhoff , Éditions JJ Lucet, Bulletin de littérature, des sciences et des arts, 1796, p.56.

253 Kant Emmanuel, Ibid., p.57.

254 Coquillat Michelle, La poétique du Mâle, Paris, Gallimard, 1982.

255 Sellier Geneviève, Rollet Brigitte, « Cinéma et genre en France: état des lieux », Clio, Histoire, Femmes et Société, [en ligne], n°10, 1999, mis en ligne le 22 mai 2006, p.3.

conforter ou pour les dénoncer). »257 Les Gender Studies peinent à se faire entendre au sein des universités françaises et « Ce qui a dominé jusqu’à présent, c’est la peur de créer un « ghetto » intellectuel et institutionnel, de forger un champ d’études et des cursus tolérés mais dévalorisés et sans influence sur les disciplines. A l’appui de cette résistance, peuvent être invoqués d’autres paramètres comme la centralisation de l’université, une plus grande rigidité des disciplines et des cursus, la méfiance d’un grand nombre de féministes françaises envers toute forme d’institutionnalisation vécue comme récupération, enfin le refus de la majorité des chercheuses et universitaires d’adopter une stratégie séparatiste. Plutôt que de créer de nouveaux champs disciplinaires, les féministes ont cherché à entrer dans les institutions et à explorer des voies moyennes entre le séparatisme et l’intégration »258 Les chercheurs et chercheuses en études de Genre se montrent encore relativement prudents dans un pays où le féminisme est un terme extrêmement connoté politiquement et socialement et où les récents débats autour du Genre relayés par les médias ont fait montre d'une réticence réelle de l'opinion publique sur ces questions259. Pourtant, c'est aussi dans le bouillonnement intellectuel féministe des années 70 et au sein du Mouvement de Libération des Femmes qu'a commencé, en France, à apparaître une voie académique durable, institutionnalisée et critique. Peu à peu, des évolutions sont notables :plusieurs centres de recherches sur l’histoire des femmes et la sociologie des rapports sociaux de sexe ont été créés dès les années 1970 (à Aix-en-Provence en 1972, à Lyon en 1976, à Toulouse en 1979…), un colloque intitulé « Femmes, Féminisme, Recherche » en 1982 à Toulouse, marqua le début de l’institutionnalisation de la recherche sur les femmes et le Genre ; un colloque, « Femmes,

Féminisme, recherches : 30 ans après » a eu lieu à Toulouse les 14 et 15 décembre 2012 ; des

revues spécialisées permettent la diffusion des travaux sur le Genre, telles que Les Cahiers du

Grif, Pénélope ou Nouvelles questions féministes depuis les années 1980, Clio, les Cahiers du Genre ou Travail, Genre et Sociétés depuis les années 1990, et encore Genre, Sexualité et Société ou Genre et Histoire depuis les années 2000. Nous pourrions également mentionner le rôle de

fédérations de recherches qui, en rendant possible la constitution de réseaux d’enseignant(e)s et d’étudiant(e)s sur ces questions, ont contribué à la transformation de travaux et d’événements isolés et dispersés en un « domaine de recherche », depuis l’Association nationale des études féministes (ANEF), créée en 1989, jusqu’au Réseau Inter-universitaire et interdisciplinaire National sur le

Genre (RING) créé en 2000 et reconfiguré en 2009, en passant par Efigies, association de jeunes

chercheuses et chercheurs en Études féministes ou encore Genre et Sexualité créé 2003. Enfin, depuis plusieurs années, des universités comme celles de Paris 8, Paris 7, Paris 3, Paris 6, Toulouse Jean Jaurès, Lyon 2, Bordeaux Montaigne ou l’École des Hautes Études en Sciences Sociales proposent des spécialisations en études de Genre au niveau du Master ; on peut citer encore le programme Presage, programme de recherches et d'enseignements des savoirs sur le Genre, à

257 Sellier Geneviève, « Gender Studies et études filmiques : avancées et résistances françaises », Diogène , n° 225, 2009/1, p.129.

258 Elmaleh Eliane, « Les Women’s Studies aux États-Unis. », Transatlantica, Ibid., p.16.

259 En 2014, on a ainsi pu voir le nombre d'articles quand ce n'était pas les unes des grands journaux et magazines nationaux se multiplier autour de ce qui a été nommé « La théorie du genre » et l'idée qu'elle allait être enseignée dans les écoles. Pour exemple, nous pouvons citer chronologiquement : « Une journée d'absence à l'école pour

lutter contre la théorie du genre » » par Flore Thomasset, dans La Croix le 28 janvier, « Théorie du Genre à l'école : l'éducation nationale lutte contre la rumeur », dans 20 minutes, un article de Delphine Bancaud, publié le 28 janvier,

« En sciences, la théorie du genre n'existe pas » par Rachel Mulot et Erwan Lecomte dans Sciences et Avenir le 29 janvier, « Théorie du genre à l'école, la polémique prend de l'ampleur », article du Figaro par Stéphane Kovacs publié le 30 janvier 2014, « Théorie du genre, qui a intérêt à affoler les parents ? » par Nicolas Guécan, dans Le

Point en date du 30 janvier, « Théorie du genre : Coppé ment encore » par Quentin Girard et Laurent Troude dans Libération le 13 février, « La théorie du genre fait sa rentrée » par Fabrice Madouas, dans Valeurs Actuelles, le 4

septembre, dans l'Express : « Des lectures collectives pour lutter contre la théorie du Genre à l'école » par Sandrine Chesnal, publié le 8 septembre 2014, « A Noël, des jouets façon théorie du genre » dans Le Midi Libre, par Arnaud Boucomont, le 18 décembre... A la suite de ce déferlement de contestations, le gouvernement a retiré en juin 2014 son projet de l'ABCD de l'égalité qui était un projet d'enseignement dont l'objectif était de lutter contre le sexisme et les stéréotypes de Genre.

l’École des Sciences Politiques ouvert en 2010 ou le nouveau master Egal-APS, égalité dans et par

les pratiques sportives qui s’est ouvert en septembre 2016 à l'UFR Staps à Lyon 1. On constate

donc une avancée de plus en plus évidente des enseignements et des formations autour du Genre dans les différentes universités françaises mais il aura fallu attendre 2014 pour qu'ait lieu le premier colloque sur les Études de Genre en France organisé par l'ENS de Lyon et l'Institut du Genre du CNRS.

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