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Partie I : « Déplacer la focale des images vers leur réception »

3. Dialogue avec les publics

Mais c'est dans la forme même des films que nous pouvons affirmer l'importance du rôle du public dans le cinéma de Tarantino.

3.1 L'écrit

D'abord parce que ces films regorgent de traces écrites, or l'écrit au cinéma a une place particulière que Michel Chion a étudié dans son ouvrage L'écrit au cinéma189. Après une première partie

consacrée dans ce livre à un inventaire des différentes formes d'écrit au cinéma (catalogue formé après avoir visionné près de neuf cents films), Michel Chion en déduit les cinq principales façons qu'a l'écrit d'apparaître dans un film :

« l'écrit porche », non diégétique qui encadre le film au début et à la fin

l'écrit superposé qui est « non diégétique et au premier plan devant l'espace diégétique »l'écrit inclus quand il « figure dans le décor, dans l'action diégétique mais n'est pas censé

être l'élément central, le sujet du plan »

l'écrit insert quand il est « un plan rapproché de détail entre deux plans »l'écrit « iconogène » c'est-à-dire, « un mot écrit dont naît la suite de l'histoire »

Tarantino use de quasiment toutes ces fonctionnalités de l'écrit dans ses films. Ils contiennent tous des éléments écrits diégétiques ou extra diégétiques. Cela va des titres ou intertitres dans des films comme Pulp fiction (chaque partie du film est titrée) ou Kill Bill qui fonctionne en chapitres ; en passant par des écrits diégétiques comme la liste des personnes à tuer écrite par Beatrix dans Kill

Bill au gros plan sur l'écriture à la plume d'Hanz Landa dans Inglourious Basterds jusqu'aux

éléments écrits de tous ses films (panneaux, plaques de voitures, poster, affiches etc). Or à quoi servent toutes ces traces sinon à établir un lien avec les publics ? Ces différents écrits leur sont directement destinés et ce, donc, au sein du principe cinématographique établi par le réalisateur.

188 « I've read everything she's written for The New Yorker and got all her books, and I've learned as much from her as

I have from filmmakers. She taught me a sense of awe to be dramatically engaging, how to make a connection with the audience. ». Quentin Tarantino, in Quentin Tarantino Interviews, Gerald Peary, University Press of Mississippi,

1998, p.13.

3.2 Le vide

De plus, les films de Tarantino demandent au spectateur d'être actif dans ce lien créé avec lui, dans la mesure où souvent, Tarantino ne livre pas tout. Il dessine du vide autour de ses personnages par exemple. Dans la longue scène inaugurale de Reservoir Dogs, rien ne nous est dit de ces sept personnages attablés en train de prendre leur petit déjeuner. On ne sait pas qui ils sont, ce qu'ils font ni pourquoi ils sont réunis. De même, ce film raconte l'histoire d'un braquage raté sans jamais le montrer ce qui crée comme un trou dans le scénario, trou recouvert par un tissu de paroles. Autre exemple, Kill Bill « L'intrigue est simple, la trame narrative tient entièrement dans le titre : Kill

Bill. »190 En effet, le scénario de Kill Bill peut se résumer à une simple phrase : une jeune femme est

assoiffée de vengeance et veut tuer Bill, le personnage qui lui a tiré dessus lors de son mariage. Ce qui fera dire au célèbre critique Daniel Mendelsohn : « Il n’est pas nécessaire de vouloir parler de

psychologie ou d’intention à propos des films ; il part du principe que, comme lui, le spectateur saura combler les trous. C'est vrai du scénario comme des personnages : il suppose que vous aussi avez vu assez de films de kung fu et de mauvais westerns (sans parler des films policiers avec des personnages féminins dans les années 70) pour savoir pourquoi les personnages agissent comme ils le font, pourquoi ils veulent se venger etc. »191

En réalité, Tarantino choisit de raconter les histoires de manière différente par rapport au récit filmique traditionnel. « On évoque souvent le puzzle pour parler des films de Tarantino »192 note

Philippe Ortoli. Et c'est bien la structure scénaristique sous forme de puzzle d'un film comme Pulp

Fiction qui demande au spectateur/à la spectatrice de reconstituer après coup le récit qui lui a été

présenté de manière fragmentée et dans le désordre : « Pulp Fiction, avec sa narration qui s’arrête

et reprend, évolue et repart en arrière, force le spectateur à construire non seulement l’histoire, la trajectoire des personnages, leurs relations avec les autres, et avec la fiction mais aussi le « comment », « quoi », « quand » et « pourquoi » de la narration.»193.

Le film ne se présente donc plus comme une oeuvre d'art intouchable mais au contraire comme un objet filmique auquel le spectateur est associé, de manière si importante qu'on lui confie la tâche de rétablir l'ordre de la narration. Ce qui est possible car cette nouvelle façon de raconter des histoires s'adresse à un nouveau public de cinéma, un public né avec les images, capable donc d'assimiler beaucoup plus vite ce nouveau langage cinématographique qui consiste à briser la linéarité et la chronologie d'un récit. En quelque sorte, Tarantino fait confiance à son public et engage donc un dialogue avec lui au sein de sa production cinématographique au point même d'en faire une des figures récurrentes de ses films.

190 Darcourt Laurence, « Kill Bill ou la survie », « Ciné-Malaise », La lettre de l'enfance et de l'adolescence, n°58, 2004/4, p.125.

191 « It's unnecessary to write psychology or motivationinto the movies ; he's assuming that, like him, you'll be able to fill in the blanks. This goes for plot as well as character : he assumes that you, too, have seen enough kung fu movies and bad old westerns (to say nothing of bad Seventies chick-cop shows) to know why these characters do what they do, why they're seeking revenge, and so on. », Daniel Mendelsohn, « It's only a movie », The New York

Revue of Books, 18 décembre 2003, [en ligne].

192 Ortoli Philippe, Ibid., p.111.

193 « Pulp Fiction with its narrative that stops and starts, shifts and rewinds, forcing the viewer to construct the story -

the trajectory of each character, their interrelation with other characters and fictions, the "how", "what", "when" and "why" of the narrative », Villella Fiona, « Circular Narratives : Highlights of Popular Cinema in The '90s », Sense of Cinema, février 2000, [en ligne].

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