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Partie III : Des objets aux sujets

Chapitre 1 : Les objets d'étude

2. Analyse des extraits

2.2 Pulp Fiction, le couple

Le deuxième extrait choisi, d'une durée de 4 minutes 25 est tiré du film Pulp Fiction. Il se situe au milieu du film, dans le quatrième chapitre, intitulé « The Gold Watch ».

Il met en présence deux acteurs, Bruce Willis (Butch) et Maria De Meideros (Fabienne).

2.2.1. Description

La scène se déroule la nuit, dans une chambre d'hôtel. C'est une scène logocentrée avec deux personnages, Butch, un boxeur qui vient de tuer son adversaire lors d'un match alors qu'il avait accepté de faire semblant de perdre et sa petite amie, Fabienne qu'il vient rejoindre dans une chambre d'hôtel. Nous assistons aux retrouvailles entre les deux personnages

2.2.2. Analyse

Butch, interprété par Bruce Willis, est un personnage qui représente une masculinité très virile : il est grand, musclé, le crâne rasé, et nous savons qu'il s'agit d'un boxeur qui vient de tuer son adversaire. Quand il arrive, il refuse de s'allonger sur le lit car il précise « Attends ! Je vais prendre

une douche ! Je pue la sueur ! Une vraie puanteur ! »643. Il met donc en exergue le corps masculin à

travers cette allusion à la sueur. Or comme le note Raewyn Connell : « Les corps en tant que corps

comptent. (…) On ne peut pas ignorer la sueur. »644

Le corps masculin n'est pas une surface neutre ou figée. Le corps du sportif encore moins (Butch est un boxeur professionnel). Connell écrit à ce propos : « Dans une période historique récente, le

sport est devenu au sein de la culture de masse une clé de définition de la masculinité. Le sport offre un étalage permanent de corps d'hommes en mouvement. Des règles élaborées et soigneusement contrôlées mènent ces corps les uns contre les autres dans des combats stylisés, dans lesquels la combinaison d'une force supérieure (fournie par la taille, la forme physique, le travail d'équipe) et d'une compétence supérieure (fournie par l'organisation, la pratique et l'intuition) permettra à un des camps de l'emporter. »645 Cela s'applique parfaitement à la boxe que

pratique Butch. Il n'est d'ailleurs pas insignifiant que le sport choisi pour le personnage soit la boxe, un sport considéré comme viril, dans lequel la compétition et la hiérarchie entre les hommes qui la pratiquent se font en excluant les femmes puisque peu d’entre elles la pratiquent646. C'est un sport

qui demande de donner des coups et d'être capable de résister à la douleur quand on en reçoit. Il joue totalement sur la performance physique et la musculature que le simple port d'un short laisse apparente. Ce sont des corps qu'on exhibe quand les combattants montent sur le ring et il s'agit bien ensuite d'une lutte au corps à corps. « Le garçon viril agit, combat, lutte, triomphe. »647 et c'est bien le cas de Butch.

Mais ce personnage n'est plus, alors, dans ce cadre là. Pour autant, les corps vont continuer d'occuper à la fois tout l'espace de l'écran (les deux personnages occupent le cadre et la pièce étant restée dans le noir comme l'a voulu Fabienne « Éteins la lumière. »648, le décor n'est pas visible) et

l'espace de la parole et ce, de plusieurs façons.

D'abord parce que c'est bien de leurs corps dont il s'agit tout au long de l'extrait. Son corps à lui comme nous venons de le voir, son corps à elle comme nous le verrons et surtout leurs deux corps ensemble. Il s'agit d'un couple qui se retrouve et les rapprochements physiques ne sont pas évacués de la scène. Au contraire, les deux personnages sont filmés en plans rapprochés, l'un derrière l'autre, l'un contre l'autre puis l'un sur l'autre. L'acte sexuel est clairement évoqué : « Butch ? Tu veux bien

me lécher? »649 demande Fabienne. On peut noter, chose éminemment rare au cinéma, que c'est le

personnage féminin qui est en demande, qui verbalise son désir et qui affirme que ce désir n'est pas dans la pénétration. Cette phrase marque, s'il en est, la présence d'une revendication féminine au plaisir car comme l'explique Anne Koedt : « S’il existe de nombreuses zones érogènes, il n’y en a

643 « Wait ! I'm goin to take a shower ! I stick of the sweat ! A really stench ! » 644 Connell Raewyn, Masculinités, Enjeux sociaux de l'hégémonie, Ibid., 2014, p.38. 645 Connell Raewyn, Ibid., p. 42.

646 A titre purement indicatif : « En 2011, elle (la part des femmes) représente 18,5% des licences de la FFB (situation

à comparer avec celle de 1998 et les 7,5 % de licenciées d’alors). Cependant, le pourcentage de féminines est encore assez éloigné de celui (30 %) rencontré en moyenne dans l’ensemble des fédérations olympiques et, malgré cette constante progression, la FFB ne se situe qu’à une modeste 25ième place sur les 31 fédérations olympiques

recensées. La boxe professionnelle compte 17 femmes soit 4,30 % de ses effectifs. Pour la première fois, en 2012, l’une d’entre-elles, Anne-Sophie MATHIS, a été élue meilleur(e) boxeur(euse) de l’année, « Gants d’or ». On constate une meilleure représentation féminine au comité directeur depuis les dernières élections fédérales puisque six femmes (26,09 %) y siègent au lieu de cinq (21,74 %) lors de la précédente olympiade. En revanche, le bureau fédéral ne compte qu’une femme pour six postes. Dans le domaine technique, la présence féminine demeure assez réduite avec un pourcentage de 5,8% de femmes enseignant la boxe en club et la présence d’une seule femme parmi les 18 CTS (données 2012). Pour un sport essentiellement masculin - dernier sport à intégrer le programme féminin olympique en 2012 - la pratique féminine en France connaît depuis une décennie un essor que l’on peut qualifier de conséquent. », extrait du Rapport relatif à la boxe française, établi par Henri Boerio et Fabien Canu, Ministère des

Sports, de la Jeunesse, de l’Éducation populaire et de la Vie Associative, septembre 2013, p. 22,23. 647 Roux Annie, Harrus-Révidi Gisèle, « Avant Propos », Ibid.,p.6.

648 « Keep the light off »

qu’une pour la jouissance : cette zone est le clitoris. Tous les orgasmes sont des extensions de la sensation à partir de cette zone. »650 Or cette demande est revendicatrice en ce sens que « La

promotion de l’orgasme clitoridien serait une menace pour l’institution hétérosexuelle. Car montrer que le plaisir sexuel peut être atteint avec d’autres hommes ou femmes ferait de l’hétérosexualité non un absolu, mais une option. Ainsi serait posée au-delà du présent système féminin-masculin la question entière de relations sexuelles humaines. »651 Ce qui explique d'ailleurs sûrement le fait que Butch, s'il consent à faire ce que veut Fabienne, lui demande quand même « Tu veux l'embrasser, lui ? (son pénis) »652, comme pour s'assurer qu'elle le fera aussi. Il veut bien lui donner du plaisir mais uniquement si elle lui en donne aussi. Le fait de marchander le plaisir sexuel est une façon pour Butch de se rassurer dans sa masculinité qu'il perçoit comme menacée par cette demande de plaisir féminin. Mais Fabienne n'abandonne pas puisqu'elle clôt la discussion par un « Mais toi d'abord » qui montre qu'il va devoir se soumettre à son désir s'il veut lui même que le sien soit pris en compte. La sexualité, le désir et le plaisir des corps ne sont donc pas niés dans cette scène mais au contraire mis en jeu.

Cependant, le corps n'est pas que montré, il est aussi discuté. Jusque là, c'était les hommes qui parlaient des femmes mais pour la première fois, c'est un personnage féminin qui en parle. Fabienne est toujours allongée sur le lit, elle ne bouge pas. Le spectateur écoute ce qu’elle se met à raconter et ce d'autant plus que Butch, allongé derrière elle, est quasi invisible à l'écran. Au contraire, le personnage féminin est tourné vers la caméra qui s'approche doucement d'elle, donnant du même coup l'impression qu'elle s'adresse aux spectateurs et aux spectatrices. Elle raconte donc qu'elle s'est regardée dans le miroir le matin même et elle a pensé : « J'ai rêvé que j'avais de la brioche »653

parce qu'elle trouve ça sexy : « Les ventres ronds sont sexy »654. On comprend que, pour elle, un

petit ventre rond est signe de féminité ce qui est différent pour les hommes : « Avoir un ventre rond

pour un homme, ça fait lourdaud ou gorille. Mais chez une femme, c'est très sexy.»655 Elle souligne

donc comment un même élément physique peut être perçu différemment selon qu'il s'agit du corps d'un homme ou d'une femme. Elle précise : « Le reste du corps est normal. Un visage normal, des

jambes normales, des hanches normales, un derrière normal, mais avec un gros ventre bien rond. »656 Le ventre doit donc être le seul élément remarquable dans ce corps : « Si j'en avais un, je porterais un tee-shirt deux tailles en dessous de la mienne pour bien le mettre en avant ! »657 Elle

souhaiterait donc que tout le monde remarque son ventre. Or le ventre est bien sûr symbolique dans un corps féminin parce qu'un ventre rond peut toujours être lu comme le symbole de la maternité. Ce ne serait donc pas de n'importe quel ventre dont parle Fabienne mais de celui de la femme enceinte. Voilà donc l'acmé du bonheur féminin semble nous dire l'extrait : être avec l'homme que l'on aime sans surtout chercher à séduire les autres et en porter l'enfant. Elle précise ensuite la différence entre un petit ventre comme celui qu'elle a déjà et le gros ventre qu'elle voudrait avoir : «J e n'ai pas un gros ventre ! J'ai un petit ventre comme Madonna quand elle chantait Lucky Star.

Ce n'est pas la même chose ! »658 Or le personnage de Fabienne est présenté comme la figure de la

femme-enfant. Elle est sexy avec sa robe courte mais elle a un côté puéril accentué par sa toute petite voix et l'allusion à Madonna, icône des adolescentes. On pourrait dire de ce personnage ce que G. Vincendeau écrit à propos de Brigitte Bardot : « Son savoir faire de femme fatale

650 Koedt Anne, « Le mythe de l’orgasme vaginal », Nouvelles Questions féministes, 2010/3, vol 29, p.14. 651 Koedt Anne, ibid.

652 «Will you kiss it ? » « But you first »

653 « I wish I had a pot. » 654 « Pot bellies are sexy. »

655 « Pot bellies make a man look either oafish or like a gorilla. But on a woman, a pot bellie is very sexy. »

656 « The rest of you is normal. Normal face, normal legs, normal hips, normal hass, but with a big, perfectly round pot

bellie.»

657 « If I had one, I'd wear a tee-shirt two sizes too small to accentuate it. »

« menaçante » (sur le plan psychanalytique) était tempéré par l'innocence de la gamine. »659. C'est

avec une naïveté affichée qu'elle demande à Butch : « Dure journée au bureau ? »660 et elle est

filmée allongée sur le lit, tout au bord, recroquevillée et solitaire. La volonté d'avoir un ventre de femme enceinte chez ce personnage pourrait venir signifier qu'elle ne deviendra une femme qu'après ou avec une maternité. Elle affirme en tous cas qu'elle souhaiterait que cela se voit ce qui peut être aussi analysé comme la volonté de ne pas respecter les codes de beauté en vigueur et qui, dans les années 90, visaient plutôt à avoir un ventre plat et ferme. La réponse de son compagnon qui lui demande : « Tu penses que les hommes trouveraient ça plus attrayant ?»661 montre qu'il

demeure dans l'idée que le corps féminin est forcément un objet de séduction, ce que Fabienne rejette : « Ça m'est bien égal de savoir ce que les hommes trouvent attrayant ! »662 Ce n'est pas dans

un registre de séduction que Fabienne s'inscrit mais Butch, quoi qu'il en soit, ne semble pas aimer cette idée : « Si tu avais un gros ventre, je donnerais des coups de poing dedans. »663 Cette réponse

plutôt violente peut vouloir signifier qu'il n'a lui pas de désir d'enfant (il ne veut pas qu'elle soit enceinte) mais elle met surtout en avant le fait que ce ventre vient surtout symboliser une lutte entre eux parce que « La production des enfants a toujours été, et demeure, un enjeu de pouvoir : le

contrôle de la fécondité féminine est le lieu par excellence de la domination d'un sexe sur l'autre. »664 Et il y a bien un enjeu de pouvoir entre ces deux personnages. Le boxeur Butch,

incarnation d'une virilité franche est ici mis en face d'une figure de la femme-enfant qui, à la fois, rassure sa masculinité en la maintenant dans un registre traditionnel (il doit la protéger) tout en la mettant en difficulté (cette femme a une sexualité libre, affirmée, verbalisée et un désir de maternité).

L'homme qui vient d'en tuer un autre à mains nues, est ici doux, calme et très amoureux : « Fabienne, je veux être avec toi. »665 Face à elle, il n'est plus le boxeur, le gros dur, le tueur mais un

homme tendre et prévenant. La femme a le pouvoir de transformer l'homme qu'elle aime et elle semble le dominer. Dans cette scène, Fabienne parle beaucoup plus que Butch. Plus souvent, plus longuement et c'est elle qui distribue la parole, soit qu'elle veuille que Butch se taise : « Ferme-la,

gros lard ! » soit au contraire qu'elle l'oblige à parler : « Dis-le !»666. A la fin, il s'arrête finalement

complètement de parler et ne lui répond plus que par des signes de tête. Les sujets de conversation entre eux évoluent au cours de la scène, du ventre rond de Madonna et celui que Fabienne voudrait avoir car elle trouve ça sexy à des réflexions plus sérieuses, quasi philosophiques : « Dommage que

ce qu'on a du plaisir à regarder et ce qu'on aime toucher aillent rarement ensemble... »667 ou qui

prouvent qu'elle n'est pas si naïve que ça et qu'elle pressent le danger qui les guette : « On court un

grand danger, n'est-ce pas ? »668

A la fin de la scène, son visage est filmé en gros plan en train de susurrer en français : « Oh! Butch,

mon amour, l'aventure commence... ». Lui ne dit rien, ne répond rien. Il la caresse, la touche,

l'embrasse. La parole est féminine ; l'action est masculine. Le couple à l'écran est un couple traditionnel : un homme blanc, incarnant une virilité affirmée et une femme blanche, plus jeune que lui et qui semble plus faible aussi. Butch fait des efforts pour maintenir sa place d'homme : quand elle s'allonge sur lui, il ne la laissera pas faire trop longtemps, mais finalement, il obéit à tous ses ordres, parle quand elle le veut et lui dit ce qu'elle veut entendre. La scène se clôt sur

659 Vincendeau Ginette, « L'ancien et le nouveau. BB dans les années 50 », CinémAction, n°67, 1998, Ibid., p.143. 660 « Hard day at the office ? »

661 « You think guys would find that attractive ? » 662 « I don't give a damn what men find attractive. » 663 « If you a pot bellie, I'd punch you in it. »

664 Knibiehler Yvonne, Histoire des mères et de la maternité en Occident, Paris, Presses Universitaires de France, coll. Que sais-je ?, n°3539, 3ième édition, mars 2012, p.23.

665 « Fabienne, I want to be with you » 666 « Shut up, Fatso ! » « Say it ! »

667 « It's unfornate what we find pleasure to the touch ans pleasing to the eye is seldom the same. » 668 « We 're in a lot of danger, aren't we ? »

l'accomplissement du désir de Fabienne qui marque la domination du personnage féminin sur le personnage masculin.

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