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Partie II : Oser faire un pas de côté

Chapitre 4 : Étude de la filmographie de Q Tarantino, mise en scène du Genre

2. Masculinités, féminités

2.1 La question du corps : les corps, la douleur, la mort

2.1.5. Morts et Renaissances

La mort est en effet très présente dans la filmographie tarantinienne et elle touche les personnages féminins comme les personnages masculins. Des gangsters meurent dans Reservoir Dogs, un petit truand, Marvin ainsi que Vincent meurent dans Pulp Fiction, un autre petit truand, Beaumont, ainsi que Mélanie, Shironda et Ordell dans Jackie Brown mais c'est également le cas de la totalité des Crazy's 88 ainsi que Vernita Green, O'Ren Ishii, Budd, Elle Driver, Pai Mei, et Bill dans Kill Bill, les quatre filles du premier groupe et Stuntman Mike meurent dans Death Proof, la famille de Shoshanna, des soldats, des basterds, Shoshanna elle-même sont tués dans Inglourious Basterds et

Django Unchained comme The Hateful Eight se closent sur un bain de sang dans lequel on ne

compte plus les morts. Personnages féminins comme personnages masculins ont bien du mal à rester en vie dans le cinéma de Tarantino.

Mais s'il n'y a pas de pendant à tous ces décès, pas de naissance dans les films, il s'y produit par contre des renaissances. Certains personnages semblent capables de résister à la mort et à la destruction de leurs corps. Il y a Mia Wallace, dans Pulp Fiction que Vincent transporte jusqu'à chez son ami et dealer, Lance. Mia fait une overdose. Elle a pris de l’héroïne en trop grande quantité. Son cœur ne bat plus quand ils arrivent chez Lance. Elle est en train de mourir ce que Jodie, la femme de Lance fait remarquer : « Cette fille est en train de mourir sur notre tapis... »397 Mais grâce à la

seringue d'adrénaline que Vincent, sous les conseils de Lance, va lui injecter en plein cœur, Mia va revenir d'un coup à la vie. De même, Beatrix dans les deux volumes de Kill Bill, ne va pas cesser de renaître. Ses adversaires ont voulu la tuer, Bill lui a même tiré une balle dans la tête mais au bout de quatre ans de coma, elle se réveille brusquement. Budd va lui tirer dessus et l'enterrer vivante mais elle va réussir à s'extraire du caveau. Beatrix va frôler et côtoyer la mort un grand nombre de fois sans jamais mourir. Dans Inglourious Basterds, les soldats allemands tirent dans le plancher et tuent toute la famille de Shoshanna mais elle n'est pas touchée et elle parvient à s'enfuir pour « renaître » quelques années plus tard sous le nom de Emmanuelle Mimieux. Ces personnages qui reviennent de « l'au-delà » ou qui l'ont frôlé ne sont que des personnages féminins comme si la féminité allait de pair avec une étrange capacité à résister à la mort. Ces personnages féminins incarnent une vision un peu fantasmatique de la femme comme possédant des pouvoirs magiques et mystérieux de résistance à l'anéantissement, là où l'homme est condamné à mourir398. Ce qui peut entraîner une

397 « That girl's gonna die on our carpet... »

398 Une exception, Jules dans Pulp Fiction qui tout au long du film explique qu'il veut abandonner son métier de tueur à gage car il a mystérieusement, selon lui, survécu à un tir de balles : « We should be fuckin'dead ! » (« On devrait

être morts, putain ! ») mais son point de vue est contrebalancé par celui de Vincent qui était avec lui et qui a lui

double lecture, sur le modèle du « double speak » dont parle Noël Burch dans son article « Double

Speak : De l’ambiguïté tendancielle du cinéma hollywoodien »399 à propos de film comme Thelma et Louise400 par exemple. Une lecture féministe pourrait voir dans ces capacités exceptionnelles des

personnages féminins à renaître une preuve d'une certaine supériorité de ces personnages par rapport à leurs homologues masculins. Beatrix et Shoshanna incarnent des personnages féminins qui ont défié la mort et qui lui ont échappé parce qu'elles sont fortes, rusées, capables de maîtriser leurs corps et leurs émotions (le cas de Mia Wallace étant différent puisqu'elle doit à un agent chimique, l'adrénaline et à deux hommes, Vincent et Lance d'être sauvée). Ce qui pourrait être très important car si l'on considère avec Annette Khun que « le spectateur peut se retrouver facilement

séduit par les identifications que le film lui propose »401, il est alors primordial que le cinéma donne

à voir aux publics d'autres figures féminines que celles habituellement construites par les récits cinématographiques. Mais une seconde lecture pourrait aussi proposer de voir en ces personnages féminins les héritières d'une longue lignée de femmes auxquelles on a ancestralement prêté des pouvoirs quasi magiques et mystérieux, faisant d'elles les signes manifestes d'une féminité qui va de pair avec une certaine étrangeté maléfique. Considérer que les femmes ont plus que les hommes des liens avec les forces obscures ou qu'elles sont symboles d'une psyché manifestement irrationnelle et non domestiquée revient à leur donner une place qui les situent en dehors du cercle de la normalité. Mises à la marge, elles se retrouvent donc dans l'incapacité de lutter ou de résister à la domination masculine qui, en les maintenant à cette place, se garantit la perpétuation de cette domination. La question des corps, qui voit les corps masculins comme les corps féminins travailler, être maîtrisés, découpés voire anéantis, qui les voit souffrir, endurer la douleur, être violentés ou même violés, semblent signifier que chez Tarantino, il n'y a pas de différence des sexes ou en tous cas que ce n'est pas dans le traitement réservé par la fiction aux corps qu'il faudra la chercher. Souvent mis en morceaux quand ils ne sont pas mis en miettes, ces mêmes corps sont importants parce que signifiants des épreuves que traversent les personnages mais ils sont aussi les signes de la vulnérabilité organique. Or il est important de noter que celle-ci est traditionnellement considérée comme féminine. Elle est en tous cas un des lieux de la problématique genrée comme le note Sandra Boeringher et Estelle Ferrarese dans leur article « Féminité et vulnérabilité » : « Enfin la vulnérabilité, (...) agence et justifie un régime normatif qui la dépasse ; en décrivant certains corps, mais pas d’autres, comme étant sous la menace d’une effraction, en définissant ‘ce qu’est’ un corps (ses éléments, ses aspects intimes ou publics, son apparence), et en énonçant les règles morales qui définissent les infractions, les atteintes au corps, la notion de vulnérabilité est profondément liée aux problématiques du genre »402. Or, comme chez Tarantino, cette vulnérabilité est une des caractéristiques du corps, qu'il soit féminin ou masculin, elle semble indiquer qu'elle est non pas inhérente au Genre mais bel et bien à la « biologie », c'est-à-dire, à la matière vivante de ce corps. Masculinités et féminités sont ailleurs.

chance. »). Il n'est donc pas très clair que Jules ait vraiment échappé au tir par miracle. Le point de vue plus

cartésien de Vincent laisse le doute planer et empêche de considérer réellement ces deux personnages comme des « survivants ». Vincent explique d'ailleurs à Jules qu'il est courant que des balles n'atteignent pas leurs cibles sans que l'on sache très bien pourquoi. L'explication de « ces miracles » tiendrait donc plus à des questions techniques et mécaniques qu'aux capacités des personnages.

399 Burch Noël, « Double Speak, de l’ambiguïté tendancielle du cinéma hollywoodien », Réseaux, vol 18, n°99, 2000, p.99-130.

400 Thelma et Louise, road movie américain, réalisé par Ridley Scott, 1991.

401 Khun Annette, « Hollywood et les women's films », 20 ans de théories féministes sur le cinéma, CinémAction n°67, Ibid., p.55.

402 Boeringher Sandra, Ferrarese Estelle, « Féminité et vulnérabilité », Corps Vulnérables, Cahiers du Genre, 2015/1, n°58, p.5-19.

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