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Partie II : Oser faire un pas de côté

Chapitre 4 : Étude de la filmographie de Q Tarantino, mise en scène du Genre

3. Dynamique des interactions

3.3 La famille, la chute de l'ultime bastion patriarcal

3.3.3. Maternités

Les figures maternelles sont aussi mises en scène. Beatrix dans Kill Bill est certainement la plus emblématique car elle ne construit sa vengeance qu'autour de cette maternité que Bill lui a enlevée. Une scène du Volume 2 nous raconte ce moment où la jeune femme apprend qu'elle est enceinte. Elle se trouve dans une chambre d'hôtel, dans la salle de bain. Beatrix est en culotte et en petit tee shirt noir. Elle lit le mode d'emploi d'un test de grossesse et pendant qu'elle doit attendre le résultat, un plan fixe nous la montre se regardant dans le miroir. Elle se tourne, observe ce corps, le touche, elle touche son ventre, ses seins comme si elle se découvrait. Elle grimace d'ailleurs en faisant ces gestes. Plusieurs gros plans se fixent sur ses pieds nus qui renvoient symboliquement la jeune femme à un état de nature. Sauf qu'au moment où elle comprend qu'elle est vraiment enceinte, elle est dérangée par une autre jeune femme venue la tuer. Le combat commence mais il s'interrompt car Beatrix s'adresse à la jeune fille. Les deux femmes se parlent en se tenant en joue chacune avec une arme de gros calibre dans la main. Beatrix va tenter de négocier en lui disant qu'elle est enceinte : «

Je suis la femme la plus dangereuse du monde mais maintenant, je suis morte d'angoisse pour mon bébé. Je t'en prie... »594 Le combat va effectivement cesser pour épargner le bébé. On voit que

l'annonce de la maternité a transformé la tueuse et l'autre jeune femme va décider de l'épargner. L'idée même du bébé a suffi à faire cesser le combat (comme l'entrée de Nikki fera stopper le duel entre Beatrix et Vernita Green au début du Volume 1), comme si deux femmes se devaient de toujours respecter un enfant. Une femme ne peut plus tirer et tuer si elle est enceinte, comme elle ne peut pas tuer une autre femme enceinte. Les deux personnages féminins ne respectent pas leur statut de femmes mais celui de mère. Dans la vie d'une femme, le fait de devenir mère doit forcément tout changer. C'est ce que Beatrix expliquera à Bill quand elle lui raconte ce moment où elle découvre sa grossesse : « Avant que ce test vire au bleu, j'aurais pu me jeter sur un train à toute vitesse au

volant d'une moto... pour toi. Mais une fois que ce test avait viré au bleu, il n'était plus question que je fasse ce genre de choses. C'était fini. Parce que maintenant, j'étais une mère. »595 Le changement

est de plus immédiat. Il y a un côté miraculeux et un peu magique dans ce changement si soudain. Le personnage dit bien qu'avant, elle était une tueuse, la femme la plus dangereuse du monde et que l'instant d'après, elle n'est plus qu'une mère. Elle est soit l'un, soit l'autre ; nous voyons bien qu'elle n'imagine pas un instant être les deux. Elle retrouve donc « réduite » à son rôle maternel, nous l'avons déjà souligné précédemment.

Beatrix lutte pendant tout le film pour récupérer sa fille. Quand elle la retrouve, chez Bill, un plan du haut de l'escalier qu'elle descend pour rejoindre Bill après avoir endormie l'enfant, nous montre la pièce : elle est toute ronde avec au centre un canapé rond sur lequel les deux personnages vont s'installer. L'allusion à cette forme géométrique du rond, moultes fois représentée dans le décor (pièce ronde, table ronde, cheminée arrondie...), symbolise le ventre maternel. A cet endroit, Beatrix redevient une mère. Elle est au centre de la matrice. Elle est d'ailleurs habillée en jupe avec du

594 « I'm the deadliest woman in the world but right now, I'm scarred shitless for my baby. Please...»

595 «Before that strip turned blue, I would have jumped a motorcycle on to a speeding train... for you. But once that

maquillage et des bijoux. Elle n'a plus besoin du costume du tueur. Elle peut devenir féminine. Du coup, dans la séquence, elle est aussi désignée avec les attributs habituellement féminins comme la traîtrise et le mensonge : elle va tuer Bill en le prenant par surprise. Ce ne sera finalement pas à grand coups de sabres que le duel se terminera mais avec une prise enseignée par Paï Meï et dont Bill ignorait que le grand maître l'avait enseignée à Beatrix. Auparavant, Bill va lui planter une seringue contenant un filtre de vérité au nom évocateur de « Grand révélateur des secrets » dans la jambe car , dit-il, « Quand il s'agit de parler de moi, je pense que tu es totalement et viscéralement

incapable de dire la vérité, à moi en particulier et surtout à toi même »596. Le personnage féminin

ment et surtout se ment. Mais Beatrix retrouve la parole. Tout au long du film, elle parle relativement peu mais à partir du moment où elle retrouve sa fille, elle retrouve aussi la parole ainsi qu’une identité avec son véritable nom Beatrix Kiddo même si elle est surtout désignée par sa fonction de mère. Le personnage s'humanise. Alors que pendant les deux volumes, nous avons vu à l’œuvre une tueuse impitoyable, « Je suis sans pitié, sans compassion et sans scrupule »597 comme

elle le dira elle même à Vernita Green, elle se transforme dans cette séquence en une femme qui éprouve des émotions et les montre : elle pleure, elle supplie, elle serre la fillette dans ses bras, l'embrasse, la caresse. Cette femme s'humanise au contact de la fillette. Jusque là elle n'était qu'une machine à tuer, sans aucun sentiment ; il suffit qu'elle retrouve sa fille et elle devient plus humaine. Il fallait donc cette « bonne raison », retrouver son enfant, pour que l'épopée violente et dangereuse de cette femme existe. La fillette est symboliquement nommée BB, elle n'a pas de véritablement prénom. Ce qui fait office de prénom est une double majuscule qui correspond aux majuscules des prénoms des deux parents, Beatrix et Bill. Mais BB a beau être un produit de ses deux parents comme l'indique donc son nom, elle ne peut être qu'à l'un ou à l'autre. D'ailleurs quand son père sera mort, BB est emmenée par sa mère, dans sa voiture. Elle a troquée le pick-up masculin contre une petite Volkswagen Karmann-Ghio décapotable des années 50, un modèle féminin, tout en courbe et de couleur bleue. On la retrouve dans la scène finale, assise sur un lit, dans une chambre d'hôtel en train de regarder avec l’enfant un dessin animé. Elles ne regardent plus Shogun Assassin mais Heckel et Jeckel, promesse d'un lendemain heureux comme semblent le symboliser les deux

corbeaux dans un nid (mais il s'agit bien de deux corbeaux, un duo donc).

Puis Beatrix est filmée en plongée complète allongée sur le sol de la salle de bain. Elle est habillée de blanc (de nouveau, le blanc symbole d'un changement d'état) et serre dans ses bras un gros ours en peluche marron. Elle pleure et elle rit en même temps. Elle se tortille sur le carrelage et se met la main devant la bouche pour contenir ses cris. Le personnage libère son hystérie féminine, elle peut enfin se laisser aller aux sentiments et se laisser submerger par eux. Elle a été ramenée vers l'humain en retrouvant son rôle de mère. Ce qui est quand même particulièrement signifiant car cela sous-entend que tant qu'elle n'est pas mère, elle est comme une sorte de machine. Le personnage féminin a donc besoin de la maternité pour exister en tant qu'être humain. Mais comme il n'y a aucune nécessité que cela soit la même chose pour les personnages masculins, la famille traditionnelle n'a plus d'existence possible. Tout se passe comme si, de film en film, le cinéma de Tarantino tendait à nous monter que la famille était « hors sujet, hors discours, hors écran, toujours

désirée, jamais atteinte »598.

A l'image de Bill à la fin du film, l'ultime bastion du patriarcat, après quelques pas chancelants que représentaient ces familles constament amputées d'un de leurs membres, vient de tomber.

596 « When it comes to talking about me, I think that you are totally and viscerally incapable to tell the truth, to me in

particular and especially to you even »

597 « It's mercy, compassion and forgiveness I lack... »

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