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Partie I : « Déplacer la focale des images vers leur réception »

1. Le cinéma postmoderne

1.1 Définition

Le postmodernisme est un concept difficile à définir. Relevant d'une certaine chronologie comme semble l'indiquer le préfixe « post », il recouvre cependant bien autre chose qu'une simple période historique qui de fait, suivrait la période dite « moderne ».

Edouardo Ayres Tomaz propose de considérer que « le terme renvoie à toute une série de discours,

postures et actions qui doivent conduire à penser le monde lui-même, au-delà des perspectives qui le façonnent, comme postmoderne. Plus que dans un consensus sur la définition, c’est dans l’expérience des nouvelles transformations du monde que des activités et attitudes postmodernes peuvent être saisies. Le postmodernisme n’a pas été définitivement élaboré et ne peut pas l’être étant donné son incertitude et son ambiguïté structurelles »152

On peut cependant faire état d'une démocratisation du postmodernisme en tant que mouvement artistique à partir de la parution de l'ouvrage de l'architecte et historien de l'architecture américain, Charles Jencks qui le premier utilisa le terme dans son livre, The Language of Postmodern

Architecture153.

Le mouvement postmoderne gagna ensuite progressivement toutes les autres formes d'art, les arts visuels, la musique, la littérature mais aussi par exemple la mode dont Catherine Ormen écrit : « À l’instar de l’architecture, la mode s’est nourrie du post-modernisme ambiant, elle a mélangé et contribue au télescopage des siècles et des continents, et elle a commencé à nous habituer à la surenchère de l’image. »154 ou encore la philosophie qui, quant à elle, propose de considérer le

postmodernisme comme « une réflexion critique sur les concepts fondamentaux de la modernité,

151« Shoshanna : « Admire » would not be the adjective I would use to describe my feelings towards Fraulein

Refensthal.

German Soldier : But you do admire the director. Pabst, don't you ? That's why you included his name on the

marquee. »

She climbs down from ladder and faces the German Private.

« Shoshanna : I'm French. We respect directors in our country. », extrait d'Inglourious Basterds. 152 Ayres Tomaz Eduardo, « Présentation », Tumultes, n° 34, Le postmodernisme, et après ?, 2010, p.5. 153 Jencks Charles, The Language of Postmodern Architecture, New York, Rizzoli, 1977.

tels que la liberté, l'individualisme, l'universalité et le progrès. Ainsi comprise, la pensée postmoderne apparaît comme un effort : 1) pour reconstruire ces notions modernes d'une manière non-métaphysique, non-essentialiste, éliminant ainsi toute trace de référence à un quelconque « signifié transcendantal » (comme le dirait Derrida), et ceci afin : 2) d'institutionnaliser ces concepts dans la pratique, d'en faire les principes informatifs d'un nouvel ordre mondial qui, s'il se manifestait, représenterait alors en fait la véritable « postmodernité » »155

De façon plus globale, le postmodernisme peut être alors considéré comme « un style différencié et

croisé de penser, d’agir, de produire, de créer, de performer et même de parler qui traverse les savoirs et les pratiques. Tout est performance et politique, interférence culturelle et célébration de l’hétérogénéité »156.

1.2 Éléments invariants

Certains éléments marquent l'appartenance au mouvement quelle que soit la forme d'art concernée. Là où le modernisme cherchait avant tout l'originalité et la création d’œuvres inédites, le postmodernisme lui, décide de réutiliser toutes les formes déjà existantes sous forme de pastiches ou de citations par exemple. « Tout texte est un intertexte »157 disait Roland Barthes et les œuvres

postmodernistes semblent porter en leur sein cette conscience de n'être que « transtextuelles » au sens de Gérard Genette, c'est-à-dire « en relation manifeste ou secrète avec d'autres textes »158.

L’œuvre d'art postmoderne se définit donc par le fait qu'elle est constituée d'éléments de formes antérieures assemblés de manière hétéroclite, que ce soit des mixages, des collages ou des mélanges.

Une autre caractéristique est la volonté de ne plus tenir compte de la hiérarchie entre culture élitaire et culture populaire. L’univers postmoderniste est l'univers où on célèbre la « culture pop » et ses éléments emblématiques (télévision, musiques rock ou hip hop, bandes dessinées etc). La culture « légitime » pour reprendre la terminologie bourdieusienne n'est plus la référence obligée et reconnue comme telle. Elle n'abandonne pas pour autant l'espace postmoderne mais elle accepte de la partager avec les formes de la culture populaire. La frontière entre art noble et art populaire semble abolie.

L'ironie est une des autres caractéristiques communes. L’artiste postmoderne réemploie les anciennes formes mais en gardant toujours une distance ironique avec ces dernières : « On sait que

dans le domaine des arts par exemple et plus précisément des arts visuels ou plastiques, l'idée dominante est qu'aujourd'hui, c'en est fini du grand mouvement des avant-grades. Il est pour ainsi dire convenu de sourire ou de rire des avant gardes qu'on considère comme les expressions d'une modernité périmée. »159

155 Madison Gary, « Visages de la postmodernité », Études Littéraires, vol 27, n°1, 1994, p. 118. 156 Ayres Tomaz Eduardo, Ibid., p.7.

157 Barthes Roland, cité par Brunn Alain, « Intertextualité », Dictionnaire des notions, Encyclopédia Universalis, 2005, p.631.

158 Genette Gérard, Palimpsestes, La littérature au second degré, Paris, Seuil, coll. Points Essais, 1992, p.7. 159 Lyotard Jean-François, La condition postmoderne, Paris, Minuit, 1979, p.33.

1.3 Au cinéma

Pour ce qui concerne plus spécifiquement le cinéma postmoderne dont René Prédal note qu'il est « modeste », « qu'il repose sur la conscience que tout a été dit, déjà et qu'il faut reprendre les

anciennes règles en renouvelant ce qui peut l'être »160 , c'est Laurent Juiller qui en a donné une des

définitions les plus détaillées dans son ouvrage « L'écran postmoderne, Un cinéma de l'allusion et

du feu d'artifice »161 et dont on retrouve une trame dans son article « Des nouvelles du style postmoderne. »162 L'auteur explique que si ce qualificatif de « postmoderne » sert à désigner une

majorité des films produits depuis ces trente dernières années, le phénomène date de l'arrivée sur les écrans mondiaux en 1977 du premier volet (chronologiquement parlant) de la série Star Wars qui regroupe les deux caractéristiques majeures selon lui du style postmoderne, à savoir « l'éclectisme

allusif et l'immersion. »163 « L'éclectisme allusif » est ce qui « donne au film postmoderne, composé de figures stylistiques empruntées à différents genres, son côté frankensteinien. »164 . Le cinéma

postmoderne recycle des figures anciennes, souvent en les détournant : « Si la parodie est un art au

second degré, on peut dire que le contexte postmoderne permet aux films d'aspirer au troisième degré. »165 « L'immersion », quant à elle, « consiste à produire des effets quasi-physiologiques sur les spectateurs, indépendants de leur culture personnelle et de leur investissement dans ce qui est raconté. L’opération suppose, en premier lieu, l’utilisation d’une ceinture de haut-parleurs qui diffusent une bande-son privilégiant les contrastes dynamiques et les fréquences graves. En second lieu, l’immersion fait appel à des figures visuelles hypnogènes, essentiellement des travellings avant tournés avec un objectif à distance focale courte »166 C'est donc la technique, autant la technique de

tournage du film que celle de leur diffusion dans les salles, les effets dus à cette technicité du film qui permettent l'immersion dans ce que Laurent Jullier nomme « la sensation brute. »167 Les films

postmodernes qu'il nomme aussi des « films-concerts »168 sont des films qui « se présentent volontiers comme des expériences sensorielles à vivre au présent . »169 et qui, pour cela, usent des « figures de l'immersion » que sont « la prééminence de la dimension sonore du spectacle cinématographique, le peu d'importance accordée à l'idée d'une image qui serait la trace d'un événement réel, caractéristique de l'âge d'or du numérique ; enfin, la figure visuelle de travelling avant. »170 Tout dans ces films contribue à plonger le spectateur et la spectatrice dans un bain de

sons et d'images.

Ils « racontent des histoires minimales de façon souvent a-causale »171, c'est-à-dire que le cinéma

postmoderne en a fini du récit traditionnel qui établissait un certain type de lien entre les événements de l'histoire : « L'esprit ludique postmoderne demande une certaine indulgence au

spectateur concernant les chaînes causales. »172 Il est clair que « le visuel (on devrait dire l'audio- visuel) prime sur le récit des péripéties et de l'évolution du rapport des personnages entre eux. »173.

Mais si « avec La Guerre de Étoiles, c'est encore le modèle du « tour de manège » qui prévaut »,

160 Prédal René, 900 cinéastes français d'aujourd'hui, Paris, Ed Cerf/Télérama, 1988, p.368.

161 Jullier Laurent, L'écran post-moderne, Un cinéma de l'allusion et du feu d'artifice, Paris, L’harmattan, coll. Champs Visuels, 1997.

162 Jullier Laurent, « Des nouvelles du style post-moderne », Positif, n°605-606, juillet-août 2011. 163 Jullier Laurent, Des nouvelles du style postmoderne, Ibid., p.1.

164 Ibid.

165 Jullier, Laurent L'écran postmoderne, Ibid. p.19. 166 Ibid. 167 Ibid. p.8. 168 Ibid., p.10. 169 Ibid., p.67. 170 Ibid, p.10. 171 Ibid., p.105. 172 Ibid., p.150. 173 Ibid.

quinze ans plus tard, quand Reservoir Dogs, le premier long métrage de Quentin Tarantino sort sur les écrans, peut-on dire qu'on en est toujours là ?

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