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Partie III : Des objets aux sujets

Chapitre 1 : Les objets d'étude

2. Analyse des extraits

2.5 Kill Bill Volume 2 : Tableau de famille

L'extrait d'une durée de 4 minutes 10 est tiré du deuxième opus de Kill Bill. Il se situe à la fin du long-métrage, dans le dernier chapitre intitulé « Face to face»712 », à 1 heure 28 minutes du début.

Il met en scène Uma Thurman (Beatrix), David Carradine (Bill) et Perla Haney- Jardine (BB).

2.5.1. Description

La scène débute sur l'arrivée de Beatrix chez Bill. Son katana bien en évidence sur son dos, elle s'apprête à entrer mais avant, elle s'arme également d'un gros revolver. Puis elle pénètre dans la

707 Moine Raphaëlle, Ibid., p.49 et 51.

708 « His youth is offset by the excesses of his folly. »

709 Bertini Marie Joseph, Ni d’Ève, Ni d'Adam, Défaire la différence des sexes, Paris, Max Milo, 2009, p.59. 710 Bertini Marie Joseph, Ibid., p.60.

711 Letort Delphine, « Le thriller érotique : de la libération sexuelle à la morale puritaine », Le cinéma des années

Reagan. Un modèle hollywoodien ?, Ibid., p.148.

villa. Elle découvre un immense salon dans lequel elle remarque le katana de Bill, exposé près d'un canapé circulaire. Le sabre est comme la promessse du combat à venir et qui ne pourra pas être évité. Elle contourne le divan, très prudente et se retrouve près d'une porte qui donne sur l'extérieur. Elle lève son arme et se jette sur la terrasse. Le plan suivant est un gros plan sur le visage héberlué de l'héroïne. Face à elle, on va découvrir une petite fille qui pointe un revolver en plastique sur elle en criant : « Haut les mains, maman ! »713 et à ses côtés assis à même le sol, Bill tenant lui aussi un

revolver en plastique. Ce-dernier va faire le mort et intimer l'ordre à sa fille de faire de même : « Elle nous a eus, BB, maman nous a eus ! »714 Le visage de Beatrix exprime après la surprise un

état d'hébétude absolue. Elle comprend qu'elle a sa fille devant elle alors qu'elle la croyait morte. Bill et la petite font semblant de mourir et s'écroulent lentement au sol. Bill poursuit un récit vraisemblablement commencé avant l'arrivée de Beatrix et dans lequel il a immédiatement inséré un nouveau personnage : « Mais Kiddo-la-gâchette ne savait pas que BB faisait semblant d'être

morte... Pour la simple raison qu'elle était imperméable aux balles ! »715 La petite fille se relève

donc et fait semblant de tirer sur sa mère. Celle-ci les yeux envahis de larmes met un peu de temps à comprendre le rôle qu'elle doit jouer mais finit par s'écrouler au sol. La petite court vers elle : «

Maman, ne meurs pas ! C'était pour rire ! »716 Beatrix serre alors sa fille dans ses bras et Bill

explique « Je lui ai dit que tu étais endormie mais qu'un jour, tu te réveillerais et que tu

reviendrais. »717 Beatrix peut alors profiter de ce moment de tendresse avec sa fille tout en jetant

des regards haineux à Bill, ce qui sous-entend qu'elle n'a pas pour autant oublié la raison qui l'a amenée là. Bill justement s'approche d'elles et va obliger la petite fille, un peu intimidée par la présence soudaine de sa mère à répéter ce qu'elle disait avant même de la connaître : « J'ai dit que

tu étais la plus belle des mamans du monde … et jusqu'aux étoiles ! »718 La scène se clôt sur un plan

des trois personnages, mère et fille face à face et Bill accroupi à leurs côtés.

2.5.2. Analyse

Cet extrait donne l'occasion d'évoquer la thématique de la famille puisque c'est bien une famille que nous avons à l'écran : le père, la mère et leur enfant. Mais avant d'arriver à ce plan final qui montre la famille reconstituée, il aura fallu qu'elle soit d'abord morcellée et c'est l'enfant qui va, de façon très traditionnelle, venir jouer le rôle du ciment pour consolider les liens familiaux. Cette enfant aura été l'enjeu majeur du couple dès sa conception. En effet, c'est pour la protéger que Beatrix a quitté Bill, le privant de son enfant ; c'est pour se venger que Bill a tenté de tuer Beatrix, qu'il lui a pris son bébé et c'est finalement lui qui laisse l'enfant revenir vers sa mère dans cette scène.

En faisant cela, il permet aussi à Beatrix de combler le manque dans lequel s'est inscrit sa soif de vengeance, ce traumatisme initial qu'a été la perte de l'enfant. Bill fait entrer Beatrix dans un shéma traditionnel et attendu : une femme n'est vraiment femme que si elle est mère. Or Beatrix avec son corps androgyne, ses vêtements masculins voire empruntés à des héros masculins (la tenue de Bruce Lee ou les santiags du cow-boy), ses compétences masculines, force, courage, résistance à la douleur et sa capacité à se battre avec des armes traditionnellement confiées aux héros masculins, katana, pistolet, couteau, poings, et sa « maternité avortée » finit par mettre en jeu la problématique de l'identification sexuelle. Or nous voyons bien dans cette scène que c'est le moment où elle va

713 « Hands up, mom! »

714 « She had us! BB, mom had us! »

715 « But Kiddo-The-Trigger didn't know that BB was pretending to be dead... for the simple reason that she was impervious to bullets! »

716 « Mom, don't die! It was for fun! »

717 « I told her you were asleep but one day you wake up and you'd come back!»

retrouver sa fille qui fait de Beatrix un personnage plus féminin selon les normes sociales : elle porte une jupe pour la première fois dans le film, un petit haut bleu et elle a les cheveux détachés. De plus l'immédiateté de la reconnaissance entre mère et fille, montrée comme quasi instinctive, tend à perpétuer l'idée d'une sorte d'instinct maternel. Cette maternité va venir canaliser la violence de l'héroïne. Maxime Cervulle indique : « La violence de Kiddo et son potentiel de vengeance

contre les agents du sexisme est canalisée via la maternité et, ainsi, rendue impuissante à menacer vraiment les opérateurs de l'hégémonie masculine. »719 et Raphaelle Moine note que « Le thème

maternel a des allures de retour du refoulé dans un film qui prétend ignorer l'étrangeté de figures guerrières aussi aguerries que les hommes... »720 La maternité serait l'unique et profond désir de

Beatrix même s'il faut attendre la fin du film pour que cela paraisse. Tout le travail du film consiste donc à démontrer que cette femme pour ne pas être trop inquiétante doit avoir une bonne raison pour agir ainsi et cette raison ne peut qu'être la conquête de sa féminité grâce à la maternité retrouvée.

L'ultime image de la scène qui voit toute la famille réunie dans le même plan met en image une « normalité » elle aussi retrouvée à savoir un couple hétérosexuel avec leur enfant. Beatrix subit de plein fouet le poids du patriarcat. Bill en effet qui était jusque là une sorte de Dieu tout puissant et mystérieux devient dans cette scène l'image du bon père de famille. Il a élevé sa fille dans le souvenir vivace de sa mère : « Ta mère n'a pas cessé de rêver de toi ! »721 Ce personnage masculin

fantomatique durant tout le premier opus et figure omipotente du second opus semble s'humaniser au contact de l'enfant. Il devient l'archétype du patriarche qui règne dans le cercle familial. C'est d'ailleurs lui qui indique à BB et à Beatrix quoi faire, comment agir : «Écroule toi, chérie ! », « Ne

bouge pas, chérie ! » « Tu es morte.. alors meurs ! » 722à Beatrix. Il impose aussi la parole : «

Raconte à maman ce que tu disais...»723 Mais il est une figure de la paternité quelque peu

ambivalente. Le jeu qu'il partage avec sa fille n'est en effet pas anodin. Il joue aux pistolets et même s'il s'agit à l'écran clairement de jouets aux couleurs fluorescentes et enfantines, on ne peut s'empêcher de voir dans ce passe-temps une forme de préparation qui viserait à former sa fille au métier de tueuse. Il y a même une forme de sadisme à faire tirer la petite fille sur sa mère pour la tuer. Il la prépare donc à l'univers des armes et à affronter n'importe quelle situation, fut-elle la plus compliquée possible.

Le retour au modèle traditionnel de la famille patriarcale est donc opéré en cette fin de film : « Au

terme du film, et de sa quête, notre héros a retrouvé sa fille, élevée par son père, vivante, et pourra enfin abandonner sa vie de tueuse professionnelle pour se consacrer à une maternité qu'elle avait choisie et dont l'ultime obstacle, Bill, mort dorénavant, ne pourra plus la priver. »724 écrivent

Fabienne Malbois et Jelena Ristic.

719 Cervulle Maxime, « Quentin Tarantino et le (post)féminisme. Politique du genre dans Boulevard de la mort»,

Nouvelles Questions Féministes, Ibid., p.37.

720 Moine Raphaëlle, Ibid., p.101.

721 « Your mother has not stopped dreaming of you ! »

722 « Fall down, darling ! », « Don't moove, darling! » à la petite ou encore «You're dead.. then die !»

723 « Tell mommy what you said ! Please, tell her ! »

724 Malbois Fabienne, Ristic Jelena, « Beatrix Kiddo : La mariée était en noir, alias la maman et le sabre du

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