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Partie II : Oser faire un pas de côté

Chapitre 4 : Étude de la filmographie de Q Tarantino, mise en scène du Genre

2. Masculinités, féminités

2.5 Genre et figures archétypales

2.5.1. Archétypes et patriarcat

Le cinéma de Tarantino repose énormément sur ses personnages qui présentent pour la plus grande majorité d'entre eux la caractéristique principale d'être des figures archétypales fortement structurées autour de leur Genre. Ainsi, on retrouve toute une galerie de personnages qui appartiennent aux clichés de la masculinité et de la féminité. La bande de Reservoir Dogs, Jules et Vincent dans Pulp Fiction incarnent la figure du gangster ; assez proche, Ordell et Louis dans Jackie Brown sont des truands, Budd dans Kill Bill, mais également Django dans Django Unchained et une majorité des personnages de The Hateful Eight représentent le cow-boy, Butch dans Pulp Fiction est le boxeur, les yakuzas de Kill Bill personnalisent l'image du guerrier, il y aussi la figure du soldat dans Inglouious Basterds, le tueur en série dans Death Proof ou le policier, dans Reservoir Dogs, Jackie Brown, dans Kill Bill, dans Death Proof et dans une certaine mesure on retrouve le shérif dans The Hateful Eight et dans Django Unchained. Autant de figures archétypales de la masculinité. Du côté des types féminins, on retrouve l'infirmière dans Kill Bill, la femme- enfant dans Pulp Fiction, la femme fatale dans Pulp Fiction, Kill Bill ou Inglourious Basters, la star dans Death Proof ou dans Inglourious Basterds. Chacun des films de Tarantino comporte plusieurs figures archétypales que les publics peuvent donc facilement identifier. L'utilisation de ces figures est bien entendu liée au genre cinématographique dans lequel chaque film s'inscrit puisqu'il est entendu que le cinéma de Tarantino est un cinéma de genre mais on peut légitimement remarquer que ces archétypes proposent des images figées non seulement d'un genre cinématographique mais surtout d'un Genre, masculin ou féminin, alors perçus comme des schèmes.

Or la présence de ces clichés de la masculinité et de la féminité dans ces films nous semble particulièrement intéressante dans la mesure où ces figures viennent imposer des normes comme autant de faits établis. La définition du stéréotype par Morfaux par exemple est éclairante : « Clichés, images préconçues et figées, sommaires et tranchées, des choses et des êtres que se fait l'individu sous l'influence de son milieu social (famille, entourage, études, profession, fréquenttations, médias de masse...) et qui déterminent à plus ou moins grand degré nos manières de penser, de sentir et d'agir. »549 puisqu'elle indique le mouvement de va et vient communicationnel

entre le cliché et les publics. La figure est à la fois construite par l'individu selon sa socialisation mais elle assigne en même temps ce même individu à reconnaître les normes du stéréotype et à s'y conformer. En mettant en scène des stéréotypes masculins représentant la force, le courage, la violence, la domination et des stéréotypes féminins incarnant la faiblesse, le besoin de protection, le soin apporté à l'entourage ou le désir sexuel, le cinéma de Tarantino dresse les grandes lignes de ce que doit être la masculinité et ce que doit être la féminité. Parce que le stéréotype est en lien avec le préjugé, il va imposer une attitude de certains individus ou groupes envers d'autres, l'attitude étant « la position qu'adopte un agent individuel ou collectif envers un objet donné, position qui s'exprime par des symtômes et qui règle des conduites. »550 Perpétuant l'idée que masculinité et féminité vont de pair avec des caractéristiques bien précises que nous avons déjà rappelées, le cinéma de Tarantino vient donc participer aux effets multiples de la distribution des rôles entre les sexes et faire en sorte qu'en inculquant ces stéroypes aux publics, ces-derniers les intériorisent et soient amenés à les reproduire dans leurs comportements.

549 Morfaux Louis-Marie, « Stéréotype », Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines, Paris, Armand Colin, 1980, p.34.

De plus, on ne peut pas omettre la force de légitimation que comporte le stéréotype de Genre. Ainsi la domination masculine se trouve renforcée par l'utilisation répétitive de tous ces clichés. Comme le note Shérif et Shérif : « La promulgation d'images de supériorité-infériorité dans une société est (...) l'un des moyens qu'utilise le groupe dominant pour maintenir sa position »551 C'est donc comme un agent actif du maintien de la domination masculine qu'apparaît la filmographie tarantinienne. Dans Pulp Fiction, Mia doit la vie à la capacité de réaction de Vincent et de Lance qui vont la sauver alors qu'elle est présentée comme ayant fait « une bêtise » ; dans Jackie Brown, l'héroïne qui évolue constammant sous le regard des hommes sera amenée à choisir entre la liberté et l'amour mais il est clair qu'elle ne peut pas prétendre aux deux ; dans Kill Bill, Beatrix est autorisée par le récit à user de violence parce qu'elle a pour motivation la maternité qui lui a été enlevée et qu'elle doit donc à tout prix retrouver ; les filles libres et libérées de Death Proof paieront de leurs vies cette attitude ; Shoshana, dans Inglourious Basterds, se doit de venger sa famille et Bridget est présentée comme incapable d'une stratégie militaire correcte. Quant aux personnages féminins de Django Unchained, elles sont soit esclaves, c'est le cas de Brummhilda, soit serviles, pour Lara-Lee Candy par exemple, la soeur du propriétaire de la plantation, uniquement définie dans son rapport à cet homme. Enfin l'unique personnage féminin de The Hateful Eight est une prisonnière entièrement soumise au chasseur de prime.

2.5.2. Archétypes et postmodernisme

Mais, dans le même temps, il nous semble erroné de ne lire la filmographie tarantinienne que comme un agent du patriarcat et ce pour une bonne raison : chez Tarantino, en effet, les stéréotypes sont, nous l'avons déjà signifié, particulièrement reconnaissables et pour cause. Ils s'inscrivent dans un cinéma postmoderne dont la définition même impose ce jeu de citations et donc de réitérations des « poncifs du genre ». Les stérérotypes chez Tarantino ne sont plus là pour jouer leur rôle mais pour que le film se jouent d'eux, ce qu'il ne manque pas de faire constamment. Le procédé filmique joue sur les comportements. Les gangsters de Reservoir Dogs aussi virils soient-ils finissent par pleurer et se tenir dans les bras les uns des autres, les tueurs de Pulp Fiction Jules et Vincent se retrouvent habillés comme de vulgaires américains moyens en train de manger dans un banal restaurant. Mais il joue également sur les aspects physiques, les personnages les plus stéréotypés étant montrés comme ayant des particularités souvent liées à des faiblesses physiques, réelles ou supposées : Marcellus Wallace, le patron de la pègre de Los Angeles a un gros sparadra dans le cou comme s'il s'était coupé maladroitement, Elle Driver dans Kill Bill est borgne, dans Death Proof, le cascadeur Stunman Mike a une grande balafre sur la joue, la grande star Birdget Von Hammersmark dans Inglourious Basterds, est affublée d'un énorme plâtre à la jambe et le corps de Django est strillé de cicatrices dues aux nombreux coups de fouets qu'il a reçus. Ce qui fait dire à Vincent Amiel et Pascal Couté dans leur ouvrage Formes et Obsession du cinéma américain contemporain : « Tarantino reprend en fait le plaisir qu'on peut éprouver à voir des stéréotypes (...) sauf que ces personnages ne sont plus des archétypes mais des figures singulières justement par les déplacements que réalise Tarantino. »552 Le jeu opéré par le film sur les stéréotypes qu'il utilise nous semble les positionner justement au centre d'une réflexion sur l'identité sociale, notamment sur l'identité genrée.

551 Sherif Muzafer, Wood-Sherif Carolyn, Social Psychology, New-York, Harper-Inter, 1969, p. 277.

552 Amiel Vincent, Corté Pascal, Formes et Obsessions du cinéma américain contemporain, Paris, Klienkisck, 2003, p.93.

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