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Le cinéma, un espace de mise en jeu du processus d'identification genrée

Partie II : Oser faire un pas de côté

Chapitre 3 : Ce que le cinéma fait au Genre

3. Le cinéma, un espace de mise en jeu du processus d'identification genrée

Si l'acte de regarder le film est éphémère, les effets qu'il produit sont, eux, permanents. Le film se présente comme « une herméneutique de soi » pour reprendre une terminologie empruntée à Paul Ricoeur. C'est à dire qu'on va toujours confronter ses propres expériences de vie à celle du cinéma. Un des vecteurs de cette confrontation est le phénomène d'identification. La fascination de l'image provient pour grande majorité de cette volonté d’identification notamment avec les personnages principaux des films et la majorité d'entre eux fonctionnent sur ce principe. Les dirigeants des grands médias américains en ont conscience et ne s'en cachent pas, tel Martin Quingley, éditeur de magazines de cinéma et qui a participé à l'écriture du code « Motion Picture production Code » qui a imposé ses lois aux films hollywoodiens entre les années 30 et les années 60 : « Grâce à la force

de leur présentation, grâce à l'aptitude du public à imiter les personnalités de l'écran qu'il admire, les conduites que l'on voit dans les films influencent ou tendent à influencer les concepts et les conduites des spectateurs . »346 Une majorité de films sont donc produits selon ce principe. Or les

personnages de ces films sont pour la grande majorité des stéréotypes de Genre. Ainsi le rapport «

Gender bias without borders » du Geena Davis Institut on Gender in Media donne quelques

340 De Lauretis, Ibid., p 41 et 42. 341 De Lauretis, Ibid., p.44.

342 Biscarrat Laetitia, « L'analyse des médias au prisme du genre : formation d'une épistémè », Revue Française des

SIC, 3/2013, mis en ligne le 30 juillet 2013.

343 De Lauretis Teresa, Ibid., p.65.

344 De Lauretis Teresa, Alice Doesn't : Feminism, Semiotics, Cinema, Indiana University Press, 1984.

345 Lépinard Éléonore, Molinier Pascale, « Entretien avec Teresa de Lauretis », Mouvements, 1/2009, n°57, p.84-88.

éléments quantitatifs : « Seuls 30,9% des personnages qui parlent sont des femmes. On voit 1

femme pour 2,34 hommes. 23% des films présentent une protagoniste féminine ; les femmes manquent dans les films d'action ou d'aventure. Seuls 23% des personnages qui s'expriment dans ces films sont des femmes. La sexualisation est un standard pour les personnages féminins dans leur globalité : les filles et les femmes ont deux fois plus de chance que les garçons ou les hommes d'être, par leurs vêtements, mises dans une représentation sexualisée, elles sont partiellement ou entièrement nues, minces et elles ont cinq fois plus de chance d'être présentées comme une référence sexuelle. Les films pour des publics plus jeunes vont moins sexualiser les femmes que ceux pour des publics adultes. Les personnages féminins représentent 22,5%. des personnages de films contre 77,5% pour les personnages masculins. Les positions de domination/d'autorité sont réservées aux hommes : seuls 13,9% des cadres et 9,5% des politiciens de haut niveau sont des femmes. Pour ce qui est des professions prestigieuses, les personnages masculins sont en surnombre par rapport aux personnages féminins : avocat et juges (13 hommes pour 1 femme), professeurs (16 pour 1), même chose pour le domaine médical. » 347 Ce qui montre bien que la

grande majorité des personnages de films de fiction sont des hommes et montrés dans des positions de domination au vue des professions qui leur sont attribuées. On pourrait sans mal rajouter qu'ils sont aussi blancs bien entendu. Ce qui veut dire qu'il est difficile pour les filles de trouver des personnages auxquels s'identifier, ou, quand elles en trouvent, ce sont des personnages féminins dans des rôles très stéréotypés, infirmières, serveuses ou secrétaires. De la même manière, les hommes trouvent donc des personnages masculins tout aussi stéréotypés : ils ont droit aux professions soit « musclées », type militaire ou policier, soit sur-diplômées, ingénieurs, avocats, monde des affaires ou des finances.

Or l'identification à ces personnages stéréotypés va jouer sur la construction genrée du spectateur ou de la spectatrice qui sont toujours beaucoup moins passifs qu'on ne le pense face aux films : « La

participation que l’on dit passive est moins passive qu’on ne pourrait le penser. Si les spectateurs rient au cirque en voyant un clown se laisser tomber brutalement comme une pierre, c’est parce qu’ils ont participé à sa marche avec toute la sympathie de leurs muscles et de leur sensibilité ; ils se sont plongés par anticipation dans sa conduite, dans l’intentionnalité de ses gestes, et ils voient le cadrage prédictif de ce qui allait arriver se détraquer sous leurs yeux. En ce sens, il faut dire qu’observer, c’est faire. »348 comme l'explique Goffman. Ce qui est particulièrement opérant dans le

cadre du cinéma. C. Metz explique « L’identification au regard propre est secondaire par rapport

au miroir, mais elle est fondatrice du cinéma et donc primaire lorsqu’on parle de lui : c’est proprement l’identification cinématographique primaire. »349 Regarder un film c'est donc, entre

autre mais surtout, s'identifier. Et, parce qu'il répète inlassablement les stéréotypes, le cinéma finit par « performer » le Genre pour reprendre la terminologie de Judith Butler. Se joue, à travers le cinéma, une assignation aux rôles sociaux stéréotypés et un maintien de la domination masculine.

347 « Only 30.9% of all speaking characters are female ; 1 female visible for 2,34 males ; 23% of film feature a female

protagonist ; females are missing in action/adventure films. Just 23% of speaking characters in this genre are female ; sexualization is the standard for female characters globally : girls and women are twice as likely as boys and men to be shown in sexually revealing clothing, partially or fully naked, thin, and five times as likely to be referenced as attractive. Films for younger audiences are less likely to sexualize females than are those films for older audiences. Female characters only comprise 22.5% of the global film workforce, whereas male characters form 77.5%. Leadership positions pull male ; only 13.9% of executives and just 9.5% of high-level politicians were women. Across prestigious professions, male characters outnumbered their female counterparts as attorneys and judges (13 to 1), professors (16 to 1), medical. », « Gender Bias without Borders : An Investigation of Female Characters in Popular Films Across 11 Countries » par Dr. L. Smith Stacy, Choueiti Marc, Dr. Pieper Katherine

with assistance from Yu-Ting Liu & Christine Song Media, Diversity, & Social Change Initiative USC Annenberg ; édité par le Geena Davis Institute on Gender in Media, 2015.

348 Goffman Erving, Les cadres de l’expérience, Paris, Minuit, Coll. Le sens commun, (1974) 1991, p.372-373. 349 Metz Christian, Le signifiant imaginaire,Psychanalyse et Cinéma, Paris, C. Bourgois, (1977) 2002, p.6.

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