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L’expression job board (littéralement « panneau d’emploi ») désigne le modèle de site emploi qui s’est développé à partir du milieu des années quatre-vingt-dix, d’abord aux Etats-Unis puis dans le reste du monde. Il s’agissait en premier lieu de proposer un service de publication d’offres d’emploi en ligne agrémenté d’un dispositif permettant aux candidats de les discriminer selon des critères préétablis (nomenclatures renseignées au moment du dépôt) ou via une recherche en plein champ dans le texte des offres. Par la suite, la plupart des job boards ont complété leur offre de service par la création de Cvthèques.

L’archétype du job board est Monster, acteur purement Internet (pure player) créé en 1994 et actuellement présent dans une quarantaine de pays. Les sites de ce type constituent aujourd’hui, en France et dans le monde, la forme de site emploi la plus commune. Ils existent à la fois en version généraliste (comme Monster) et en version spécialisée sur un segment particulier du marché du travail (un secteur, une profession, une compétence, une zone géographique, etc.). Les premiers sont assez peu nombreux mais de taille très importante (il y a eu un fort mouvement de concentration au début des années 2000) tandis que les seconds sont au contraire des acteurs de taille modeste mais très nombreux. Si l’expression job board a un temps été réservé aux pure players, elle s’applique maintenant à tout dispositif de publication en ligne d’offres d’emploi, et éventuellement de CV.

Nous l’avons dit, le modèle économique les job boards est fondé sur la nature biface du marché du travail et consiste de manière quasi-universelle à

subventionner le versant candidat (gratuité de la consultation des offres d’emploi et du dépôt de CV) pour se rémunérer sur le versant recruteur (services payants de publication d’offres d’emploi et de recherche dans la CVthèque). Notons qu’en France, depuis la loi de Cohésion sociale du 18 janvier 2005, il est de toute façon interdit de faire payer aux candidats la

consultation d’offres d’emploi ou l’envoi de leur CV.

Ce sont donc les recruteurs qui paient les services des job boards. Mais tous ne paient pas le même prix, là encore du fait du caractère biface sur modèle économique. Ainsi, une entreprise ne publiant qu’une seule offre d’emploi la paiera au prix fort (plusieurs centaines d’euros sur un grand job board généraliste) mais une autre en publiant un très grand nombre (par exemple une grande entreprise de travail temporaire) pourra la payer un prix dérisoire : « il y a

un moment Adecco payait 2 euros l’offre sur Monster »

(entretien avec un responsable de site emploi, 2015). Ceci dépasse très largement la logique commerciale de l’achat en « packs ». En effet, si la publication d’une seule offre a peu d’impact sur le versant candidat, une publication massive est au contraire susceptible de créer un fort effet d’attraction. Or, plus l’audience candidat d’un site est grande, plus le prix moyen que les

recruteurs sont prêts à payer pour y publier leurs offres ou pour y consulter des CV est important.

L’activité d’intermédiation des job boards se réclame d’un modèle de type « information » (Fondeur & Tuchszirer, 2005), dans lequel l’intermédiaire centralise les offres et les demandes et n’intervient pas

directement sur leur appariement. Candidats et recruteurs gèrent de manière autonome les

informations qu’ils diffusent et leurs recherches sur l’autre versant. L’idéal est l’automatisation totale des processus : « c’est vrai que le rêve des job boards, c’était

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bleue, une énorme base de données qui tourne toute seule, les gens se connectent, c’est eux qui tapent leurs annonces. Côté candidat, c’est pareil, ils consultent les offres et gèrent leur CV tout seuls. C’est du self partout… » (extrait d’un entretien au d’une agence de

communication RH cité dans [Fondeur & Tuchszirer, 2005]).

Pour autant, l’activité des job boards n’est pas neutre sur les appariements. D’abord, la facturation différenciée évoquée plus haut favorise les gros recruteurs, qui ont un accès moins onéreux à leurs services. Ensuite, ces services sont fondés sur des dispositifs de discrimination et de présentation de l’information qui définissent en partie les modalités de la rencontre. Par exemple, le simple fait qu’offres d’emploi et CV apparaissent de manière antichronologique dans les résultats de recherche confère une prime à la nouveauté et oriente donc les appariements. Ceci conduit d’ailleurs les recruteurs et les candidats à réactualiser leurs dépôts de manière à se retrouver en tête de liste. Un testing expérimental (non publié) mené en 2010 au CEE sur plusieurs CVthèques de job boards a montré que le fait d’actualiser régulièrement son CV augmentait considérablement les chances d’être contacté par un recruteur. Autre exemple : le fait de fournir un filtre aux recruteurs sur le niveau de diplôme pour trier les candidatures (ce que font tous les job boards) va mécaniquement accentuer l’importance de ce critère dans les appariements. Enfin, dernier point mettant à mal la « neutralité » de l’intermédiation des job boards : ils proposent à peu près tous aux recruteurs des services payants de mise en avant, permettant à ceux qui les souscrivent d’obtenir une plus grande visibilité de leurs offres (arrivée en tête de liste, éléments graphiques différenciant, etc..) ou de leurs opérations de

recrutement en général (dispositifs de communication). Le positionnement des job boards par rapport à l’offre et à la demande n’est, lui non plus, pas neutre. Nous l’avons vu, ce sont clairement les recruteurs qui font vivre ces acteurs. Il est donc tout à fait logique qu’ils leur offrent des services plus étendus qu’aux candidats. Par exemple, ces derniers ne disposent pas d’outils aussi pointus de ciblage et de discrimination de l’information que les recruteurs, ni bien sûr de services de mise en avant de leur candidature. L’activité d’intermédiation des job boards est d’abord orientée vers la satisfaction des recruteurs, les candidats étant considérés comme les cibles de ces derniers. Nous avons là une illustration du fait que le modèle économique d’un intermédiaire détermine largement son modèle d’intermédiation et

son rapport aux deux versants du marché du travail. Pour autant, le discours de ces acteurs met au contraire l’accent sur la neutralité et l’équilibre de leur mode d’intermédiation vis-à-vis des deux versants du marché du travail.

L’activité des job boards est très largement aterritoriale : le territoire n’intervient que comme variable de

discrimination de l’information (rechercher des offres ou des candidats dans telle ou telle zone géographique). Cette variable étant très prisée par les candidats et les recruteurs, certains job boards ont décliné leur offre en site régionaux, en offrant par ailleurs une finesse de recherche allant jusqu’au niveau de la commune. C’est en particulier le cas de Regionsjob, un des principaux acteurs français qui est décliné en 8 sites différents : CentreJob EstJob NordJob OuestJob PacaJob ParisJob RhoneAlpesJob SudOuestJob. Le succès d’un site d’annonces classées comme Leboncoin dans le domaine de l’emploi est également fondée sur une granularité de ce type (mais à partir d’un seul et même site national cette fois). Nous reviendrons plus en détail quand nous aborderons plus loin ce type de variante des

job boards. Il faut cependant bien préciser qu’au-delà

de cette dimension de variable de segmentation du marché et de discrimination de l’information, il n’y a pas d’ancrage territorial de l’activité au sens où les relations avec les acteurs locaux sont inexistantes. Les job boards sont des structures de petites tailles qui jouent sur l’automatisation des process et la gestion à distance que leur permettent l’informatique et Internet. Rares acteurs qui disposent d’équipes décentralisées et il s’agit dans ce cas exclusivement de personnel dédiés à la prospection commerciale auprès des entreprises.

D’une manière générale, y compris au niveau national, les job boards s’inscrivent assez peu dans les jeux d’acteurs. Leurs interventions se limitent généralement à des opérations de communication ou de lobbying et les partenariats sont peu nombreux. Par ailleurs, leur représentation collective est faible : leur organisation professionnelle, l’APPEI (Association des Professionnels pour la Promotion de l'Emploi sur Internet), ne

rassemble qu’une quarantaine de membres et beaucoup d’acteurs importants en sont absents (parmi les 10 premiers sites emploi français, seuls deux sont membres de l’association, Keljob et Cadremploi, tous deux appartenant au groupe Figaro) ; elle a par ailleurs connu, depuis sa création en 2000, plusieurs phases de quasi inactivité. Cette configuration est probablement l’expression d’un marché très concurrentiel où l’on se dispute âprement les bases d’offres d’emploi et de CV

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et la place d’intermédiaire central sur tout ou partie du marché du travail en ligne. De ce point de vue, il est intéressant de noter le fait que l’APPEI rassemble des acteurs existant de longue date, installés sur le marché, et semble fermée aux nouveaux entrants arrivés au cours des dernières années. D’autre part, force est de constater que l’APPEI ne s’est vraiment animée qu’autour des initiatives de l’ANPE/Pôle emploi

(charte Net Emploi, Transparence du Marché du Travail) ou de la question de l’utilisation de ces données (open

data).

Les job boards peinent à construire des relations collectives avec les pouvoirs publics et les autres intermédiaires du marché du travail mais n’en sont pas moins, individuellement, les acteurs centraux du marché du travail en ligne. Ils entretiennent en premier des relations commerciales avec la plupart des

intermédiaires privés « traditionnels » : entreprises de travail temporaire, cabinets de recrutement, sociétés de services et d’ingénierie informatique (SSII).

Concernant les premières, ce sont les grands réseaux qui sont particulièrement friands des job boards et, comme nous l’avons vu plus haut, le volume très important de missions qu’ils gèrent leur permet de négocier auprès d’eux des tarifs adaptés aux faibles marges associées à leur activité d’intermédiation. Le groupe Adecco a d’ailleurs imaginé un temps qu’une intégration verticale serait pertinente : il a acheté en 2002 le site Jobpilot, qui était alors un des premiers acteurs européens du secteur, avant de le revendre deux ans plus tard à Monster. En dehors de cet épisode, aucun autre rapprochement de ce type n’a été opéré, ce qui tend à indiquer que si les grands réseaux de travail temporaire utilisent massivement les job boards, ils considèrent qu’il n’y a pas lieu à s’engager dans une stratégie d’intégration.

Après avoir subi dans un premier temps un effet de désintermédiation (on parlerait peut-être aujourd’hui d’uberisation…) lié à l’arrivée des job boards, les cabinets de recrutement se sont adaptés à ce nouvel

intermédiaire et l’ont adopté comme outil de sourcing.

Ils sont notamment, avec les SSII, les principaux utilisateurs des CVthèques (que les utilisateurs finaux utilisent très peu), bien qu’ils tendent à leur préférer depuis quelques années les réseaux sociaux numériques professionnels (LinkedIn, Viadeo), censés rassembler davantage de candidats en emploi.

Enfin, les SSII, qui fonctionnent largement comme des intermédiaires du marché du travail, mobilisent aussi massivement les job boards, mais de manière très particulière (Fondeur, 2013). D’abord, les annonces publiées par les SSII ne correspondent pas

systématiquement, loin s’en faut, à un emploi vacant. Une étude de l’Apec a ainsi relevé que, sur la base des seules offres d’emploi publiées par son biais, on comptait dans les activités informatiques plus de 1,5 postes offerts par recrutement effectif, alors que ce rapport n’était que de 0,9 tous secteurs confondus (Bonnevaux et al., 2006). Le fait que le modèle d’activité des SSII est fondé sur une constante anticipation des besoins de recrutement et un fonctionnement en flux tendus implique le maintien d’une activité continue de sourcing sans lien avec des emplois effectivement vacants. Publier des offres d’emploi génériques sur des besoins récurrents est un des outils mis en œuvre à cette fin. Les CVthèques en sont une autre, que les SSII mobilisent très fortement. Le testing expérimental mené en 2010 au Centre d’études de l’emploi, déjà évoqué plus haut, en donne une bonne illustration : 70 % des contacts suscités par les profils tests d’informaticiens déposés dans les cinq CVthèques retenues dans l’étude étaient le fait de SSII (contre 25 % pour les cabinets de recrutement et seulement 5 % pour les recruteurs finaux).

Les relations des job boards avec les autres acteurs du marché du travail en ligne sont complexes. Nous l’avons dit, deux types d’acteurs sont venus s’intercaler entre eux et l’un ou l’autre des versants du marché du travail : les agrégateurs et les multidiffuseurs d’offre d’emploi. D’abord perçus comme une forme de parasitage, l’activité de ces acteurs est maintenant plus ou moins acceptée par les job boards, à la condition - pas toujours respectée - qu’elle ne rogne ni sur leurs marges ni sur leur marché.

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