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84 DYNAMIQUES TERRITORIALISÉES DU CHAMP DE L’INTERMÉDIATION / ÉTUDES ET RECHERCHES

ENTREPRISES DE TRAvAIL TEMPORAIRE (ETT)

84 DYNAMIQUES TERRITORIALISÉES DU CHAMP DE L’INTERMÉDIATION / ÉTUDES ET RECHERCHES

Un modèle économique qui évolue et qui modifie les modes d’intervention des ETT : le cas des accidents du travail

Une des caractéristiques de l’intérim est que les intérimaires mis à disposition connaissent une prévalence des accidents du travail plus élevée que la prévalence constatée auprès des salariés en poste. Outre qu’ils contribuent à la mauvaise image de l’intérim, ces accidents représentent un coût pour les agences64. Dans le cas des entreprises en réseau, le siège

fait le choix de faire porter la charge financière sur les agences pour les inciter à réduire ces coûts. « Les

accidents du travail nous coûtent très, très cher ! […] Là, j’en ai un qui est arrêté depuis le mois d’octobre, là j’en suis à plus de 22 000 euros. […] C’est impacté sur les résultats de l’agence, donc nous au moins, on a des accidents de travail, au mieux c’est pour nous parce que forcément, ça descend nos marges et ça descend nos com' à nous, personnel permanent. » (Responsable

d’agence « challenger » 2, Territoire 1)

La volonté de limiter les accidents conduit les agences à récupérer des informations auprès des intérimaires et, en cas d’alerte, à tenter d’intervenir auprès des

entreprises utilisatrices : « C’est dur [de parler aux employeurs], c’est pour ça qu’il faut y aller, il faut aller sur place. […] Par contre, moi quand il arrive des choses comme ça, je préviens les intérimaires et je leur dis : « “il y a quoique ce soit, il faut aller le signaler tout de

suite” » (Responsable d’agence « challenger » 2,

Territoire 1). Pour autant, les ETT veillent à ne pas s’immiscer dans l’organisation et la réalisation du travail chez leurs clients : « nous ne pouvons pas nous mettre

à la place du client pour engendrer les modifications nécessaires si nécessaire …parce que, dans certains cas, ça s’est produit mais parce que, aussi, la personne n’a pas respecté les consignes de sécurité, parce que ça, ça arrive aussi quelquefois… euh, je prends un cas où, par

exemple, la personne s’est coupé un doigt parce qu’elle n’a pas arrêté la machine… » (Responsable d’agence

major, Territoire 2).

Une activité de placement plutôt en marge

Dans le modèle économique des agences, l’activité de recrutement en CDD et CDI joue un rôle spécifique, bien qu’elle reste encore très limitée. Autorisée depuis 2005, les entreprises d’intérim y ont vu un moyen de

poursuivre leur institutionnalisation et leur

légitimation65, voire leur « notabilisation », tout en

diversifiant leurs activités à des fins commerciales. Il faut distinguer cette activité des clauses prévues au

contrat en cas d’embauche d’un intérimaire avant la fin de sa mission d’intérim, clauses qui existaient déjà avant 2005. Le recrutement est une activité plus rentable que l’intérim classique mais sur laquelle seules les plus grosses ETT s’aventurent : « Pour le placement,

on prend un pourcentage du salaire, on est d’accord. Le seul hic du placement, c’est qu’on perd notre intérimaire, donc on facture ça aussi, entre guillemets. Mais pour nous, c’est beaucoup plus avantageux de faire un placement que de prendre quelqu’un sur 3 mois en intérim. Les marges ne sont pas les mêmes, vraiment pas. » (Challenger 2, Territoire 1).

Cette activité est parfois présentée comme une activité à part, ce qui explique qu’au sein de certaines ETT elle soit confiée à des salariés dédiés et conduise au recrutement de personnel qualifié : « Moi j’ai encore

cette vilaine habitude de l’intérim, de moi-même je ne vais pas forcément le proposer [le placement], sauf si le client me dit vraiment texto : “j’ai besoin de quelqu’un en CDI”. Là oui, je vais tilter, mais par exemple, un client qui me dit : “je cherche quelqu’un que par la suite j’aimerais remplacer une autre personne et j’aimerais bien

embaucher cette personne”, de moi-même ça ne va pas me venir à l’esprit. Donc c’est pour ça aussi que, dans certaines structures, il y a des personnes qui sont dédiées vraiment au placement. Donc oui, on en a fait des placements, on en a fait beaucoup sur des profils qualifiés, donc on en a fait pas mal l’année dernière, on a atteint nos objectifs. Cette année non, pour l’instant, mais oui on en a fait surtout sur des profils qualifiés. »

(Challenger 2, Territoire 1). A l’inverse, au sein d’une major du territoire 2, l’activité de recrutement est considérée comme étant la continuité de l’activité d’intérim : « quand vous êtes capable de faire des recrutements pour du travail temporaire, vous êtes capable de faire du recrutement pour du CDD et CDI. Un recrutement est un recrutement, […]. Vous allez être positionné pour une mission de 4 mois en intérim ou vous allez être proposé pour un CDD de 6 mois, y’a aucune différence dans le traitement de la demande. Vous allez présélectionner la personne de la même façon ».

Tout l’enjeu pour le secteur est d’éviter que cette activité entre en concurrence avec leur cœur de métier. La stratégie développée est de segmenter le « marché » du recrutement : les recrutements opérés par le secteur concernent à 30 % des cadres (alors qu’ils ne

représentent que 2 % des intérimaires). Les ouvriers qualifiés et non qualifiés représentent moins d’un cinquième des personnes recrutées (12 % et 5 % respectivement)66.

64. Lapoire M. (2011), « Travail temporaire, marché permanent- Quand les contraintes réglementaires génèrent des échanges », Droit et société, 2011/1, n° 77, p. 19-37. 65. Belkacem R., Kornig C. (2011), « La construction sociale du travail intérimaire : de ses origines aux États-Unis à son institutionnalisation en France »,

Socio-Économie du Travail, n° 33 (Économies et Sociétés, tome XLV/8), août 2011, p. 1301-1327. 66. Source Rapport économique et social 2014, Prism’emploi.

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ÉTUDES ET RECHERCHES / DYNAMIQUES TERRITORIALISÉES DU CHAMP DE L’INTERMÉDIATION

Une pratique d’intermédiation tournée vers une double gestion des flux

La construction du tissu d’entreprises clientes

Une des particularités des ETT est de devoir prospecter à la fois des entreprises clientes et des travailleurs à déléguer dans ces entreprises. Les relations nouées avec ces deux parties sont marquées par l’instabilité.

La prospection des entreprises est première. Les agences sont prises dans une tension entre prospecter un ou des gros clients qui assurent une grosse partie de leur activité ou chercher à diversifier leurs portefeuilles de clients pour ne pas prendre le risque de voir l’activité chuter fortement en cas de perte de ce client (cf. 1.1). Les méthodes de prospection mobilisées sont diverses : visites d’entreprises, phoning, présence dans des réunions d’entreprises et des réunions patronales, présence auprès de Pôle emploi, de Cap emploi et des organismes de formation, etc. Dans certains cas, le démarchage d’entreprises se fait avec l’appui d’un CV, méthode dénommée « prospection active ». Lorsqu’une agence dispose d’un intérimaire à placer dont le profil est recherché, elle utilise le CV comme support de prospection et propose directement le candidat à l’entreprise sans que cela ne réponde à une demande formalisée. Elle précise alors les contrôles de références effectués (cf. infra) et des éléments complémentaires au CV. Les intérimaires ayant travaillé dans d’autres enseignes sont souvent utilisés comme sources d’information pour démarcher de nouvelles entreprises. Les permanents interrogés insistent sur le fait que, depuis la crise, le téléphone sonne beaucoup moins de la part des entreprises passant commande. Du coup, il faut « aller les chercher », faire des visites de courtoisie et autres actions destinées à susciter la commande. « De toute façon, en période de crise, on

l’a bien vu, ceux qui s’en sortent sont ceux qui sont plus agressifs, qui mènent plusieurs actions. Et à une période, avant la crise, où le téléphone sonnait beaucoup, maintenant, c’est super rare quand on vous appelle pour vous dire : “je veux un intérimaire pour telle ou telle période”. Il faut vraiment aller chercher les gens, enfin, les entreprises. » (Challenger 1, Territoire 1). « Je sais que, chez un client gros consommateur d’intérim, si on n’y va pas, elle ne va pas nous faire de demande. Juste le fait d’y aller, je suis sûre que, dans la journée, j’ai une demande, vous voyez, le contact… » (Challenger 2,

Territoire 1). Les ETT se positionnent alors clairement sur un registre de « commerciaux » devant aller chercher le client, le fidéliser. Grandes ou petites,

les enseignes de l’intérim font de la visite en entreprise un moment pour tisser des liens, nouer des relations durables : « On est sur du rendez-vous de suivi de

clientèle comme vous pouvez l’avoir dans n’importe quel métier » Q° : « Mais, du coup, pourquoi vous les faites physiquement et pas par téléphone, par exemple ? » « Ben, parce que c’est juste les principes de base du commerce, les portées de vos actions sont nettement plus… on donne beaucoup plus de résultats quand vous êtes en face de la personne. Le téléphone, ça reste impersonnel. On est vraiment sur des principes, c’est en dehors de notre métier, notre activité, hein. Faire un rendez-vous physique chez un client crée des liens que vous ne créerez jamais par téléphone » (Major,

Territoire 2).

S’assurer d’un volant important d’intérimaires

Du côté du recrutement des intérimaires, les ETT se distinguent par l’absence d’obligation d’inscription de la part des intérimaires. Elles sont un des rares intermédiaires qui, bien que légalement membres du SPE, peuvent refuser des candidats. A cela s’ajoute le fait que le public n’est pas captif : les candidats peuvent déposer leurs candidatures dans plusieurs enseignes. Les agences sont alors constamment à la recherche de candidats et se plaignent même de leur rareté et de leur « volatilité » : « Aujourd’hui on a une grosse

difficulté, c’est les candidatures. C’est notre grosse, grosse difficulté. Par exemple, depuis un mois, on a très peu de candidatures, de nouvelles candidatures, je parle. Les gens ne s’inscrivent pas. Il y a le chômage qui est toujours là, mais les gens ne viennent pas s’inscrire, donc pour nous, c’est un plus parce que de toute façon on est prêt à investir pour avoir plus de candidatures et pour avoir d’autres clients et pour mettre plus d’intérimaires chez nos clients parce qu’on loupe énormément de commandes » (Challenger 2,

Territoire 1).

Cette recherche de candidats est néanmoins variable selon la visibilité de l’ETT et le profil de poste.

Ainsi, les majors récupèrent des candidats sans chercher. La prospection de nouveaux intérimaires est plus importante pour les petites ETT. De la même façon, la recherche se fait surtout sur des profils de postes qualifiés y compris chez les majors : « Quand vous

êtes un grand groupe avec une certaine notoriété, ce sont les personnes qui viennent à vous … Mais dès que l’on est sur des métiers ultra spécialisés, c’est plutôt nous du coup qui sommes en recherche. » (Territoire 2).

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